En 40 ans, le Lac Tchad, un des plus grands lacs d’eaux douces au monde, aura perdu 80% de sa superficie. Abordé lors de la 21 ème la conférence des Nations unies sur le climat (COP21) qui se tient jusqu’au 11 décembre 2015 à Paris, son sauvetage est un enjeu écologique, économique et sécuritaire pour les pays de la région.
Peau de chagrin
« Dans les années 1980, le Lac Tchad était à 15 km seulement de Nguigmi, à l’est du Niger. Nous y allons à pied tous les jours pour cultiver le champ familial », se souvent avec nostalgie le Nigérien Adam Maïna, passé de la terre à la diplomatie. Comme lui Abba Kaka Seydina rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, la navigation était encore possible sur ce Lac dont les eaux coulent entre le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad. « Des bateaux venaient régulièrement chercher le poisson et ramenaient les récoltes. C’était encore possible de naviguer sur le lac dans les années 1970. Les choses ont commencé à changer juste au moment du coup d’Etat de Seyni Kountché en avril 1974 au Niger », ajoute Abba Kaka, qui vit encore à Bosso, à l’est du Niger, dans l’ancien lit du Lac Tchad.
On y pratiquait alors sur les 25000 km2 de superficie du Lac Tchad la culture des fruits et légumes pour la consommation familiale et locale, la culture des céréales pour la subsistance et l’exportation principalement vers le marché nigérian. « Une famille pouvait récolter deux cents sacs de sorgho ou de maïs. Une partie de la récolte était gardée pour la consommation familiale et l’autre partie revendue. La région était prospère », témoigne, entre colère et nostalgie, Mallam Boukar, un habitant de Diffa.
Au milieu de sa gloire, le Lac Tchad était surtout réputé pour la pêche qu’on y pratiquait. Des dizaines de tonnes de poisson étaient sorties des eaux puis séchaient au soleil. Le poisson séché ou fumé, plus connu sous le nom local de banda, était ensuite convoyé dans des Toyota 4X4 vers le marché de Maiduguri, la capitale de l’Etat du Bornou, au Nigeria, vers des villes du Cameroun, du Niger et du Tchad. « A cette époque, on ne compte pas le nombre de personnes qui ont fait fortune dans le commerce du poisson pêché. Les gens empruntent pour acheter des Toyota qu’ils remboursent en une seule campagne ; l’argent circulait partout », jure Goni Mallam Seyndina, un habitant de Gashagar, sur la rive nigériane de la Komadougou-Yobé. Mais le Lac, c’est aussi sa diversité faunique et écologique. On y trouvait des espèces rares et même la vache Kourie, une variété de vache unique au monde qui a suscité l’intérêt scientifique de l’Université de Bologne en Italie.
La descente aux enfers
De ces « trente glorieuses », il ne reste plus grand-chose. Sur les 25000 km2 de superficie évaluée en 1963, il reste à peine de 2000 km2. Il faut désormais parcourir 100 km de son ancien lit à Bosso, est du Niger, pour espérer trouver le Lac Tchad. Il n’y a quasiment plus que quelques parties navigables avec des pirogues traditionnelles. Les eaux sont menacées par les herbes aquatiques. La baisse de la pluviométrie dans la région a accéléré le processus d’assèchement du Lac alors que ses affluents que sont le Chari et le Longo (Centrafrique), la Komadougou Yobé (Niger, Nigeria) ont cessé d’y drainer leurs eaux. Faute de mieux, les populations se concentrent sur le versant sud du Lac. Là où des activités de pêche et d’agriculture sont encore possibles. « Les paysans arrivent à faire 20 sacs de maïs pendant la bonne saison. On est loin des 200 sacs ou des dizaines de tonnes de poisson qui étaient péchées ici, si rien n’est fait, on ne parlera plus d’activités économiques au bord du Lac Tchad », met en garde le vétérinaire nigérien Salissou Rabo.
Au péril écologique est venue se greffer ces deux dernières années, la menace terroriste apportée par la secte islamiste Boko Haram. Après plusieurs incursions menées sur des iles du Lac par des éléments du chef terroriste Abubakar Shekau, les armées nigériane et tchadienne ont organisé des ripostes qui ont obligé les populations à s’en fuir sur la terre ferme au Niger, au Nigeria, au Cameroun et Tchad. Il reste que la solution sécuritaire ne suffira pas. Avec le soutien de la communauté internationale, les 4 Etats riverains du Lac, regroupés depuis 1964 au sein de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) envisagent, entre autres solutions, le transfert des eaux du Chari et Logon vers le lac.
A cet effet, une conférence des donateurs a été organisée en avril 2014 en Italie. L’ancien Premier du Conseil italien Romano Prodi, également ancien président de la Commission européenne, a apporté son soutien au sauvetage du Lac. La mobilisation internationale a été à nouveau relancée dès l’ouverture de la COP 21 avec le plaidoyer des présidents du Cameroun, du Niger et du Tchad pour obtenir le financement du plan de sauvetage du Lac Tchad estimé à 31,5 millions d’euros. Si rien n’est fait, le Lac Tchad pourrait disparaître dans les 20 prochaines années. Le pire scénario pour les 20 millions de personnes qui dépendent de ce cours d’eau.