Les journalistes Antoine Glaser (fondateur de l’excellente « Lettre du Continent ») et Pascal Airault (« L’Opinion »), dans leur livre « Le piège africain de Macron », font le portrait paradoxal d’un Président qui s’est piégé par sa propre volonté de s’émanciper des vieux schémas françafricains. Ce parti pris particulièrement bienveillant pour la politique africaine de l’Elysée, nous ne le partageons absolument pas à Mondafrique
Nous sommes le 21 décembre 2019 à Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire. Le groupe Magic System, qui avait animé la soirée électorale de la victoire du 7 mai 2017 d’Emmanuel Macron, entonne un « joyeux anniversaire » devant un Président français gêné aux entournures et qui fête ses 42 ans. Pendant ce temps, Brigitte Macron et Dominique Ouattara s’affairent pour l’aider à souffler les bougies.
Digne d’un remake d’une énième version de la Françafrique, cette scène pathétique ne portera guère à conséquence, à court terme. Quelques mois plus tard, Alassane Ouattara annonce sa décision de ne pas se représenter à l’élection présidentielle d’octobre 2020. Avant de se raviser après le décès de son premier ministre et dauphin et de se refaire réélire avec un score à la soviétique. Le Président Macron, qui espérait haut et fort que son homologue ivoirien incarne l’exemple démocratique en Afrique francophone, ne peut que faire part de sa « déception ». Et encore, pas trop bruyamment.
Une interview en roue libre
Le principal intérêt de l’ouvrage d’Antoine Glaser et de Pascal Airault est une (très) longue interview en roue libre et brut de décoffrage – c’est rare ! – d’Emmanuel Macron, réalisée le 25 septembre 2020.
L’on y apprend que le Président est venu à l’Afrique par la pensée. D’abord celle de la revue Esprit, « qui avait réinvesti les questions africaines par l’antitotalitarisme ». Puis par les réflexions de Michel Rocard sur l’Algérie (« sa dénonciation, son engagement, au moment de la guerre d’Algérie »). Et, enfin, avec le philosophe Paul Ricoeur, « à l’occasion d’un travail sur l’Afrique du Sud. C’est ce qui a inspiré ce qu’on a voulu lancer sur le Rwanda et le travail mémoriel ».
Emmanuel Macron découvre physiquement le continent lors de sa scolarité à l’ENA. « Je demande à aller en Afrique, mais pas dans un pays francophone. Je n’ai pas eu de problème, parce que personne ne demandait le Nigéria, c’est en quelque sorte le choix du cancre. Là-bas, j’ai été très heureux. J’ai découvert ce que j’aime en Afrique. D’abord, une espèce de destin où tout semble à la fois toujours bloqué et toujours possible. Ils n’ont aucun complexe par rapport à la France, parce qu’elle n’existe pas vu de Lagos ».
De ce que l’on comprend, ce stage nigérian et son souvenir heureux inspirera, des années plus tard, la politique africaine voulue par un Emmanuel Macron devenu Président. Au détriment du vieux pré-carré françafricain dont certains dirigeants sont arrivés au pouvoir alors qu’il était encore en culottes courtes.
Sûr de l’aura que lui confère sa jeunesse, Emmanuel Macron n’hésite pas à balayer le passé d’un « la Françafrique ne m’obsède pas. Ce truc va passer… C’est générationnel » dont il ne faut pas être devin pour prédire qu’il lui reviendra dans la figure tel un boomerang. Mais en attendant, dans l’imaginaire macronien érigé en doctrine, cela devient : « c’est une transition profonde, de ce qui était une politique de pré carré à une transformation où l’on parle à tout le monde, où l’Afrique devient un partenaire du multilatéralisme, où l’on échange les axes en parlant de développement, d’économie, de dialogue. On parle de sport, de culture, de langues. On parle à une autre génération. (…) L’Afrique anglophone est pour nous une ligne d’action pour sortir du pré carré. (…) On pourrait inventer beaucoup de choses par ce regard qui est dépollué ».
Sauf que dans les faits, la dégradation de la situation sécuritaire dans un Sahel perclus de terrorisme, de jeux d’influence troubles et d’enjeux ethniques s’est imposée au sommet de l’agenda français en Afrique, repoussant sine die le sport, la culture ou les langues. Avec un redoutable piège politique à la clé pour le Président français : pendant que les dirigeants du Sahel clament la main sur le cœur, comme le raconte Emmanuel Macron, « on a besoin de la France, sinon on ne tient pas », ces mêmes exécutifs sahéliens tiennent un discours anti-français à destination de leurs opinions publiques.
Les potentats intouchables
Tenant là leur revanche sur le Président français qui tend à les snober, les madrés chefs d’Etat du pré carré françafricain en profitent pour le mettre devant le fait accompli. C’est par exemple le cas de Denis Sassou N’Guesso du Congo, qui vient de se faire introniser pour un quatrième mandat présidentiel, ou de l’Ivoirien Alassane Ouattara qui, malgré ses promesses, s’est fait réélire pour un troisième mandat. Mais on pourrait tout aussi bien citer le Gabonais Ali Bongo ou le Camerounais Paul Biya qui préparent activement leur progéniture à reprendre le flambeau du pouvoir. Sans entraîner de protestations publiques françaises et au mépris des populations locales qui en blâment… la France !
Dans son interview fleuve accordée à Antoine Glaser et Pascal Airault, Emmanuel Macron revient en détail sur le jeu des autres puissances étrangères actives en Afrique. De façon lucide : « Notre présence militaire est mal prise par une partie de la population qui ne comprend pas ce qui se passe. Je me méfie toujours de la société civile et des réseaux sociaux largement financés par les Turcs et les Russes. (…) Et je suis un peu confondu par la naïveté, souvent, des journalistes radiophoniques français qui sont là-bas. Ils se font totalement empapaouter par un discours… (…) On a construit une honte de nous-mêmes en Afrique qui nous handicape. (…) Les Russes et les Turcs ne veulent pas du tout le développement de l’Afrique. Ils sont néocoloniaux. (…) Vous avez un modèle qui est beaucoup plus intrusif, qui repose sur des éléments d’intrusion économique : c’est le modèle chinois. Et, ensuite, vous avez des modèles d’influence qui ont été le wahhabisme (courant de l’islam se réclamant du sunnisme en Arabie Saoudite) et qu’on a laissé prospérer pendant des décennies. Aujourd’hui, c’est le Qatar et la Turquie des Frères musulmans. ».
On s’étonne que, parmi ses puissances étrangères développant une influence en Afrique, Emmanuel Macron ne mentionne pas Israël qui a su discrètement tisser sa toile dans des pays tels que le Rwanda, le Cameroun ou la Guinée Equatoriale. Et plus uniquement dans les domaines sécuritaires ou du renseignement.
Mais quelles alternatives aux Turcs, Chinois et autres Russes la France propose-t-elle à ses partenaires africains ? C’est bien là une condition sine qua non au succès du multilatéralisme prôné par Emmanuel Macron. Quels plans d’action la France échafaude-t-elle pour ne pas se retrouver exclue du jeu comme en Centrafrique ? A part expliquer naïvement qu’il faut demander à ces pays « de la neutralité » et rappeler que la France a « un modèle de coopération qui est transparent. C’est le modèle occidental, parce que l’Europe et les Etats-Unis font pareil » Emmanuel Macron ne propose que de belles phrases.
Comme le rappellent à juste titre Antoine Glaser et Pascal Airault, « sur un continent mondialisé redevenu géostratégique, la France ne pèse guère plus que par son armée dans le Sahel et quelques empires économiques familiaux ». Mais le Président ne rêve que de conquêtes en zone anglophone que deux mandats présidentiels ne suffiraient pas à atteindre.
Caroline Bright
*« Le piège africain de Macron », d’Antoine Glaser et Pascal Airault, éditions Fayard, mars 2021.
Encadré
Les perles africaines d’Emmanuel Macron
Au sujet du Burkina Faso : « il y a un problème avec l’armée. Le Burkina est un pays de coups d’Etat. Le président Kaboré a lui-même dévitalisé son armée. Soyons clairs, il ne veut pas la réformer. Donc, c’est un modèle auto-entretenu, parce qu’il aura besoin durablement de puissances étrangères, car il a une défiance vis-à-vis de sa propre armée ».
Au sujet du Mali : « Le Mali ne s’est pas donné les moyens d’avoir une armée autosuffisante. La preuve : la première chose que la junte a faite, après son coup d’Etat militaire (au mois d’août 2020) c’est de réitérer sa demande de soutien de la force française Barkhane. C’est la première chose que les putschistes nous ont demandée, ainsi que le président de transition, pas plus tard qu’hier ».
Au sujet de l’Algérie : Quels sont les groupes armés qui destabilisent les Etats ? Le principal ennemi terroriste qui destabilise les Etats est l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), dans la zone des trois frontières. Depuis la réorientation décidée à Pau, on a eu de vraies victoires contre cet ennemi et on a avancé. Il y a ensuite le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), d’Iyad Ag Ghali. Là, en effet, il y a un sujet qui touche de très près l’Algérie. Il y a besoin qu’elle se réinvestisse. »
Au sujet de la Mauritanie : « C’est un modèle qui a marché sur le plan sécuritaire, mais pas du tout sur le plan politique. (…) Il y a la charia, des journalistes en prison. C’est la réalité. C’est un modèle très sécuritaire. Il est stable parce qu’il est plus périphérique que d’autres routes. Ils ont pu s’en sortir ».