Centrafrique: l’offensive tout azimut du Rwanda 

La mutinerie d’Evgeny Progozhin, patron du groupe Wagner, le 24 juin en Russie produit déjà deux effets en Centrafrique : la diminution temporaire des effectifs du groupe russe de mercenaires, et, parallèlement, la dépendance croissante de Bangui vis-à-vis de son second allié sécuritaire : le Rwanda.
 
 Si Kigali est l’un des plus importants contributeurs aux missions de maintien de la paix des casques bleus de l’ONU, des accords bilatéraux avec des Etats africains ont fait des forces armées rwandaises un produit d’exportation stratégique
 
 
Bien plus discret que la Russie mais non moins ambitieux, le Rwanda a déployé en Centrafrique depuis quelques années une diplomatie tous azimuts, comportant un volet militaire, politico-diplomatique, et économique. Un rapport publié par l’ONG International Crisis Group détaille cette offensive géopolitique, occultée jusqu’ici par celle de Wagner.
 

Rwanda, une armée disciplinée

 
L’aventure centrafricaine de Kigali s’inscrit dans le cadre de la diplomatie militaire mise en place par le Rwanda depuis 2005. Cette diplomatie consiste à nouer des alliances et des partenariats, notamment économiquse, avec des pays en difficulté, en échange d’une assistance militaire. Le Rwanda capitalise ainsi sur un de ses meilleurs atouts : une armée disciplinée et performante. 
 
En Centrafrique, le Rwanda a d’abord envoyé des soldats à la MISCA, l’opération de maintien de la paix de l’Union Africaine en Centrafrique, puis à la MINUSCA, mission onusienne qui a pris le relais de la Misca en 2014. En 2022, Kigali était devenu le premier contributeur de casques bleus en RCA, avec plus de 2000 soldats et policiers officiant au sein de la mission onusienne. 
 
En plus de ces troupes onusiennes, Kigali a envoyé, à partir de fin 2020, un millier de soldats dans un cadre bilatéral, sur demande urgente du président Touadéra qui craignait d’être renversé par une coalition de groupe rebelle, la CPC (coalition des patriotes pour le changement). Ces troupes bilatérales ont ainsi contribué à repousser l’attaque de la CPC sur Bangui, en janvier 2021.
International Crisis Group souligne la bonne réputation des soldats rwandais, bien considérés pour leur professionnalisme et leur bonne conduite dans le pays, à l’inverse d’autres contingent onusiens ou des mercenaires de Wagner, régulièrement accusés de trafic ou d’exactions.
 
Cette assistance militaire inédite, qui combine des casques bleus et des troupes bilatérales, s’inscrit dans un partenariat plus large entre les deux pays, sanctionné par la signature, en 2019 et 2021 de plusieurs accords militaires, techniques et économiques entre Kigali et Bangui. Ces accords ont déjà permis la mise en œuvre de programmes d’assistance technique du Rwanda auprès de l’administration et des institutions centrafricaines, avec notamment des appuis à la modernisation de l’administration centrafricaine et un soutien à la réforme du secteur de la sécurité.
 
 
 

Le partenariat Rwanda-Angola

 
Sur le plan diplomatique, le Rwanda a contribué à maintenir en vie le processus de paix en RCA, en partenariat avec l’Angola, bien que des défis et des méfiances entre les parties continuent de freiner les progrès. Les diplomates rwandais ont également obtenu des postes clés au sein d’institutions telle que la Minusca (Mission des Nations-Unis pour la stabilisation de la Centrafrique, OCHA (Bureau des coordination des affaires humanitaires des Nations Unies), le PNUD (programme des Nations-unies pour le développement) ou la Banque Mondiale, renforçant ainsi leur influence et participant au réchauffement des relations entre les autorités centrafricaines et ces institutions qui critiquaient l’influence de Wagner dans le pays.
 
Le rapport souligne également l’importance de la dimension économique dans ce partenariat. Kigali, qui dépense plus de 100 millions d’euros par an pour son opération militaire bilatérale, souhaite trouver en RCA des filières d’approvisionnements légitimes pour son industrie minière, ainsi que des débouchées commerciales pour compenser la faiblesse de son marché intérieur. De fait, la présence du Rwanda en RCA est marquée par d’importants investissements et des projets commerciaux dans tous les secteurs de l’économie, telle que l’agriculture, l’industrie, notamment les mines, le transport, la logistique, l’hôtellerie, l’immobilier, la restauration… En 2022, les Rwandais étaient ainsi la deuxième nationalité étrangère à avoir créé le plus d’entreprise dans le pays. 
Le secteur minier intéresse particulièrement les opérateurs économiques rwandais, notamment ceux liés aux autorités de Kigali. Au moins une entreprise minière ayant obtenu des permis miniers est détenue par Crystal Venture, holding privée appartenant au Front Patriotique Rwandais, parti au pouvoir à Kigali, 
Ces investissements discrets ont soulevé des inquiétudes quant à une possible invasion économique par les investisseurs rwandais. Les centrafricains suspectent les Rwandais de bénéficier de privilèges indus en raison de leurs liens étroits avec l’élite dirigeante de Bangui, alimentant ainsi des perceptions de concurrence déloyale. Le secret entourant le partenariat entre le Rwanda et la RCA alimente ces soupçons. Le manque de transparence concernant la nature des accords, la manière opaque dont les projets commerciaux sont menés et l’utilisation de militaires rwandais pour sécuriser des actifs économiques risque, selon l’ONG de compromettre la crédibilité et l’impartialité du Rwanda. 
L’engagement du Rwanda en RCA attire aussi l’attention des pays voisins, en particulier de la République démocratique du Congo (RDC). Les activités du Rwanda, y compris les patrouilles militaires le long de la frontière entre la RCA et la RDC, suscitent des inquiétudes à Kinshasa, qui accuse le Rwanda de soutenir une rébellion dans l’est de son territoire. Mais la multiplication des interventions rwandaises en Centrafrique, en Mozambique, et bientôt au Bénin, fournit aussi des arguments à Kigali pour faire face à ces critiques. En se positionnant comme un partenaire crédible pour fournir des « solutions africaines aux problèmes africains », Kigali s’assure des soutiens sur la scène géopolitique et des leviers pour contrer ces critiques.

1 COMMENTAIRE

  1. Tant mieux . Ce sont des Africains qui s’occupent d’autres Africains pour faire régner la paix , l’ordre et la sécurité sans lesquels aucun progrès de quelque nature que ce soit n’est possible. Bravo au Rwanda et sa diplomatie dans l’intérêt des Africains. Le grand Massinissa, le Roi Numide disait lui , « L’Afrique aux Africains » . Cette devise a trouvé son traducteur sur le terrain et Massinissa serait heureux dans sa tombe , de savoir qu’un Africain s’occupe de l’Afrique pour la rendre à ses enfants.

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