En marge des obsèques d’Idriss Déby Itno, Emmanuel Macron et son ministre des Affaires Etrangères, Jean Yves Le Drian, ont tout fait pour obtenir l’adoubement du fils du président tchadien Mahamat Déby Itno et du Conseil militaire de transition (CMT). Un forcing qui pourrait, demain, atteindre l’image de la France dans la région.
C’est un coup double à réaliser à N’Djamena qui a poussé Emmanuel Macron à se rendre vendredi dans la capitale tchadienne qu’il avait évitée en février lors du 7 ème Sommet G5 Sahel au motif de la situation sanitaire liée au Covid-19. Le président français entendait à travers ce déplacement rendre un dernier hommage solennel et appuyé à Idriss Déby Itno décédé mardi mais surtout faire adouber le fils Mahamat Deby Itno, comme nouvel homme fort du Tchad. Macron n’a pas eu besoin de trop se dépenser pour obtenir le ralliement des 4 chefs d’Etat du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger et Mauritanie) présents aux obsèques de Déby à l’idée que le Conseil militaire de transition (CMT) était l’option du moment la moins mauvaise pour la stabilité du Tchad et pour la poursuite de la lutte contre le terrorisme.
Le Drian à la manœuvre
Le ralliement total du G5 Sahel a apporté une caution africaine et sous régionale à la volonté de Paris de faire accepter le fait accompli de la prise de pouvoir par les militaires tchadiens là où habituellement la France et le reste de la communauté internationale exigeaient le retour à l’ordre constitutionnel. Par la voie de Joseph Borell, son chef de la diplomatie, l’Union européenne s’est aussi rangée du côté de la position de la France et du G5 Sahel. Même le délai de la transition fixé unilatéralement par les militaires à 18 mois renouvelables une fois n’a pas troublé « la communauté internationale ». L’exception tchadienne étant devenue la thèse la plus partagée. Mais pour ne pas paraître avoir pris fait et cause pour Mahamat Idriss Déby Itno et le CMT sans nuance, Paris a obtenu des autorités de fait à N’Djamena d’accepter un partage de pouvoir avec les civils. Macron a également plaidé auprès du fils de Déby qu’il a rencontré à au moins trois reprises l’idée d’un dialogue politique inclusif déjà avancé par les militaires eux-mêmes dans leur toute première déclaration. On doit à Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, la position de la France, devenue celle du G5 Sahel, de l’Union africaine, de l’Union européenne, de privilégier la stabilité du Tchad, y compris en s’accommodant d’un coup d’Etat, à la défense du respect de la Constitution. Le chef de la diplomatie française, présent aux côtés de Macron aux obsèques est un ami personnel de Déby père qui a forcément dû côtoyer le fils lors de ses voyages au Tchad d’abord en tant que ministre de la défense de François Hollande pendant cinq ans et ensuite comme ministre des Affaires étrangères depuis l’arrivée de l’actuel président français à l’Elysée.
Un pari risqué
En allant aussi loin dans son soutien au fils Déby, la France fait un pari risqué. Sur les réseaux tchadiens apparaissent déjà des slogans affirmant que Macron s’est transformé en « nouveau chef de l’Etat tchadien ». Au-delà de leur dimension caricaturale, ces messages traduisent une certaine exaspération d’une grande partie de l’opinion tchadienne envers ce qu’elle considère comme une ingérence sur fond de néocolonialisme de la France dans les affaires intérieures du pays. A N’Djamena et dans le reste du pays, personne n’a oublié que des mirages français avaient stoppé l’an dernier une colonne des rebelles tchadiens qui marchaient sur la capitale de leur pays au motif qu’il fallait, selon l’expression de Jean Yves Le Drian, empêcher « un coup d’Etat » contre Idriss Déby Itno. Certains acteurs politiques tchadiens rappellent que la France n’avait pas pipé mot lorsque Déby père a verrouillé l’organisation de la présidentielle du 11 avril, réprimé ses opposants avant de s’offrir une victoire à près de 80% des voix pour un sixième mandat.
Pour une bonne partie de la classe politique tchadienne, en faisant le pari de soutenir sans réserve le Déby fils et le CMT, la France s’est disqualifiée comme médiateur dans les discussions en cours pour définir les termes d’une transition militaro-civile consensuelle.
Bazoum et Ghazouani en « faiseurs de paix »
Sans doute par prudence mais plus certainement par calcul, la France a laissé le G5 Sahel monter en première ligne dans la facilitation du dialogue inter-tchadien. Le président nigérien Mohamed Bazoum et son homologue mauritanien Mohamed Ould Ghazouani ont été chargés d’assurer la médiation entre les parties tchadiennes en vue d’organiser un dialogue national inclusif, définir les organes de la transition et sa durée, la clef du partage du pouvoir entre militaires et civils. Après avoir rencontré les principales forces politiques tchadiennes, Ghazouani et Bazoum sont rentrés à Nouakchott et Niamey. Ils ont obtenu avant de repartir de la capitale tchadienne l’accord des forces politiques et des militaires sur le principe d’un dialogue.
Même s’il reste encore beaucoup d’incertitudes, le pire pourrait être évité. Au grand soulagement de la communauté internationale qui redoutait un basculement du pays dans la violence et ses conséquences sur la lutte contre le terrorisme au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad.