En Afrique, l’année 2020 devrait être une année particulièrement riche en élections générales. Dans une douzaine d’États, des élections législatives, municipales, locales sont programmées. Dans sept États, la constitution prévoit également une élection présidentielle. Mais sans grandes avancées démocratiques, hélas, dans la plupart de ces pays !Panorama
Entre bâclage, boycott de l’opposition, reports limité et sine die, contestations des résultats et répression, ces élections 2020 feront date.
Le Covid-19 se surajoute à la mal-gouvernance
Évidemment les conséquences de la Pandémie du Covid-19 ne sont pas étrangères à ces élections particulières, mais on aurait tort d’y voir la principale cause. Il faut aussi prendre en compte l’incurie des administrations concernées, les arrangements des gouvernants avec les textes constitutionnels et législatifs, l’irrépressible volonté de se maintenir au pouvoir coûte que coûte, la nécrose plus ou moins avancée de certains États dont le territoire contrôlé se réduit chaque jour davantage.
Quant à l’ONU, l’Union africaine, les principaux partenaires techniques et financiers, leurs réactions varient entre le consentement tacite ou explicite, les regrets plus ou moins appuyés, les menaces qui n’effrayent personne et les condamnations diplomatiques sans véritables conséquences.
Huit États démocratiques sur cinquante
Qu’elles aient lieu ou pas, qu’elles ne soient pas crédibles et transparentes, qu’elles relèguent les oppositions dans la radicalité préfigurant de nouvelles violences armées, les élections 2020 apporteront leur contribution aux futurs » dérèglements politiques » dans la plupart de ces pays. Trop souvent, les élections africaines ne sont devenues que des mirages de la démocratie, c’est-à-dire éloignées de la volonté du peuple.
Cette illusion est constatée chaque année par The Economist Intelligence Unit dans son classement des régimes africains. En 2019, sur les 50 États africains évalués, notamment pour leur processus électoral et la situation des partis politiques, l’île Maurice était le seul État africain classé dans la catégorie « Pleine démocratie ». Sept autres se trouvaient dans la catégorie « démocratie imparfaite » : Botswana, Cabo Verde, Afrique du sud, Tunisie, Ghana, Lesotho, Namibie. Sur 50 Etats, c’est peu alors que la moitié des États sont classés dans la catégorie « régime autoritaire » et 17 autres dans la catégorie » mi-autoritaire mi-démocratie ».
Cinq élections non démocratiques
Les quatre élections législatives et l’élection présidentielle au Togo n’ont nullement remis en cause des chefs d’Etat largement abandonné par leur peuple. Ces élections se sont présentées comme suit :
– Comores : les législatives du 19 janvier et 23 février ont conforté la dictature du président Azali Assoumani qui avait déjà modifié, en 2018, la constitution afin de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2029, alors qu’il devait le quitter en 2021. Vingt-deux députés sur vingt-quatre lui seront dévoués, en l’absence de toute représentation de l’opposition. Les kwassa-kwassa pourront continuer de naviguer vers Mayotte.
– Cameroun : le président Paul Biya (87 ans), au pouvoir depuis 1982 continue imperturbablement d’imposer sa gouvernance personnelle. Avec le terrorisme de Boko Haram dans l’Extrême-Nord et la sécession sanglante dans le West Cameroon, la participation officielle est estimée officiellement à 45%, alors qu’elle devrait être proche de 30% avec la désaffection des citoyens désormais allergique à toute élection et le boycottage, notamment du parti de Maurice Kamto. Une vingtaine de députés sur cent quatre-vingt représenteront l’opposition. Le rassemblement démocratique du peuple camerounais est encore loin.
– Togo : Après avoir modifié la Constitution afin de se perpétuer au pouvoir Faure Gnassingbé a été reélu, le 22 février, pour un quatrième mandat consécutif. La dynastie Eyadema est au pouvoir depuis 1967. En dépit des importantes manifestations populaires d’hostilité, il a été réélu avec plus de 70 % des voix contre le favori Agbéyomé Kodjo (19%), qui a eu l’imprudence de contester les résultats. Il fut arrêté et mis en prison. Il est actuellement sous contrôle judiciaire.
– Guinée : les élections législatives et référendaire du 22 mars ont suscité une réprobation quasi générale et des violences exacerbant les antagonismes inter communautaires. Un fichier électoral contestable, des violences policières, des émeutes, des boycotts, des destructions de matériel électoral ont amené une d’abstention record loin du score officiel et à une victoire à la Pyrrhus ( 92%) d’Alpha Condé (82 ans). Avec une majorité des deux tiers de parlementaires et cette révision constitutionnelle réussie, la voie pour un nouveau mandat est ouverte pour l’acariâtre président.
– Mali : depuis 2018 des reports successifs ont permis aux députés d’aller au-delà de leur mandat prévu par la Constitution. Les 29 mars et 19 avril, les élections se sont déroulées dans un climat d’insécurité terroriste et sanitaire. Couvre-feu, destruction de matériel électoral, bourrage d’urnes ici-et- là en fonction des fiefs, enlèvement du leader de l’opposition, ont émaillé un scrutin peu suivi ( taux officiel de 65% d’abstention). La cour constitutionnelle a ajouté huit sièges au parti du président Ibrahim boubacar Keïta afin d’atténuer sa décrue, mais au prix de nouvelles violences urbaines. Cette élection cosmétique n’aura aucun impact sur la lutte armée des djihadistes et les conflits sanglants inter communautaires.
L’irruption du Covid-19 dans le processus électoral
Nul ne sait quels seront les développements de la Pandémie du Covid-19. En revanche, les élections encore programmées en 2020 se dérouleront dans des États de plus en plus fragiles et dont certains ne répondent plus à la définition admise en droit international. Dans ces pays faillis, le territoire national est hors de contrôle dans une proportion sans cesse grandissante, le vouloir-vivre collectif entre les différentes composantes de la population n’existe plus, l’extranéité l’emporte sur le national et les pouvoirs publics sont largement privatisés. Pour mémoire, rappelons les échéances électorales incertaines de 2020.
Burundi : sauf surprise comme celle de RDC avec la victoire de Félix Tshisekedi, le 20 mai, le président Nkuruziza remettra le pouvoir à son héritier, le général Ndayihimiye, alors que son challenger, Agathon Rwasa jouit une grande popularité. Les Burundais devront attendre pour vivre enfin en paix.
Ethiopie : prévue pour le 29 août, les élections législatives ont été reportées sine die, en raison du Covid-19.
Côte d’Ivoire : les élections législatives et présidentielle sont programmées le 31 octobre. Le président Alassane Ouattara (78 ans) a renoncé à se succéder. Son dauphin désigné, le premier ministre Amadou Gon Coulibaly ( 62 ans) a de sérieux ennuis de santé nécessitant des soins peu compatibles avec les fonctions d’un chef d’Etat. La récente condamnation de Guillaume Soro (55 ans) a rallumé la flamme d’un conflit national jamais éteint. Depuis La Haye, Laurent Gbagbo (75 ans) souffle sur les braises, tandis que l’ancien président Henri Konan Bédié (86 ans) se trouve une vocation de pompier. Hamed Bagayoko attend sagement éloigné de ce brasier. Dans le contexte actuel, la date du 31 octobre semble de moins en moins certaine.
Guinée : grâce à l’approbation de la qrévision constitutionnelle par le référendum du 22 mars, le président Alpha Condé peut être candidat pour un troisième mandat consécutif. L’élection est prévue en octobre prochain. Une nouvelle candidature de l’autocrate pourrait bien mettre à feu et à sang un pays déjà en ébullition. La tentation d’un report sine die ne serait même pas un calmant de la violence quotidienne.
Tanzanie : élu président en 2015, John Magafuli compte solliciter un nouveau mandat en octobre. Toutefois, le Covid-19 qui a déjà fait des victimes au sein du gouvernement et du parlement pourrait bien faire reporter les élections législatives et présidentielle. L’autocrate président, surnommé » le Bulldozer » songerait même à trouver un subterfuge afin de reconduire son mandat quinquennal. En 2019 l’opposition avait boycotté les élections locales devant les intimidations et les empêchements dont avaient été victimes ses candidats. La dictature est en marche en Tanzanie.
Burkina Faso : les élections législatives et présidentielles sont programmées le 22 novembre. Cette échéance respecte les dispositions constitutionnelles. Le président Roch Marc Christian Kaboré est rééligible. Outre le Covid-19, l’insécurité grandissante, les attaques sanglantes des djihadistes, les déplacements de population et les retards dans le processus électoral constituent des motifs d’inquiétude pour le respect de cette échéance constitutionnelle impérative. Le débat est ouvert pour sortir d’une impasse juridique électorale qui ne pourrait que diviser davantage la classe politique.
Ghana : le 7 décembre le président Nana Akufo-Addo tentera de se faire réélire au détriment de son challenger de 2016, John Dramani Mahama, qui était le président sortant. Cette alternance illustre la démocratie ghanéenne qui tranche avec les régimes des Etats francophones limitrophes.
Tchad : les élections législatives sont attendues depuis 2015. Sans cesse repoussées, la dernière date avancée serait le 13 décembre.
Niger : le président Mahamadou Issoufou ne peut aller au-delà de son deuxième mandat de cinq ans. L’élection présidentielle du 27 décembre est couplée avec les législatives. Le dauphin désigné par le président Issoufou est Mohamed Bazoum, mais la pandémie du Covid-19 et les attaques incessantes des djihadistes permettront-elles la tenue de ces élections le 27 décembre ? En cas de « glissement » voire de report sine die, l’imbroglio juridique résultant soit d’un éventuel maintien du président sortant, contraire à la lettre de la constitution, soit de la vacance du pouvoir, trop limitée dans le temps, alimente la fièvre pré électorale.
Centrafrique : quasiment en soins palliatifs, cet État est sans moyens internes pour organiser des élections. Le président Touadera ouvre largement la sébille mais il a dû aussi pactiser avec quatorze mouvements rebelles qui contrôlent, « administrent », imposent leur ordre prédateur aux trois quart du territoire. Comment organiser des élections transparentes et crédibles dans ce contexte et alors que le tiers des citoyens sont réfugiés à l’étranger ou déplacés hors de leur habitat ? Comme son homologue du Burkina Faso, le président Touadera est rééligible, mais qu’adviendrait-il si les élections présidentielle et législatives ne pouvaient se tenir le 27 décembre ? L’imbroglio juridique né de la rigidité de la constitution, interdisant le dépassement du mandat présidentiel fixé au 29 mars 2021, suscite des tensions supplémentaires entre le pouvoir et les oppositions, accentuées par des analyses définitives de constitutionnalistes en herbe.
La situation de la plupart des États africains devient très préoccupante. Les crises économiques, financières, sanitaires et politiques s’entrechoquent en se renforçant les unes aux autres.
Dans cette tempête planétaire, le soutien international aux populations devient une ardente obligation mais avec des exigences envers les microcosmes politiques qui pourraient bien ne plus se reconnaître dans le monde de l’après Covid-19.