Said Houssein Robleh, jeune député djiboutien, a été blessé par balle, le 21 décembre 2015, lors d’une manifestation de l’opposition. Entretien
Serge Mucetti a quitté le 31 décembre 2015 son poste d’ambassadeur de France à Djibouti, laissant derrière lui un souvenir amer. Il aura, pour les Djiboutiens, totalement raté sa sortie à travers une gestion peu courageuse des suites de la répression d’une manifestation pacifique de l’opposition qui s’est soldée par au moins 27 morts, près d’une centaine de blessés et des dizaines d’arrestations (1).
Asile impossible
Le jeune député d’opposition Said Houssein Robled ne comprend toujours pas pourquoi l’ancien ambassadeur de France à Djibouti sur le départ a déchiré sa demande d’asile politique en France.
« Il ne m’a même pas dit que la demande allait être examinée, affirme le député présent en France pour des soins. Pour moi, la France n’a pas du tout été à la hauteur à Djibouti ».
S’appuyant sur un vidéo-amateur, le député a montré récemment dans les locaux d’Amnesty international à Paris la charge le 21 décembre 2015 des forces de l’ordre djiboutiennes contre la réunion pacifique des opposants dans un domicile privé.
On y voit des policiers tirer des gaz lacrymogènes puis faire feu avec des balles réelles à bout portant à plusieurs reprises. Faute d’infrastructures de qualité dans le pays, les blessés ont été transportés à l’hôpital médico-chirurgical Bouffard appartenant aux forces françaises de Djibouti.
Des blessés sans soins
« Au su et au vu des autorités françaises, la gendarmerie djiboutienne a installé un barrage devant l’hôpital Bouffard. Des blessés étaient empêchés d’y accéder tandis que d’autres qui sortaient étaient immédiatement arrêtes » a raconté le député qui devait se rendre à Bruxelles après Paris.
« C’est le cas, a-t-il ajouté, du secrétaire général de l’Union pour le salut national (USN, coalition de l’opposition) Abdourahamane Mohamed Guelleh arrêté à sa sortie de Bouffard malgré une grave par balle et incarcéré depuis lors à la prison centrale de Gabode, sans soins appropriés ».
Il aura finalement fallu attendre le départ de Mucetti et l’arrivée début janvier du nouvel ambassadeur de France à Djibouti Christophe Guilhou pour que la France affiche un semblant de fermeté envers le pouvoir du président Guelleh.
Complaisances françaises
« Après mon opération chirurgicale, j’ai essayé de revenir à Bouffard. Mais l’accès à l’hôpital m’a été refusé. Il m’a fallu attendre le 5 janvier 2015, soit cinq jours après le départ de l’ambassadeur français Serge Mucetti et l’arrivée de son remplaçant pour que je puisse revoir mon chirurgien à Bouffard », s’est indigné le député.
Pour lui, le changement d’ambassadeur à Djibouti ne va pas forcément se traduire par une nouvelle politique de la France dans ce petit Etat de la Corne de l’Afrique peuplé de 700.000 habitants et indépendant depuis 1977.
« L’arrivée du remplaçant de Mucetti s’est vite ressentie à travers l’amélioration de l’accès à Bouffard, a expliqué le jeune député djiboutien. Mais sur le long terme, je ne suis pas sûr que changement d’ambassadeur rimera avec changement de politique ».
A Djibouti, l’enjeu pour la France n’est ni la promotion des droits de l’homme et de la démocratie, encore moins l’alternance pour trouver un successeur à Ismaël Omar Guelleh au pouvoir depuis 1999. La seule chose qui compte pour Paris, c’est le maintien sur place de sa base militaire, la plus grande à l’extérieur avec près de 1700 hommes.
Au nom de cette rente géostratégique, Paris n’a pas hésité à traîner les pieds dans l’enquête sur les circonstances exactes de la mort du juge Barnard Borrel en octobre 1995 à Djibouti.
Graves tensions pré-électorales
La manifestation du 21 décembre 2015 n’est qu’une facette des convulsions politiques qui secouent le pays à quelques semaines de la présidentielle prévue en avril 2016 et à laquelle Omar Guelleh devrait se présenter pour solliciter un quatrième mandat.
Regroupée au sein d’une coalition dénommée USN, l’opposition a décidé d’aller au scrutin sous certaines conditions, notamment la libération de tous les prisonniers politiques et la création d’une commission électorale nationale indépendante (CENI).
Rien n’indique aujourd’hui que le pouvoir accédera à ces demandes. Le scepticisme est alimenté par le refus du pouvoir de mettre en œuvre plusieurs points de l’accord déjà signé avec l’opposition en décembre 2014 afin de sortir le pays de la crise qui a suivi les législatives de 2013. Alors que les dix députés de l’USN ont repris le chemin de l’Assemblée nationale, le président Guelleh n’a ni procédé à la création de la CENI, ni même à l’adoption du statut de l’opposition.
Toutefois, l’absence d’une solution politique pourrait cette fois-ci conforter les partisans de l’option militaire, soutenue principalement par le Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie à Djibouti (FRUD).
Selon une bonne source, les affrontements armés entre rebelles et forces de défense et de sécurité djiboutiennes se sont intensifiés ces dernières semaines. Signe de cette recrudescence de la lutte armée, le FRUD a attaqué la semaine dernière la localité de Lac Assal, à seulement 55 km de Djibouti-ville.
Il faut donc craindre que la répression du président Guelleh et la complaisance de la France et du reste de la communauté internationale ne basculent Djibouti dans la guerre civile, à l’image de celle que le pays a connue au début des années 1990.
(1) Il demeure un mystère autour du cas de l’ambassadeur Serge Muceti. La plupart des opposants dénoncent sa complaisance envers le régime de Djibouti. Pourtant ce diplomate a du quitter ses fonctions précipitamment à la demande expresse des autorités de ce pays, une demande que le quai d’Orsay a jugée fondée.