La Tunisie va construire un mur pour la séparer de la Libye. Le Maroc, qui a déjà érigé six murs pour repousser les indépendantistes du Sahara Occidental, est aussi en train d’en construire un autre pour se séparer de l’Algérie. Le Maghreb des maçons s’agrandit.
Frontières arbitraires
Sahara central. Ghadamès sur le 30ème parallèle Nord, du nom d’une petite ville libyenne inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, capitale de l’antique empire des Garamantes où s’est cachée la famille Kaddhafi pendant le bombardement de l’OTAN en 2011. C’est là où a été inventé il y a 2000 ans l’attelage des chars à 6 chevaux, idée reprise par les Grecs puis les Romains. Depuis, la désertification est passée, le cheval a galopé vers le Nord et aujourd’hui, il s’agit plus de 4X4 et de dromadaires, transportant toutes sortes de produits de contrebande entre la Libye, la Tunisie et l’Algérie, y compris des armes.
Car Ghadamès est un point triple, c’est-à-dire qu’il est situé dans une géométrie euclidienne à cheval à trois lignes, entre trois pays, où 3 postes frontières se font face. Entre Bordj El Khadra du côté tunisien, point le plus méridional du pays à 1000 kilomètres de Tunis et ex-point de passage des amoureux des rallyes automobiles, et Debdeb en Algérie. Ces trois poste-frontières, souvent fermés, sont parmi les plus surveillés au monde, en état d’alerte permanent et les bataillons militaires des trois pays se regardent comme on regarde la guerre passer. Ce n’est pas le seul point triple bien sûr. Tous les pays de la région en possèdent dans ces frontières désertiques tirées à la règle par la France, droites absurdes sur des milliers de kilomètres de sable. La Lybie en a 5, le Maroc 1 et la Tunisie 1, celui de Bordj Khadra, l’Algérie détenant le record de la catégorie, avec 6 points triples pour ses 6000 kilomètres de frontières. Vaste problème.
Barrière dans le désert
Côté tunisien, c’est à partir de Bordj El Khadra, littéralement « le fort de la verte », alter égo de Ghadamès Libye et Debdeb Algérie, que va être construit un mur traversant le désert, qui va monter de là jusqu’au Nord-Ouest pour rejoindre les lacs salés et s’arrêter à la grande plaine présaharienne de Djeffara et Bahret el bibane, « la mer des portes. » 168 kilomètres de maçonnerie en sable, pas pour arrêter les vents de sable, fréquents dans la région, mais les terroristes. Car de ce point de la frontière au Nord-Est, à Ras Jdir, il n’y a plus qu’une centaine de kilomètres pour rejoindre Tripoli, par un mince ruban de goudron qui navigue entre la mer et les lagunes.
La frontière est fermée sur passage de la conquête musulmane d’Afrique du Nord au 7ème siècle, et c’est par ce point (double) que le Tunisien Seifeddine Rezgui, le tueur de Sousse (460 kilomètres plus au Nord), est passé pour se former au maniement des armes en Libye, rejoindre la Syrie et revenir dans son pays avec des idées si progressistes. Mais même si le poste-frontière de Ras Jdir est fermé, le désert est ouvert, ce qui explique la nécessité du mur, qui ne couvrira toutefois pas toute la frontière (459 kilomètres), les nombreux lacs salés du Nord-Est faisant office de barrière naturelle, la Tunisie de Béji Caïd Essebsi, ayant posé comme postulat que les terroristes ne savent pas nager.
Un mur jusqu’à Ghadamès, qui avant le chaos libyen, était une ville florissante, la plus riche des trois villes, Bordj El Khadra et Debdeb, à 1300 kilomètres d’Alger, où là aussi, la contrebande était enrichissante à tel point que les douaniers payaient pour y être affectés. Depuis 2011, il n’y a rien d’autre dans la région à part le chômage et la désolation, quelques courageux contrebandiers et des groupes armés, une cargaison de Kalachnikovs, FMPK, fusils à lunette et à pompe, grenades et quantité de munitions ayant été saisis à Debdeb en janvier dernier. Si les murs ne vont pas arranger les affaires, de l’autre côté de l’Algérie, 1000 kilomètres plus à l’Ouest, un autre mur se prépare.
Maroc-Algérie, les irréconciliables
Ce n’est pas du désert. Arbres qui durent et rivières qui coulent paisiblement. Poste frontière algéro-marocain Akid Lotfi. Le drapeau algérien flotte sur une baraque officielle qui s’ennuie. Quelques officiers traînent dans l’oisiveté pour cause de frontière fermée. Le chômage aidant, l’activité principale des habitants est de creuser des trous pour faire passer les marchandises de part et d’autre de la frontière. Mais ici aussi, un mur va passer, le Maroc projetant d’en construire un pour séparer les deux pays, déjà séparés par une frontière fermée au triste record, celui de la plus longue frontière fermée depuis le plus grand nombre d’années.
En 1994, suite à un attentat au Marrakech, le Maroc décidait d’instaurer des visas aux touristes algériens. Mesure de réciprocité, l’Algérie fermait la frontière, qui l’est toujours. Suite de la suite, le Maroc va ériger un mur pour s’isoler, l’Atlantique à l’Ouest, la Méditerranée au Nord et des assemblages de briques à l’Est. Et du Sud, où il a déjà construit 6 murs au Sahara Occidental pour repousser les indépendantistes du Front Polisario vers le désert inutile, ces ouvrages faisant office de facto de frontière avec la RASD, république arabe sahraouie et démocratique. Là aussi un vieux conflit qui bute encore sur la difficulté d’instaurer un référendum d’auto-détermination dans le désert, avec le recensement problématique des populations qui vont y participer. C’est le principal point d’affrontement entre le Maroc et l’Algérie, accusée de soutenir les indépendantistes, les deux pays s’étant déjà opposés par deux conflits armés dans les années 60, dénommées «guerres des sables», Amgala 1, gagnée par le Maroc, suivie de Amgala 2, remportée par l’Algérie. Match nul, balle au centre. Mur au milieu.
L’UMA, une coquille vide ?
Régulièrement, des réunions de responsables du Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Mauritanie ont lieu dans le cadre de l’UMA, l’Union du Maghreb Arabe, organisme multinational créé en 1989 pour réunir près des 100 millions d’habitants et 6 millions de kilomètres carrés de la région. Cause inimitiés récurrentes et pierres d’achoppement éternelles, les chefs d’état ne se sont pas réunis depuis plus de 10 ans. Mais entre le Maroc et l’Algérie, si les frontières terrestres sont fermées, l’espace aérien est ouvert et il n’est pas question de construire un mur dans le ciel, heureusement pour les réunions de l’UMA, qui se tiennent encore bureaucratiquement en présence de ministres ou de secrétaires généraux.
Coquille vide, avec des échanges commerciaux insignifiants entre les 5 pays de l’ensemble et des frontières fermées ou à demi-ouvertes, le concept de l’UMA recoupe un autre malentendu, les Amazighs (Berbères), antiques autochtones qui représentent 20 millions d’habitants répartis dans la région, n’étant évidemment pas d’accord avec l’appellation Maghreb « Arabe ». En plein renouveau berbère au Maroc, c’est pour cette raison que le ministre des Affaires étrangères du Royaume a proposé de supprimer « Arabe » pour transformer l’UMA en Union maghrébine, à l’image de l’Union Africaine ou Union Européenne.
Proposition acceptée par la Mauritanie, qui détient pourtant le moins de Berbères à l’échelle de la région, mais rejetée par l’Algérie, pourtant précurseur de la lutte berbère dans les années 80, refusée également par la Libye et de la Tunisie. Ces trois derniers pays qui forment le point triple, entre Ghadamès la dévastée, Bordj Khadra la désolée et Debdeb la ruinée, trois contrées autrefois alignées sur l’historique route des chars (romains), dont les témoignages sont encore présents dans les nombreuses gravures rupestres de la région.
Hérodote, l’historien grec, décrivait ce pays des Garamantes si raffiné, comme le « pays où on trouve des taureaux qui, lorsqu’ils paissent, marchent à reculons, agissant ainsi parce que leurs cornes s’avancent tant vers l’avant de leur tête que s’ils avançaient en paissant, leurs cornes se planteraient dans le sol. » Il n’y a plus d’herbe depuis longtemps dans ce désert et avec le chaos qui s’installe un peu partout, seuls les maçons ont de l’avenir, eux qui construisent de bas en haut.