Alger, 24 juin 2025. À 9h25, la présidente de la cour d’Alger, Naïma Dahmani, fait son entrée dans la salle d’audience, accompagnée de ses deux assesseurs. À 9h30 précises, elle appelle à la barre l’écrivain Boualem Sansal, vêtu d’un pantalon et d’un tee-shirt gris, les cheveux soigneusement coupés. L’homme de lettres, entouré d’une dizaine de gendarmes d’élite et de policiers, comparaît seul : il a choisi d’assurer lui-même sa défense.
« Vous m’écoutez ? », lui lance la présidente en arabe. « Oui, mais je vais vous répondre en français », rétorque Sansal. La magistrate accepte : elle posera ses questions en arabe, il pourra répondre dans la langue de son choix.
Dès l’ouverture, la présidente rappelle à l’écrivain les faits qui lui sont reprochés : certaines de ses publications et déclarations jugées hostiles à l’Algérie. « Qu’avez-vous à dire ? », lui demande-t-elle. Sansal répond sans détour : « Je n’ai rien à dire. Je suis un homme libre. Je parle à tout le monde, et je parle en France, pas en Algérie. Je suis français et toutes mes déclarations ont été faites en France. »
La juge évoque alors une interview donnée au journal d’extrême droite Frontières, dans laquelle Sansal aurait tenu des propos controversés sur les frontières de l’Algérie, en particulier dans l’ouest du pays. « J’ai simplement dit que les frontières actuelles ont été tracées par les Français, qu’elles sont héritées de la colonisation. Et j’ai rappelé que l’Union africaine a confirmé l’intangibilité de ces frontières après les indépendances. »
La présidente revient ensuite sur des échanges entre Sansal et l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, ainsi qu’avec l’ex-ministre français Hubert Védrine. Elle cite notamment une phrase de l’écrivain : « Nous avons le pétrole et Chengriha. » Sansal se défend : « Ce sont des discussions privées, parfois sur le ton de la plaisanterie. Je ne vois pas ce qu’il y a de dangereux. »
Interrogé sur ses relations avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), considéré comme une organisation terroriste par Alger, l’écrivain répond : « Je parle avec tout le monde. »
Puis vient une question inattendue : « Avez-vous déjà visité Israël ? » — « Oui, en 2012 », répond-il. « Dans quel cadre ? » — « J’étais invité à la fois par l’OLP et par les autorités israéliennes », précise-t-il.
À la question de la juge s’il est convaincu par ses propos et déclarations, Sansal répond calmement : « Oui, j’en suis convaincu. Mais on peut aussi changer d’avis dans la vie. » La présidente l’interroge enfin sur ses romans, qu’elle juge trop orientés vers la critique politique. « Pourquoi ne pas parler de littérature ou de culture, mais que de politique intérieure ? », demande-t-elle. L’auteur reste silencieux.
Après seulement dix minutes de débats, le procureur prend la parole pour son réquisitoire. Il rappelle que Boualem Sansal est né, a grandi, étudié, travaillé et été soigné en Algérie, mais « n’a jamais été reconnaissant envers son pays », selon lui. Il requiert dix ans de prison ferme et une amende d’un million de dinars.
9h46 ; invité à prononcer le mot de la fin, Boualem Sansal conclut :
« On fait le procès de la littérature. Cela n’a pas de sens. La Constitution algérienne garantit la liberté de conscience, la liberté d’expression et d’opinion. Et pourtant, je me retrouve aujourd’hui devant vous. »
Le verdict est attendu le 1er juillet 2025.
L’écrivain algérien avait été condamné à cinq ans de prison ferme et à une amende de 500 000 dinars le 27 mars 2025, notamment pour « atteinte à l’unité nationale » par le tribunal correctionnel de Dar El Beida d’Alger.