Partie de Guinée Conakry en février dernier, l’épidémie de fièvre hémorragique Ebola continue de ravager l’Afrique de l’Ouest. L’Organisation mondiale de la santé a annoncé aujourd’hui qu’il fallait considérer l’épidémie de fièvre hémorragique Ebola comme « une urgence de santé publique de portée mondiale ». C’est l’épidémie « la plus grave en quatre décennies », explique l’organisation
Alors qu’en mai dernier, les autorités guinéennes avaient annoncé une légère accalmie de l’épidémie, le bilan meutrier ne cesse de s’aloudir dans toute Afrique de l’ouest. Selon l’OMS, la fièvre hémorragique aurait fait 603 morts au total dont 68 entre les 8 et 12 juillet dans trois pays differents. En Guinée d’où est parti le virus, la vigilance reste de mise. Surtout dans les zones placées sous haute surveillance sanitaire : Dinguiraye, Dabola et les préfectures de Guinée forestière où les premiers cas sont apparus, à savoir Macenta, Guéckédou et Kissidougou.
Un décifit d’information
En Guinée, beaucoup pointent une réaction tardive des autorités à cette crise sans précédent en Afrique de l’Ouest. Il a fallu trois mois avant que le président Alpha Condé se décide enfin à faire une déclaration publique le 21 mars dernier. « La crise Ebola a été mal gérée » accuse Souleymane Diallo, fondateur et administrateur du journal satirique « Le Lynx », qui a abondamment titré sur Ebola. « La nouvelle a été annoncée avec un grand retard. Nous soupçonnons le gouvernement d’avoir manipulé l’information et de l’avoir tue jusqu’à ce qu’il puisse faire un certain nombre de choses. On a su que l’alerte a été donnée dès fin décembre. Pourquoi attendre tout ce temps avant de communiquer? »
A Conakry, l’interrogation est la même: « Les autorités ont été négligentes. » estime Salamadou Sarra, ingénieur des mines en formation à Boké. « Si on avait pris les précautions nécessaires, la maladie ne serait pas arrivée jusque dans la capitale. Il y a des barrages à l’entrée de la ville. Si on avait implanté assez tôt des mini laboratoires on aurait pu tester les gens qui arrivent en ville et isoler les personnes infectées. » De son côté, Mamady Diallo, juriste, dénonce les couacs de la communication: « Depuis janvier, les autorités ont laissé faire. On nous a d’abord dit que le virus était à Conakry. Ensuite on nous appris que c’était une fausse alerte. Puis, on nous a dit que la maladie est en ville. Avec mes amis, on ne connaissait pas les modes de prévention contre ce virus parce que le gouvernement ne communiquait pas! Finalement, le Ministère de la santé, Médecins sans frontières et l’Organisation mondiale de la santé nous ont renseigné sur les mesures d’hygiène appropriées. » L’emploi d’antiseptique ou de l’eau de javel s’est généralisé à l’entrée des lieux publics, boutiques et boîtes de nuit. L’hygiène est devenue le maître mot de cette ville qui souffre de problèmes d’assainissement et d’insalubrité. Les poubelles en ville sont rares et les déchets encombrent les allées.
Des mesures tardives
Le mot Ebola suscite la gêne et parfois l’incompréhension de la population. « Beaucoup de gens n’ont qu’une partie de l’information » explique Sam Taylor porte-parole de Médecins sans frontières en Guinée. « Notre rôle est de leur donner l’information la plus complète possible. » Certaines personnes mal renseignées se munissent de masques alors qu’Ebola se propage par le contact direct, par la sueur, le sang ou les liquides. Si la ville grouille toujours de vie, la peur du virus a tout de même un impact. «J’ai remarqué qu’il y a eu moins de rassemblements et d’embouteillages en ville que d’habitude » analyse Sidy Yansané, correspondant local de RFI. Pour éviter les bains de foule, facteurs de propagation, le chanteur sénégalais Youssou N’Dour a même annulé un concert prévu au Palais du Peuple, une salle fermée de la capitale.
« Nous avons été surpris. » admet le docteur Aboubacar Diakité, président du Comité de crise sanitaire guinéen. «Le pays n’avait jamais connu une épidémie de ce genre. Le comité a élaboré et budgétisé un plan de riposte avec les partenaires internationaux et l’État, qui a contribué à hauteur de dix milliards de francs guinéens. » Le docteur Sakoba Keita, chargé de la surveillance sanitaire, a recueilli les premières analyses effectuées par l’Institut Pasteur de Lyon, avant que des laboratoires mobiles soient établis à Conakry et à Guéckédou. Selon lui: « la réaction gouvernementale a été appropriée. On a d’abord cru que c’était la fièvre de Lassa, une maladie qui a déjà été détectée par le passé dans le sud du pays. Comme la Guinée ne disposait pas de laboratoire, le processus a pris du temps. Quand on a su qu’on avait affaire à Ebola une équipe d’investigation est partie sur place le 14 mars. Le 21, nous avons eu les résultats et réagi. Au début, nous avons appliqué les mêmes règles que pour la gestion du choléra qui n’étaient pas tout à fait adaptées à Ebola. »
Une intervention parfois mal comprise
Devant le caractère inédit de cette pandémie, les acteurs sont parfois dépassés sur le terrain.
Au début du mois d’avril des heurts ont eu lieu au centre d’isolement de Médecins sans frontières à Macenta, en Guinée forestière, obligeant l’équipe à suspendre temporairement son activité. « Une partie de la population locale s’est fâchée en croyant que nous avions apporté Ebola en Guinée. » explique Sam Taylor, porte-parole de Médecins sans frontières en Guinée. « Idéalement, on doit d’abord faire passer le message et ensuite opérer. Mais Ebola ne nous laisse pas ce luxe car il faut réagir très vite. On est obligés de sensibiliser dans l’action. C’est ça qui cause des incompréhensions. On comprend qu’il y ait des peurs dans la population parce que c’est nouveau et qu’il n’y a pas de vaccin. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de prise en charge médicale. L’OMS, la Croix rouge et l’Unicef travaillent en lien avec le Ministère de la santé pour sensibiliser, sans créer la panique. A Conakry, avec deux millions d’habitants, le travail est énorme.» Un sentiment que partage Tarek Jasarevic, chargé de communication à l’OMS: « On a du mettre en place toute une chaîne, avec au bout le centre d’isolement de l’Hôpital Donka de Conakry. Un numéro gratuit permet de signaler des cas suspects qu’on vérifie. Le patient est d’abord mis en observation au service des maladies infectieuses pour savoir s’il doit être testé. Les malades qui viennent aux urgences doivent être accompagnés par des personnels de santé formés et protégés. On les encadre et leur fournit du matériel de protection. (1)
Concilier prévention et tradition n’est pas toujours aisé, notamment lors des funérailles religieuses: « Quand la personne meurt d’Ebola, le virus est à son paroxysme. » rappelle Tarek Jarasevic. « Le corps est très contagieux. Ça n’empêche pas de faire des rites religieux à côté avec la famille et les proches. Mais la préparation du corps, le lavage, la palpation doit être fait par une équipe de la Croix rouge habilitée avec des sacs spéciaux. » Pour Thierno Siré Baldé étudiant à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry: « Ça fait mal quand on dit à un parent qu’il n’a pas le droit de s’approcher du corps pour prier, selon le rituel musulman. Il faut bien expliquer aux gens que c’est une mesure exceptionnelle due à l’épidémie. » Pour la suite, le docteur Sakoba Keita et le Comité national ont prévu une batterie de mesures: « On veut établir la cartographie des chauve-souris en Guinée, puisqu’elles sont suspectées d’être liées au virus. On va renforcer la surveillance communautaire dans les localités à haut risque pour avoir des renseignements beaucoup plus tôt. Enfin, on compte substituer à terme des animaux d’élevage comme les volailles et les moutons à la chauve-souris qui est consommée comme une protéine animale dans ces zones. »
(1) (Selon le Comité sanitaire national, les personnels de santé constituent 15% des personnes contaminées NDLR)