Les monstruosités de Daech qui accaparent l’opinion internationale font oublier la vraie poudrière qu’est le sud libyen, entre le Niger, le Tchad, l’Algerie et la Libye
Miroir du chaos qui règne en Libye, la région du Fezzan dans le sud-ouest du pays est, depuis septembre dernier, le théâtre de violents affrontements entre tribus touaregs et touboues. De tradition nomade , ces deux ethnies forment, avec les tribus arabes, l’essentiel du peuplement de ce vaste territoire et entretiennent une rivalité historique pour le contrôle des routes commerciales.
No man’s land
La chute de Mouammar Kadhafi qui était parvenu à maintenir un semblant d’ordre en soutenant tour à tour les uns et les autres a ravivé les hostilités. Véritable plaque tournante de trafics en tous genres, ce territoire aux confins du Sahrara ressemble désormais à un trésor de guerre que les tribus se partagent. Tandis que les touaregs contrôlent la frontière avec le sud de l’Algérie et l’ouest du Niger, les Toubous surveillent la zone orientale du Niger, le Tchad et une partie du Soudan. Au cœur de cette immense aire de transit aux frontières poreuses, l’économie de la contrebande prospère. Aux trafics de voitures volées entre la Libye, le Niger, le Tchad et l’Algérie s’ajoute celui des stupéfiants et des clandestins, véritable poule aux oeufs d’or pour les passeurs en quête d’argent facile.
Dans les sous-sols de ce no man’s land, un autre précieux butin suscite les convoitises : le pétrole. Depuis octobre 2014, les toubous, alliés des tribus Zintanis et Wershefana, réputées nostalgiques de Kadhafi, disputent aux touaregs du sud libyen le contrôle de la ville d’Oubari située à proximité d’ « El Charara », le gisement d’or noir le plus important du pays. A l’automne dernier, les Touaregs s’étaient emparés de cette cité stratégique que les Toubous souhaitent aujourd’hui récupérer. Les premières altercations ont éclaté lorsque ces derniers ont été accusé d’avoir monté un trafic d’essence au cœur de la ville et de vouloir progressivement en prendre le contrôle.
Depuis, des attaques régulières font trembler les rues ensablées de la cité. Selon un Touareg d’Oubari, les frappes sont lancées par Barka Wardougou, grande figure de la rébellion touboue des années 1990 au Niger ayant combattu les forces pro-Kadhafi dans les oasis du sud libyen en 2011. D’après le quotidien Libération, une cinquantaine de check points sous contrôle touareg ont été mis en place autour pour défendre la ville. Les toubous sont cependant parvenus à garder la main sur le quartier stratégique de Dissa à travers lequel ils assurent leur ravitaillement depuis leur fief, Mourzouk, situé à 170 km au sud-est d’Oubari.
Au moins 200 personnes auraient péri au cours de ces combats. Les violences ont par ailleurs contraint de nombreux civils à fuir en direction des villes voisines de Ghadames, Ghat, Sebha ou vers l’Algérie.
Mais derrière les lignes de fractures tribales, les combats d’Oubari sont au coeur d’enjeux politiques régionaux déterminants. Sur place, les touaregs accusent le Tchad dont l’armée est elle-même composée essentiellement de toubous, ethnie d’origine du président tchadien Idriss Déby, d’appuyer les guerrillas du sud libyen. Des combattants touaregs contactés sur place affirment avoir procédé à l’arrestation de mercenaires dont de nombreux ont la nationalité tchadienne. « Il y avait aussi quelques nigériens et des maliens » affirment les mêmes sources qui disent avoir fait des copies de leurs papiers d’identité. Par ailleurs, les touaregs d’Oubari voient d’un très mauvais oeil la coopération de l’armée française avec les toubous majoritaires dans la zone de Madama au nord Niger où les militaires français ont installé l’une des bases de l’opération Barkane.
Selon les porte-paroles de la brigade touarègue Tenere qui a longtemps combattu Kadhafi, les toubous recevraient par ailleurs le soutien du général Khalifa Haftar. Allié des occidentaux en Libye dans la lutte contre Daech à Benghazi et favorable au parlement de Tobrouk reconnu par la communauté internationale, ce haut gradé proche de Washington et du chef d’Etat égyptien Sissi accuse les touaregs du sud de faire le jeu des islamistes de Farj Libya qui contrôlent Tripoli. Pire, Haftar dénonce la complicité des touaregs d’Oubari avec les terroristes qui ont fait de cette région leur principale base arrière dans la région. Plusieurs chefs djihadistes y ont en effet trouvé refuge dont l’algérien Mokhtar Belmokhtar, leader de la katiba djihadiste Al Mourabitoune, et Iyad Ag Ghali, touareg du Nord Mali à la tête du groupe Ansar Eddine. En proie à d’importantes divisions, les touaregs de Libye sont aujourd’hui partagés entre partisans de l’opération militaire anti islamiste menée par Haftar et les touaregs du sud du pays ralliés à Farj Libya.
De leur côté, les Toubous ralliés au Parlement de Tobrouk où siègent plusieurs de leurs leaders (Issa Abdoul Majid, Adam Lino, Boubacar Yosko et Ahmed Handa El Sanoussi) ne cessent de dénoncer les proximités des touaregs du sud avec les groupes terroristes.
Face à ce regain de tensions , le Niger et le Tchad voisins n’ont pas tardé à intervenir afin d’éviter la propagation de ces luttes tribales sur leur territoire. En première ligne, le président tchadien Idriss Déby tente de s’imposer comme un faiseur de paix dans cette région ravagé. De retour d’une visite à Alger dans les derniers jours de l’année 2014, Déby, grand allié militaire de la France au Sahel a immédiatement négocié et, semble-t-il, obtenu une trêve d’un mois des différentes communautés en conflit. Toubous et Touaregs ont été priés de désigner des représentants. Ce qu’ils ont fait. Côté touareg , il s’agit de Hussein Koni, ancien ambassadeur de Libye au Niger, qui vit à Ghat à 370km au sud-ouest d’Oubari. Côté toubou, Goukouni Weddeye, ex chef d’Etat tchadien envoyé par Deby lui-même à Niamey le 27 février, a rencontré le Président du Niger Mahamadou Issoufou pour obtenir son aval au processus de négociation. Le Niger a donné son feu vert et décidé de s’impliquer à travers un comité régional qui tentera de prévenir une contagion de la tension ethnique dans la région nord du pays. Le 4 mars dernier, le Président Issoufou s’est, à son tour, rendu à N’Djamena. Du bruit pour rien ?