ALECA/TAFTA : Deux Accords de libre-échange, deux positions françaises !
par Ezzddine Ben Hamida,
Docteur en Sciences économiques. Professeurs de Sciences économiques et sociales.
La France a réclamé, fin septembre 2016 lors de la rencontre des ministres du commerce extérieur à Bratislava (Slovaquie), l’arrêt des négociations sur le traité de libre-échange transatlantique (Trans-Atlantic Free Trade Agreement). Paris dénonçait en effet le fait que les discussions soient trop déséquilibrées entre les Etats-Unis et l’Europe : « Les positions entre les deux camps seraient encore très éloignées. » avait déclaré Matthias Fekl, à l’époque Secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur.
1/ TAFTA : « Un projet déséquilibré »
Déjà, dès le mois d’août 2016 monsieur Fekel avait annoncé la couleur des intentions françaises : « Ce que demande la France, c’est l’arrêt pur, simple et définitif de ces négociations. Pourquoi ? Parce qu’elles ont été engagées dans l’opacité. Il faut un coup d’arrêt net, clair et définitif pour ensuite pouvoir reprendre des discussions sur de bonnes bases. » a-t-il déclaré sur les ondes de RMC le mardi 30 août 2016 (voir le Monde du mercredi 31 août).
Le même jour, lors de la conférence des ambassadeurs, François Hollande, avait indiqué que les discussions ne pourraient aboutir : « La négociation s’est enlisée, les positions n’ont pas été respectées, le déséquilibre est évident. » avant de préciser « Alors, le mieux c’est que nous en fassions lucidement le constat et plutôt que de prolonger une discussion qui sur ces bases ne peut aboutir. »
D’après M. Fekel « Les Américains ne donnent rien ou alors des miettes (…), ce n’est pas comme ça qu’entre alliés on doit négocier » s’est-il exclamé. Soulignant que « les relations ne sont pas à la hauteur entre l’Europe et les USA ». En clair, les négociations menées par la Commission européenne au nom des 28 Etats-membres de l’Union, souffrent d’un trop grand déséquilibre au profit de Washington.
2/ ALECA : Une opportunité pour la Tunisie. Vraiment?
L’Accord de libre échange complet et approfondi proposé par l’UE à la Tunisie fait l’objet, de la part des autorités françaises, de toute une autre analyse. Il est considéré comme étant une opportunité à saisir, une occasion pour les Tunisiens d’intégrer l’espace européen : « (…) les négociations [à propos de l’ALECA] ont débuté en octobre 2015, pour privilégier une intégration économique plus étroite entre l’UE et la Tunisie et permettre d’ancrer davantage la Tunisie à l’Union, qui constitue son principal partenaire commercial (80% de ses échanges commerciaux). Preuve de ces liens solides entre l’Union et la Tunisie,(…). » on peut ainsi lire sur le site de l’ambassade de France à Tunis.
Monsieur Patrice Bergamini (d’origine française), ambassadeur de l’UE en Tunisie, ancien chef des renseignements européens, spécialisé dans les questions de défense et de sécurité, a soutenue récemment, lors d’une interview accordée, fin janvier 2018, à M. Thameur Mekki (Nawaat.org, voir la vidéo), le fait que l’ALECA est une opportunité pour les entreprises tunisiennes car elles vont pouvoir accéder à un marché de plus de 500 millions de consommateurs : « Cet Accord est une des facettes des relations essentielles que nous sommes en train de construire à l’horizon 2020/2030 ; il s’agit d’un partenariat d’exception parce que, d’un point de vue économique et commercial, cela va permettre un meilleur arrimage entre les deux économies : d’un côté 500 millions de consommateur et de l’autre la Tunisie. » a-t-il déclaré avec beaucoup d’assurance.
Cependant, pour répondre à l’empressement du journaliste à propos des inquiétudes légitimes des entrepreneurs tunisiens quant aux risques de perte de compétitivité de leurs entreprises face aux géants européens, l’ambassadeur s’est montré gêné, après quelques mimiques et gesticulations sur son fauteuil, il déclara : « Je ne comprends pas cette argumentation, (…) il y a beaucoup de mauvaises littératures à ce sujet ; on a un précédent Accord d’association de 1995 sur les produits industriels, ce n’est pas moi qui le dit, se sont les chiffres officiels tunisiens : 178% de hausse des exportations tunisiennes vers l’UE, 3000 entreprises qui sont venues s’installer ici, 300.000 emplois directs crées. »
Alors là, la boutade est franchement grosse ! Monsieur l’ambassadeur est sans doute trop fâché avec les chiffres, car en réalité : il y a aujourd’hui à peine 1300 entreprises étrangères qui opèrent en Tunisie. La présence de ces unités de production revient à la générosité de la loi de 1972 sur les entreprises offshore et nullement à l’Accord de Barcelone de 1995. Elles emploient environ 130.000 personnes et il s’agit d’emplois peu qualifiés ; rare sont les entreprises ayant permis un vrai transfert technologique. Pis, notre déficit commercial avoisine aujourd’hui les 25 milliards de dinars, l’essentiel de ce déficit provient de l’asymétrie de nos échanges avec l’UE.
Pour convaincre les récalcitrants, Patrice Bergamini insista « Cet Accord [l’Accord de 1995] a inspiré tous les pays de la région ; tous les autres pays de la région ont voulu avoir exactement le même Accord » a-t-il dit, en ajoutant « il y a un truc tout simple qu’il faut avoir à l’esprit, aussi : plus d’arrimage implique plus d’harmonisation des normes ; ainsi les produits tunisiens vont bénéficier des stampes européens, c’est-à-dire une démultiplication des capacités d’exportation des entreprises tunisiennes vers d’autres marchés mondiaux.»
Le représentant européen ne peut ignorer que les résultats du programme de mise à niveau des entreprises tunisiennes qui a été mis en place dès 1996, suite à l’Accord de Barcelone, étaient loin d’être à la hauteur des attentes. C’est une expérience négative pour le tissu industriel tunisien. Ce sont les cabinets d’expertises européens qui en ont profité ; l’essentiel de l’enveloppe est allé directement engraisser ces bureaux d’études, qui ne sont autres que le bras droit de la Commission européenne. La mise à niveau de notre appareil productif non seulement est nécessaire, mais surtout elle est urgentissime. Pour ce faire, il faut commencer par réévaluer le dinar et aller prospecter du côté du sud-est asiatique.
Bilan :
En guise de conclusion, nous venons de montrer la position à géométrie variable des autorités françaises : Non pour le TAFTA, Oui pour l’ALECA ! Pour paraphraser monsieur Matthias Fekl, l’ancien Secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, ce n’est pas comme ça qu’entre alliés on doit négocier ; l’Europe ne donnent rien ou alors des miettes. Ce que nous demandons, c’est l’arrêt pur, simple et définitif de ces négociations. Il faut un coup d’arrêt net, clair et définitif pour ensuite pouvoir reprendre des discussions sur de bonnes bases. En effet, La négociation s’est enlisée, les positions n’ont pas été respectées, le déséquilibre est évident. Alors, le mieux c’est que nous en fassions lucidement le constat et plutôt que de prolonger une discussion qui sur ces bases ne peut aboutir. Les négociations menées par les Tunisiens souffrent d’un trop grand déséquilibre au profit des 28 Etats-membres de l’Union.
Citations relevées par Mondafrique :
Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Economie : « Aucun pays au monde, ni les Etats-Unis, ni l’Angleterre, ne s’est développé sous le régime commercial du libre-échange ».
Alternatives économiques : « Les premiers plaidoyers des économistes en faveur du libre-échange datent de la fin du XVIIIe siècle. En effet, historiquement, aucun pays ne s’est développé sans recourir au protectionnisme. Aux Etats-Unis, la question fut en partie à l’origine de la guerre de Sécession, qui opposa le Sud libre-échangiste (ses exportations agricoles l’y incitaient) et le Nord protectionniste (il s’agissait de se prémunir de la concurrence britannique). Le libre-échange est donc toujours surtout soutenu par les puissances dominantes qui n’ont rien à en craindre du fait de leur supériorité technique. C’est ainsi que l’Angleterre n’a milité pour le libre-échange que durant la seconde moitié du XIXe siècle et les Etats-Unis un siècle plus tard, une fois leur suprématie établie ».
Amadou Seydou Traoré, Mali : « Les migrants, ceux qui partent vers les pays du nord, ils ne font que suivre le chemin des richesses de leurs pays ».