Niger, la commission de lutte contre la corruption dans la tourmente

Après seulement un peu plus d’un an de fonctionnement, le bureau de la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (ColDEFF), a été balayé, puis remplacé par une nouvelle équipe. Reste maintenant à savoir si ce changement de bureau suffira pour tenir la promesse du pouvoir militaire de transition de lutter sans faiblesse contre la corruption et toute autre forme de délinquance financière.

Par Niandou Kindo, à Niamey

Fin de partie pour le colonel de gendarmerie Abdoul Wahidou Djibo, président et ses autres collègues du bureau de la CoLDEFF : leur sort a scellé le 25 janvier 2025 lors d’une réunion de crise autour du président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), le général Abdourahamane Tiani. Depuis plusieurs semaines, plus rien ne marchait entre le président et la vice-présidente de la CoLDEFF Mme Saadé Laminou Tchiroma dont les querelles ont fini par s’étaler au grand jour, y compris dans les médias.

La guerre des chefs

La « guerre des chefs » a gravement impacté le fonctionnement de cette commission chargée de mener la délicate mission de traquer les délinquants économiques et financiers pour remettre l’Etat du Niger de rentrer dans tous ses droits qui ont été dilapidés et spoliés, depuis plus d’une décennie.

A l’issue de cette réunion qui a mobilisé l’ensemble des Commissaires de la CoLDEFF, le Chef de l’Etat décida le 25 janvier 2025 de suspendre immédiatement l’ensemble du bureau paralysé par la querelle des chefs.

Puis, deux jours plus tard, au cours d’une réunion plénière organiséé le lundi 27 janvier 2025, sous la supervision des services de la Présidence de la République, les commissaires ont été invités à élire les membres d’un nouveau bureau. Une façon, sans doute, pour le général Abdourahamane Tiani de laisser le soin aux membres de la CoLDEFF de gérer eux-mêmes leur cuisine interne.

Toujours est-il que c’est le nouveau bureau issu du vote des Commissaires qui a été validé par le président du CNSP, le général Tiani, à travers le décret 2025-57/P/CNSP du 29 janvier 2025 portant nomination des membres du Bureau de la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (COLDEFF). Le nouveau bureau est ainsi présidé par le colonel des Eaux et forêts Zennou Moussa Aghali, secondé par le vice-président, M. Abdourahamane Chaibou Batouré, avec aux postes de Secrétaire général M. Saley Moumouni Elhadj Abdou, de 1er rapporteur M. Soli Abdoulaye et de 2ème rapporteur M. El Hadji Sani Kanta Lamine.

En prélude à l’entrée en fonction du nouveau bureau, une inspection d’Etat a été aussitôt diligentée pour passer aux peignes fins la gestion du bureau sortant. Pour l’heure, en dépit de quelques spéculations répandues à travers certains médias de la place, cette inspection n’a pas encore livré ses secrets.

De l’espoir à la désillusion

En réalité, cette mésentente entre les dirigeants de l’ancien bureau constitue une difficulté parmi tant d’autres qui pèsent sur la CoLDEFF. Parmi ces difficultés, il y a la désillusion et la crise de confiance qui se sont installées au fil du temps entre la Commission et l’opinion publique.

Il se trouve que l’initiative de la création de la CoLDEFF, à travers une ordonnance signée par le général Tiani, a rencontré une très forte adhésion du peuple nigérien. En effet, l’institution était alors perçue comme une arme impitoyable et infaillible de justice, voire de représailles, contre de nombreuses personnes qui, bien qu’ayant été citées dans plusieurs scandales de détournements massifs des deniers publics ayant défrayé la chronique, continuent de circuler en toute impunité dans les rues de Niamey.

L’espoir d’engager une croisade sans merci contre la corruption était d’autant plus permis que, lors de son message à la Nation du 18 décembre 2023, le général Abdourahamane Tiani était ferme sur la question. « Nous avons fait le serment de remettre l’Etat dans ses droits ; pas de répit ni de pitié pour ceux qui ont spolié les biens de l’Etat”, avait-il promis.

Mais, après un peu plus d’un an d’exercice, force est de constater que les résultats enregistrés par la CoLDEFF demeurent mitigés, à en juger par les récentes appréciations qui dominent l’opinion nationale. C’est ainsi que sur le plan des recouvrements, le bilan annuel annoncé en date du 1er décembre 2024 s’élève à 57.150.983.691 FCFA. Un montant certes considérable à certains égards, mais que beaucoup d’observateurs n’ont pas hésité à qualifier de dérisoire, comparé aux 400 milliards FCFA annoncés presque à la même période par le Mali dans sa croisade contre la corruption.

Pour s’en défendre, la CoLDEFF invoque quelques entraves, dont l’impossibilité pour elle de procéder à des recouvrements pour des gros dossiers de scandales financiers qui sont pendants devant la justice. Elle invoque également d’autres difficultés liées au fait que, pour beaucoup d’autres dossiers portant sur d’importants cas avérés de délinquance économique et financière, les principaux mis en cause ont fui pour s’établir à l’extérieur ; le faible impact financier de la majorité des rapports traités, et surtout le timide apport de la population en matière de dénonciation de cas avérés de délinquance économique et financière, malgré l’existence d’une sous-commission en charge de recevoir et de traiter les dénonciations. 

Des ‘’gros poissons’’ pas encore inquiétés

L’autre source de rupture de confiance apparue entre la CoLDEFF et les citoyens, c’est de constater que la foudre tant attendue de l’institution tarde encore à s’abattre sur ces ‘’grosses proies’’ toutes désignées, que beaucoup de gens espèrent voir, en plus de rendre gorge pour remettre l’Etat dans ses droits, placées sous les verrous, histoire de se convaincre le combat contre le règne de l’impunité est réellement engagé au Niger.

Mais là aussi, l’emprisonnement des ‘’gros poissons’’ ne semble pas être au centre des priorités de la CoLDEFF, dont la mission principale, telle que définie à l’article 2 de l’Ordonnance N° 2023-09 du 13 septembre 2023, accorde plus de place surtout au recouvrement des avoirs dus à l’Etat et ses démembrements.

Il est vrai que la question du traitement pénal de certains dossiers fait l’objet de l’article 22 de ladite ordonnance, stipulant que “lorsque le traitement d’un dossier fait apparaître des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, la CoLDEFF transmet le rapport de ses investigations au Procureur de la République compétent aux fins de poursuites judiciaires”.

Cependant, le même article précise à son alinéa 2 que la CoLDEFF peut « toutefois conclure une transaction avec le mis en cause et dans ce cas, l’action publique est éteinte’’. Et, c’est cette dernière option qui semble avoir présidé dans la conduite des actions de la Commission qui, dans la plupart des cas, privilégie le recours à la transaction afin d’obtenir des mis en cause le remboursement des dommages causés à l’Etat du Niger. Même pour les quelques rares cas où des mis en cause ont été placés sous mandat de dépôt, les indélicats se sont très vite ravisés en versant les sommes dues en vue de faciliter leur remise en liberté.

D’où la grande déception ressentie par un grand de citoyens qui, par désir de vengeance ou par volonté de manier l’arme de la sanction pénale en guise de leçon, s’attendaient à assister à des arrestations en masse des pontes de l’ancien régime.

Sous serment coranique

Cette déception est d’autant plus grande que la CoLDEFF, dont les membres ont prêté serment sur le Saint Coran en jurant de respecter certaines valeurs, dont celle de la discrétion, passe sous le silence absolu les noms des personnes mises en cause dans des affaires de corruption et de détournements de fonds publics. Ce que beaucoup d’observateurs ont de la peine à accepter, en arguant que c’est là une façon flagrante de protéger les ‘’grands voleurs’’ alors que, chaque semaine, ce sont des dizaines de ‘’petits voleurs de marmite’’ qui sont présentés à la télévision nationale par les services de la police.

Aussi, pour relever le défi de faire mieux que l’équipe du Colonel Abdoul Wahidou Djibo, et de reconquérir la confiance du peuple nigérien en se rapprocher au plus près de sa mission, le nouveau bureau dirigé par le Colonel Zennou Moussa Aghali aura fort à faire en tâchant de surmonter ces entraves et de rafistoler certains points de rupture. Ce qui pourrait nécessiter dans certains cas une modification des textes régissant la CoLDEFF en vue d’insuffler une dynamique nouvelle à la machine de la lutte contre la corruption et autres actes assimilés, au Niger. Les militaires au pouvoir à Niamey savent qu’ils sont très attendus sur ce terrain de lutte contre la délinquance financière.