Et si le nouveau Ben Laden, le calife autoproclamé de l’organisation terroriste de l’Etat Islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, n’était en réalité qu’une marionnette de généraux en retraite de l’ancienne armée de Saddam ?
Celui qui se fait appeler aujourd’hui « Calife Ibrahim » et nourrit l’ahurissante ambition de gouverner tous les fidèles de l’islam, de gré ou de force, pourrait en fait n’être qu’un leurre, le faux-nez « spirituel » d’une mafia sanguinaire dirigée par des anciens militaires, avides avant tout de faire main basse sur les richesses d’une partie de la Syrie et de l’Irak. C’est en tous cas, une hypothèse qui circule dans les services secrets occidentaux. Elle se base en partie sur un document de 31 feuillets récupéré par l’Armée Syrienne Libre (ASL) au nord de la Syrie, à Tal Rifaat, un fief de l’Etat Islamique et dont l’hebdomadaire allemand Der Spiegel a fait état au printemps dernier.
Prêcheur myope
Ces pages manuscrites appartenaient à l’une des têtes pensantes de l’organisation terroriste, un certain Haji Bakr. De son vrai nom Samir Abed al-Mohamed al-Klifawi, cet ancien colonel des services secrets irakien au temps de Saddam Hussein venait d’être abattu et ses archives personnelles saisies. Véritable plan de conquête de l’EI, ces documents laissent entendre qu’al-Baghdadi a été placé à la tête de l’organisation terroriste il y a cinq ans, avant tout pour servir de caution religieuse à un groupe militaire ayant pour réelle ambition la conquête des territoires et des richesses de la région.
Il est vrai qu’Abou Bakr al-Baghdadi, dont la seule apparition publique connue date d’un prêche glaçant, filmé dans la grande mosquée de Mossoul (Irak) le premier jour du ramadan 2014, n’apparaît doté d’aucune science militaire à proprement parler.
Né en 1971, à Samara selon les services irakiens ou à Falloujah selon des sources américaines, al-Baghdadi se nomme ne réalité Ibrahim Awad al-Badri. De sa jeunesse rien de précis n’a véritablement filtré si ce n’est qu’il a été un étudiant médiocre incapable d’intégrer la fac de droit de Bagdad et rejeté de l’armée irakienne pour cause de myopie sévère. Réorienté vers des études islamiques dans une université de seconde zone de la banlieue de la capitale irakienne, il entre dans les radars des services américains lors de l’invasion de l’Irak par l’US Army en 2003.
A cette date, al-Bagdadi prêche le djihad à la grande mosquée de Samarra. Mais sa dangerosité n’a pas encore été véritablement détectée. Il est certes arrêté en février 2004. Mais un peu par hasard. Il tombe dans un coup de filet qui visait un de ses proches, suspecté d’être un chef islamiste et à qui il rendait visite. Répertorié par les Américains comme civil, secrétaire administratif de profession et non comme combattant djihadiste – funeste erreur – il est tout de même incarcéré au camp de Bucca, à la frontière koweitienne. Le penitentier est une sorte de Guantanomo irakien qui va s’avérer être le vrai berceau de l’Etat islamique.
C’est là, selon le témoignage d’un ancien chef djihadiste de l’EI, recueilli par le quotidien britannique The Guardian, qu’une poignée de chefs de guerre alors apparentés au chef terroriste Abou Moussab Al Zarkaoui, auraient posé les bases de la future organisation « Etat islamique ».
Les chiites, voilà l’ennemi
Al-Baghdadi y est emprisonné de février à décembre 2004. C’est un prisonnier modèle, utilisé par les gardiens américains comme une sorte de représentant des prisonniers, chargé de régler les conflits entre eux. « Il était très respecté par l’armée américaine, a assuré la source du Guardian, lui aussi incarcéré à Bucca. S’il voulait rendre visite à quelqu’un dans un autre camp, il pouvait mais pas nous ». Al Baghdadi fait le lien entre les djihadistes emprisonnés. Aujourd’hui, les autorités irakiennes estiment que 17 des 25 principaux leaders de l’EI ont fait un séjour dans la prison de Bucca.
Une fois libéré, al-Baghdadi reprend le chemin du djihad en Irak. Mais à bas bruit. Décapitée par la mort d’Al Zarkaoui tué par les Américains en 2006, la filiale d’al-Qaïda en Irak se délite. Et c’est une organisation très affaiblie que reprend officiellement al-Baghdadi qui se fait alors appeler Abou Doua, en 2010. Il profite de la mort du chef de l’organisation, alors rebaptisée Etat islamique d’Irak, dont il était l’adjoint.
Premier accroc à l’orthodoxie djihadiste de l’époque: l’Irakien se fait tirer l’oreille pour faire allégeance à l’égyptien al-Zawahiri le bras droit de Ben Laden. Il y a entre les deux hommes une véritable différence stratégique. Alors qu’al-Qaïda veut poursuivre la lutte contre l’ennemi extérieur, l’Occident, les Irakiens d’al-Baghdadi préfèrent le djihad de proximité, la guerre contre le pouvoir central de Bagdad et plus généralement l’élimination de tout ce qui ressemble à un chiite en Mésopotamie.
L’exécution de Ben Laden par les Navy Seals à Abbotabad au Pakistan en 2011 va lui donner l’occasion de se mettre sur le devant de la scène. Ses hommes multiplient les attaques-suicides pour venger la mort du chef terroriste. Cette vague de terreur aveugle qu’il revendique pousse les Américains à le déclarer comme ennemi public. Les Etats-Unis l’inscrivent sur la liste des plus dangereux terroristes recherchés.
« La religion de la guerre »
Mais c’est la guerre civile qui éclate dans la Syrie voisine à ce moment-là qui va donner des ailes à celui qui est devenu le chef terroriste le plus dangereux du monde. Les islamistes les mieux implantés à ce moment-là en Syrie sont les affiliés d’Al-Qaïda regroupé dans le Front al-Nosra. Mais al-Baghdadi et ses hommes entendent prendre la suprématie de la rébellion dans la région. Le successeur de Ben Laden, Ayman al-Zawahiri propose une fusion entre les deux groupes et envoie un émissaire la négocier sur place. Las ! L’Etat islamique d’Irak et du Levant d’al-Baghdadi s’empresse de l’assassiner. S’ensuivent des mois de fitna (querelle) c’est-à-dire d’affrontements armés entre les deux factions djihadistes en Syrie. Et petit à petit, les troupes d’al-Baghdadi plus féroces prennent le dessus, notamment grâce à l’arrivée de milliers de combattants étrangers venus de la région mais également du Caucase et de l’Europe. Les premiers djihadistes français arrivent en Syrie et beaucoup s’enrôlent chez al-Baghdadi, qui les paient mieux que le camp d’en-face. Le tarif ? Selon les djihadistes contactés par nos soins à l’époque, la solde est de 50 dollars par mois à laquelle s’ajoute le partage du « butin », le fruit du pillage largement encouragé par l’Etat islamique mais beaucoup plus encadré chez al-Nosra.
Cette considération financière ajouté à une ultra-violence complaisamment mis en scène sur les réseaux sociaux ont fait de l’organisation « Etat Islamique » et de son calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi , les maîtres d’un territoire comprenant la moitié de la Syrie et l’immense province désertique d’Al-Anbar en Irak.
Al Baghdadi est-il toujours le chef ? Certaines informations, démenties par le Pentagone font état d’un leader traqué et grièvement blessé dans une attaque aérienne de la Coalition en mars dernier. Seule certitude, le dernier message audio du Calife autoproclamé date de mai dernier. L’ancien petit secrétaire administratif, binoclard et peu doué pour les études devenu apôtre de l’ultraviolence fanatisée n’avait pas mâché ses mots : « l’Islam n’a jamais été une religion de la paix, proclamait-il. L’Islam est la religion de la guerre ». Tout un programme.