Al-Sissi à Paris : une idylle dangereuse

Comment ne pas s’indigner à la vue de l’orgueilleux maréchal Al-Sissi franchissant le perron de l’Élisée pour une visite officielle de deux jours depuis ce lundi 7 décembre ?

Un article de Rabha Attaf

« Nous avons des désaccords à propos des droits de l ‘homme », a affirmé Macron au sortir de son entretien avec le dictateur égyptien, « mais je ne conditionnerai pas notre coopération en matière de défense comme en matière économique à ces désaccords. » Un vrai camouflet pour les ONG de défense des droits humains, dont Amnesty International et la FIDH, qui se démènent depuis des années pour que des pressions soient exercée sur le régime égyptien. Régulièrement, elles fournissent à la présidence française des listes de prisonniers d’opinion dont elles réclament la libération avant chaque visite officielle au Caire ou à Paris. Mais jusque la, ces demandes sont restées lettres mortes… Du moins jusqu’à la veille de l’arrivée d’Al-Sissi à Paris.

Est-ce un hasard du calendrier ? Les trois membres de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), arrêtés il y a quinze jours, ont été libérés le 3 décembre dernier. Ce qui a valu au maréchal d’être félicité par Macron pour cette largesse, malgré le fait que les avoirs bancaires de l’EIPR et de ses membres ont été gelés concomitamment à leur libération et que Hossam Barghat, l’un des fondateurs de cette ONG de défense des droits humains, a fait l’objet d’un article dans la presse liée à la police politique annonçant qu’il aurait disparu pour « rejoindre un groupe terroriste à l’étranger ». Une menace de disparition forcée, voire même de mort, à peine déguisée !

Conforté par Macron dans son rôle d’allié « stratégique et essentiel » de la France en Libye -ainsi que et dans la lutte contre le terrorisme-  Al-Sissi se sent en effet le vent en poupe.

En matière de droits humains, le régime égyptien fait donc la pluie et le beau temps. Conforté par Macron dans son rôle d’allié « stratégique et essentiel » de la France en Libye -ainsi que et dans la lutte contre le terrorisme-  Al-Sissi se sent en effet le vent en poupe. Et ce, malgré la mise à l’index de son régime de terreur qui frappe les opposants islamistes ou libéraux, les défenseurs des droits humains, et même les médecins ayant dénoncé le manque drastique de moyens face à la pandémie de covid-19. Et que dire des exécutions qui se poursuivent -dix condamnés à mort ont été pendu à la prison de haute sécurité d’Al-Minya début novembre dernier, cinquante-trois peines capitales ont été prononcées par les cours spéciales pour le seul mois d’octobre.

Pourtant, l’engagement militaire de l’Égypte aux côtés du séditieux maréchal Aftar a eu pour effet d’accroître la fragmentation de la Libye… et de légitimer l’intervention de la Turquie pour soutenir le gouvernement d’entente nationale formé, en 2016, sous l’égide de l’ONU, pour mettre fin à la guerre civile. Quant à la « lutte contre le terrorisme », c’est un euphémisme pour désigner la sous-traitance du Caire dans la gestion du flux des migrants en provenance d’Afrique de l’Est, mais aussi d’Egypte où les émeutes éclatent régulièrement contre l’augmentation des prix de l’énergie et des produits de première nécessité.

Contre vents et marées, Macron poursuit donc son idylle avec Al-Sissi. Ce faisant, il commet une erreur stratégique en enfonçant la France dans le bourbier libyen. Mais surtout, il fait preuve d’une vision à courte vue en ne tirant pas les leçons des « printemps arabes ».

La fulgurance avec laquelle le général Moubarak est tombé sous la pression de la rue,  en janvier 2011, devrait pourtant le faire réfléchir.

La fulgurance avec laquelle le général Moubarak est tombé sous la pression de la rue,  en janvier 2011, devrait pourtant le faire réfléchir. Maintenir le peuple égyptien sous un régime de terreur et de corruption endémique a en effet ses limites, surtout quand la crise économique fait rage et plonge le pays dans la banqueroute. 

Rabha Attaf, auteur de « Place Tahrir, une révolution inachevée », éditions Workshop 19.