Deux anciens banquiers d’Afriland First Bank auraient risqué leur vie pour dévoiler des malversations au sein de leur ancien établissement selon la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique
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(Paris, le 26 février 2021) – Deux lanceurs d’alerte congolais révèlent que leur ancien employeur, Afriland First Bank RDC, a abrité des réseaux de blanchiment d’argent et de contournement de sanctions internationales, a déclaré aujourd’hui la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF). Ces révélations ont donné lieu à des enquêtes de plusieurs médias internationaux qui seront publiées dans les jours à venir.
Les lanceurs d’alerte, Navy Malela et Gradi Koko, ont travaillé pendant plusieurs années au département d’audit d’Afriland First Bank, la filiale congolaise d’une banque camerounaise. Ils ont lancé l’alerte en interne, puis transmis des documents compromettants à des ONG et des journalistes, en prenant d’énormes risques pour leur sécurité personnelle, et celle de leur famille. Un d’entre eux a été sérieusement menacé et ils n’ont eu d’autres choix que de s’exiler en Europe.
L’avocat d’Afriland, Me Eric Moutet, a déclaré lors d’une conférence de presse à Kinshasa le 25 février 2021 que les deux lanceurs d’alerte avaient été condamnés à mort par un tribunal de Kinshasa en septembre. Le jugement reste introuvable malgré de nombreuses requêtes de PPLAAF et des médias. Si un tel jugement avait été rendu, il l’aurait été au détriment de l’ensemble des droits de la défense des deux lanceurs d’alerte.
« Il serait incroyable qu’on puisse condamner à mort des lanceurs d’alerte sans leur donner la possibilité de se défendre, et de ne pas poursuivre ceux qui permettent à l’argent du peuple congolais de disparaitre », a déclaré Navy Malela.
En juillet 2020, les informations de MM. Koko et Malela étaient déjà à la source du rapport « Des sanctions, mine de rien », publié par PPLAAF et Global Witness, et de publications de Bloomberg, Le Monde et Haaretz. Ces révélations avaient montré comment l’homme d’affaires Dan Gertler aurait établi un réseau de blanchiment d’argent pour échapper aux sanctions américaines prises contre lui et acquérir de nouveaux actifs miniers en RDC. Après la publication du rapport, des sénateurs américains avaient demandé au Trésor américain de punir les individus sanctionnés qui contournaient les sanctions par la création d’autres sociétés. Plus tard, une quarantaine de députés européens ont exigé que l’Union Européenne adopte un régime permettant de sanctionner des individus comme M. Gertler.
« Notre message pour le peuple congolais est celui de la prise de conscience collective », a déclaré Gradi Koko. « Nous devons nous lever pour mettre hors d’état de nuire ces réseaux qui se servent des richesses de notre beau pays ».
Les révélations, auxquelles ont participé Bloomberg, RFI, Haaretz, Africa Confidential, RTS, Actualite.cd et le Mail & Guardian, confirment entre autres qu’Afriland a permis à des proches de Dan Gertler de convertir en liquide des millions de dollars en euros et de les placer sur des comptes d’individus ou de sociétés écran liées à M. Gertler. Une de ces sociétés a reçu des prêts de dizaines de millions d’euros d’Afriland.
Le 15 janvier 2021, l’administration Trump a discrètement octroyé une licence permettant à Gertler et ses sociétés d’accéder au système financier américain jusqu’au 31 janvier 2022. Cette mesure de dernière minute du gouvernement américain levant de fait, pendant une année, les sanctions imposées au milliardaire israélien Dan Gertler, s’est attiré les critiques de membres du Congrès américain et de 30 ONG congolaises et internationales.
Les révélations montrent également que d’importants politiciens congolais, ainsi que des institutions congolaises, utilisaient Afriland.. Leurs comptes montrent des mouvements allant parfois jusqu’à plusieurs millions de dollars en espèces. Richad Muyej, gouverneur du Lualaba, a retiré des centaines de millions de dollars en liquide. En 2018 et 2019, des millions ont aussi été retirés du compte du Sénat congolais, en plein processus électoral.
Plusieurs sociétés soupçonnées d’appartenir à des financiers du Hezbollah, dont certaines sous sanctions américaines, ont également eu des comptes actifs à Afriland.
En août 2020, l’ONG The Sentry a montré comment des hommes d’affaires nord-coréens liés au gouvernement de leur pays ont utilisé Afriland pour participer à des opérations qui iraient à l’encontre des sanctions de l’Union européenne, de l’ONU et des États-Unis. Des nouvelles informations montrent que d’autres individus nord-coréens avaient des comptes à la banque.
Enfin, les enquêtes montrent que non seulement Afriland avait connaissance de ces agissements, mais que sa direction avait délibérément participé à leur mise en place.
- Après avoir été alertée par ces deux employés sur certaines de ces irrégularités en interne, la direction d’Afriland a réagi en suggérant que l’un des lanceurs d’alerte pouvait se faire tirer dessus dans la rue, selon l’un d’entre eux.
« Une nouvelle fois, des lanceurs d’alerte risquent leur vie pour combattre l’opacité et défendre les réglementations bancaires », a déclaré Gabriel Bourdon-Fattal de PPLAAF. « Nous appelons les autorités congolaises à déclencher des enquêtes sur ces agissements et le Président Tshisekedi à promouvoir des mécanismes de protection de lanceurs d’alerte comme il l’a annoncé récemment. »
« Grace à la révolution silencieuse des lanceurs d’alerte comme Gradi et Navy sur le continent africain, plus aucun délit ne restera secret pour toujours et le changement voulu finira par imposer son propre rythme », a déclaré Jean-Jacques Lumumba, lanceur d’alerte et banquier congolais. « Des actes comme les leurs sont un espoir pour la RDC et pour notre continent. »
PPLAAF est une organisation non gouvernementale créée en mars 2017 proposant un spectre entier de solutions pour pourvoir aux différents besoins des lanceurs d’alerte : encryptage d’un bout à l’autre de la communication, soutien juridique gratuit en conseils ou en représentation légale contre des employeurs ou autre, assistance continue pour protéger le lanceur d’alerte dans la divulgation de l’information au public, développement de législations protégeant les lanceurs d’alerte.