À Nantes des objets d’art africain mal acquis ont été retiré d’une vente aux enchères. Une action qui relance le débat autour de la promesse d’Emmanuel Macron de restituer ces pièces à leurs pays d’origine. Une enquête de Louisa Benchabane
Le 15 mars 2019, « une vente exceptionnelle d’un ensemble d’armes courte africaines », réunis des objets du Dahomey, du Congo Braza et de l’Afrique Équatoriale à Nantes. La publicité de la vente annonce leur bon « état de conservation, et l’élégance de leur forme ». La guerre qui a conduit à leur acquisition, a marqué la fin du royaume du Dahomey qui a été annexé par l’empire colonial français.
Pillage de guerre
L’association à la réputation solide à Nantes, a été informée début février de la vente à venir : « On a essayé d’alerter le groupe des États africains de l’Unesco par une lettre, mais nous n’avons pas eu de réponse », explique Thomas Bouli Ndongo. En 2016, Afrique Loir a reçu une délégation composée du Ministre de la culture du Bénin, avec qui elle entretient depuis de bonnes relations. Elle l’alerte.
La vente est maintenue. « Afrique Loir » tente encore de résister. Deux heures avant le début des enchères, la bonne nouvelle tombe. Le commissaire priseur annonce l’intervention du ministre de la culture pour retirer des enchères vingt-six objets issus du Dahomey. « C’était un soulagement», annonce Thomas Bouli Ndongo. Il comprend que le ministre de la culture Béninois a alors joué de son influence sur le pouvoir français. « En passant par le gouvernement du Benin c’est allé plus vite. Ceux de Paris dorment, ils ne se rendent pas compte de l’impact de ces ventes pour la mémoire africaine », déclare Thomas Bouli Ndongo.
Les autres objets du Congo ou du Gabon ne connaissent pas le même dénouement, ce qui laisse un goût amer aux activistes. Le président de l’association Afrique loir insiste sur l’importance de rassembler et de restituer ces pièces: « C’est important que la jeunesse africaine se souviennent que l’Afrique a connu de grands empires comme celui du Dahomey et non que des défaites et des guerres coloniales ». Et d’ajouter, nuancé, qu’un marché d’art africain florissant a « sa raison d’être », mais qu’il repose sur des recels et des pillages coloniaux.
Ces objets mal acquis ont été au coeur du rapport Sarr-Savoy paru en novembre 2018. Le rapport fait suite au discours du Président Macron à Ouagadougou le 28 novembre 2017: « Je ne peux pas accepter, a déclaré le président de la République, qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. » Il avait alors établi un délais « de cinq ans », pour restituer le patrimoine africain temporairement ou définitivement.
La résistance des musées
Les musées européens ont constitué leurs fonds en achetant des œuvres issues des puissances coloniales. Emmanuelle Cadet est directrice de l’association Alter Natives, qui travaille à la sensibilisation de jeunes aux histoires d’acquisition d’objets non-européens, dans le cadre d’un programme développé depuis 2014. L’ancienne conservatrice-restauratrice de biens culturels a observé qu’à la suite de la parution de ce rapport, un front des conservateurs s’est constitué pour entraver la restitution. « Je n’avais pas imaginé qu’il y ait une telle grogne contre les résultats du rapport.» Au delà de la polémique autour de la restitution, Alter Natives développe en France et en Afrique des actions de mise en partage de ces histoires d’objets afin qu’un grand nombre de personnes se les approprient.
La prise de parole la plus remarquée a été celle de Stéphan Martin, le président du quai Branly. Le musée recense 70.000 œuvres d’art africain sur les quelques 90.000 des collections publiques françaises. Selon lui, le rapport Sarr-Savoy « met beaucoup trop les musées sur la touche au profit des spécialistes de la réparation mémorielle », avait-il déclaré le 27 novembre 2018 à l’AFP. La restitution ne peut être «la voie unique ». Ce président de la plus grande collection d’art africain en France a peur de voir les musées européens « vidés » et « d’entrer dans une logique où le patrimoine devient l’otage de la mémoire. » Mais la majorité des conservateurs de musée préférant garder le silence.
Emmanuelle Cadet explique que certains conservateurs refusaient de parler de butin de guerre, avant que le terme ne s’impose: « C’est un terme qui les dérangeaient et qui remettait en cause leur collection ». Aujourd’hui elle observe que ces histoires doivent être plus largement connues et travaillées par la société civile et les acteurs socio-culturels et jeunesse .
Apparemment, la restitution du butin promise par Emmanuel Macron lors de son discours à Ouagadougou le 28 novembre 2017, attendra encore un peu.