L’assèchement du lac Tchad est d’actualité. Est-ce une nouvelle manipulation de l’opinion publique pour détourner des milliards de dollars et conforter les autocrates de la région sur fond de changement climatique?
par Aza Boukris
Une conférence internationale sur l’avenir du Lac Tchad se tient du 26 au 28 février 2018 à Abuja, la capitale du Nigeria. Les chefs de gouvernement des quatre pays riverains ( Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad), des personnalités politiques de pays voisins, Centrafrique, Libye, de nombreux représentants d’Organisations internationales vont échanger sur les conséquences sociopolitiques de l’assèchement du Lac Tchad et envisager des solutions pour redonner vie au lac qui concerne plusieurs dizaines de millions d’habitants.
Un espace de non-droit, devenu invivable
Il va de soi que la disparition des frontières terrestres entre les États concernés et les sanctuaires de la secte Boko Haram, désormais établis dans cet espace de non-droit, sont des sujets majeurs de préoccupation, aussi bien au titre des changements climatiques que de la situation géopolitique, au coeur de l’Afrique. Les quelques milliers de militants de Boko Haram ont trouvé là, le territoire qui leur manquait, avec le concours des anciens pêcheurs du lac, complètement délaissés et ayant perdu leur cadre de vie.
L’ assèchement progressif du Lac Tchad, qui aurait perdu 90 % de sa superficie, modifie sensiblement cette zone stratégique du continent africain. La communauté internationale se doit évidemment d’apporter son aide à la population pour la sauver de la famine mais aussi de la terreur imposée par Boko Haram, mais en prenant garde de remplir un nouveau tonneau des Danaïdes.
L’instrumentalisation de ce phénomène hydrologigue
Les États membre de la Commission du Lac Tchad sont dans des situations socio-politiques et financières comme ils n’en ont jamais connues, depuis leur indépendance. Leur désintégration est à l’image de l’assèchement du Lac Tchad : progressif et amplificateur de la pauvreté. Le moment est donc propice pour les autocrates locaux de solliciter des financements internationaux, peu importe la façon dont ces mânes financières pourraient être gérées. Business as usual. Les dirigeants des pays concernés ont opportunément remis sur table le fameux projet de détournement des eaux de l’Oubangui vers l’Aouk et le Chari pour renflouer le Lac Tchad. Des bureaux de consultance y ont bien vu les retombées financières exceptionnelles et la Chine, via la société d’Etat PowerChina, s’est lancée dans des études de faisabilité pour ce projet mirobolant estimé, à première vue, à plus de dix milliards de dollars. Un tel projet pourrait surtout servir à alimenter les propres intérêts des uns et des autres.
La politique prend le dessus sur la science et l’histoire
Si l’assèchement du Lac Tchad est une réalité bien visible, en revanche son dessèchement final, c’est-à-dire sa disparition totale est une fausse interprétation des réalités hydrologiques qui se fondent sur plus de cent années d’études scientifiques, également incontestables. De nombreux scientifiques, reconnus pour leurs travaux universitaires, mettent en doute une disparition du Lac Tchad. Les aléas pluviométriques dans les régions orientales de Centrafrique et du Bahr el-Ghazal soudanais ont des répercussions sur la superficie du Lac Tchad.
Un flash back sur l’histoire du Lac Tchad est sans appel. Au début du XXème siècle, les explorateurs et militaires coloniaux avaient rapporté les fluctuations du Lac Tchad. Après une période de sécheresse importante, fin XIXème siècle – début XXème siècle, le commandant géodésien Jean Tilho avait noté en 1908, que les eaux avaient quasiment disparu et que le Lac était devenu un marécage avec sa végétation palustre. Là où il pouvait jadis naviguer sur sa chaloupe, Jean Tilho pouvait désormais faire passer sa caravane de chameaux, à pieds secs. La disparition du Lac Tchad alimentait déjà les préoccupations. Mais dès 1913, Jean Tilho notait que le Lac Tchad avait repris sa superficie d’avant la sécheresse. La question de la disparition du Lac Tchad et les constats de Jean Tilho la réfutant sont toujours d’actualité. L’assèchement du Lac Tchad est conjoncturel.
Selon le bon principe « A quelque chose malheur est bon », les spécialistes en recherche-développement font aussi remarquer que la décrue des eaux du Lac Tchad a laissé apparaître des terres très fertiles qui pourraient être exploitées, si la sécurité était assurée dans cette zone , plus ou moins contrôlée par Boko Haram. Nul doute que la question du Lac Tchad va devenir un thème porteur pour de futurs colloques et conférences internationales.
Mondafrique présente un reportage réalisé par France 2 sur le lac Tchad :