Depuis jeudi18 juin, l’Algérie débute le Ramadan en pleine chute baisse des recettes de pétrole. Un vrai coup dur pour ce pays qui continue de subventionner à coups de milliards les produits alimentaires pour éviter l’explosion sociale
Une fois par an entre deux apparitions de Lune, ce petit satellite qui exerce encore une fascination attractive sur le monde musulman, les consignes sont claires jusqu’au coucher du Soleil : ne rien manger, ne rien boire, voire ne rien voir. Le tout pendant un mois, ou plus exactement 29 jours 12 heures 44 minutes et 2,9 secondes selon Copernic, immuable rite suivi depuis 14 siècles.
Régime sec
Sauf que cette année, il est particulier en Algérie, avec la chute drastique des prix du pétrole pour une économie dont 98% des exportations sont des hydrocarbures. Où est le problème ? Il est dans ce paradoxe, l’Algérie consomme autant d’aliments pendant le ramadan qu’en dehors du ramadan, ce qu’elle ne fait pas la journée se rattrape le soir, dans des orgies alimentaires dignes de l’Empire romain. C’est ainsi que l’état algérien dépense près de 3 milliards de dollars chaque année solaire en produits alimentaires subventionnés, semoule, blé dur, blé tendre, orge, semoule, farine, pâtes alimentaires, couscous et lait, ainsi que pour l’eau à boire, également soutenue. Mais cette année, la baisse de la production d’hydrocarbures dans des nappes finissantes, conjuguée à une hausse de la consommation énergétique interne, a considérablement grignoté les recettes, 73 milliards de dollars en 2012, 63 milliards en 2013 et 56 en 2014. Avec un baril à moins de 60 dollars, c’est le niveau d’équilibre du budget de l’état qui est menacé, là où il faut un baril à 100 dollars, voire 120, pour amortir les grosses dépenses publiques effectuées par Bouteflika. En février déjà, le puissant directeur du département Afrique du Nord au FMI, Masood Ahmed, s’inquiétait du « creusement du déficit budgétaire du pays et de la balance des paiements sous l’effet de la hausse des dépenses publiques et des importations. » Pas très bon, le régime craignant l’explosion sociale plus que Dieu, et pour cause : 1000 émeutes et mouvements de contestation sont répertoriées chaque année dans le pays.
Difficile lune de miel
La tendresse ou le bonheur ne s’achètent pas mais pour tout le reste, il y a Master Card. Y compris pour la paix sociale, payée au prix fort, 23% du PIB de l’Algérie, soit l’équivalent de 60 milliards de dollars, sont orientés annuellement aux transferts sociaux. Il faut donc des recettes, on ne peut se nourrir d’amour et d’eau fraiche. Certes, le PNDA, plan national de développement agricole, lancé il y a quelques années, a donné ses fruits et le secteur représente aujourd’hui 10% du PIB et permet une certaine autosuffisance en fruits et légumes, l’Algérie générant maintenant 70% de ses besoins en produits agricoles. Ce plan a aussi permis à des groupes influents de taper dans les caisses des subventions agricoles, dont l’actuel grand patron du FLN Amar Saïdani, suspecté d’avoir détourné quelques millions d’euros des terres fertiles, ce qui lui aurait permis de s’acheter des biens immobiliers à Paris.
Mais il y a le reste, le blé, base alimentaire nationale dont l’Algérie importe chaque année 2 milliards de dollars, traditionnellement de France mais maintenant d’Europe du Nord et des pays baltes, ce qui fait grincer des dents François Hollande en visite alimentaire à Alger lundi dernier. La lune de miel, ce pacte social entre un régime corrompu liberticide et une population gourmande au bord de la crise de nerfs, tient encore. Car il y a de bonnes nouvelles, le très faible endettement public, une dette extérieure proche du zéro et des réserves de change de 180 milliards de dollars qui alimentent un fonds de régulation des recettes de 55 milliards de dollars, destiné à combler le déficit budgétaire. « On peut tenir encore 3 ou 4 ans », répètent chaque semaine les officiels amaigris, ce qui correspondrait à la prochaine élection présidentielle en 2019, l’après Bouteflika, actuellement en négociations serrées, s’annonce déjà rude. Mais combien l’Algérien mange-t-il ? Les importations alimentaires ont triplé en 3 ans et si l’état accorde 23% de son PIB aux subventions sociales, il ne met que 2% seulement pour l’entreprise, soit 11 fois moins, ce qui explique que l’Algérien mange beaucoup plus qu’il ne fait à manger.
Lunatique, l’Algérie annonce régulièrement qu’elle va relancer l’économie et son socle, l’industrie, qui est passée de 30% du PIB à 5% en quelques décennies. Des programmes et réformes qui butent encore sur une absence de vision et un lobbying très serré des importateurs, partisans de la désindustrialisation, ainsi qu’une évasion fiscale massive à tel point que le ministre chargé des relations avec le parlement a donné le montant de 47 milliards d’euros d’arriérés d’impôts. Mais même énormes, ce ne sont que des chiffres, jeudi ou vendredi l’Algérie entrera dans le mois mystique du ramadan, quand la Lune se trouvera exactement entre le Soleil et la Terre, présentant sa face obscure à la Terre, pour laisser ensuite apparaitre de nuit un début de croissant. Peut-on lire l’avenir ? On raconte une blague sur l’inénarrable Saidani, le patron du FLN qui promet des lendemains très prometteurs. « Les Américains sont allées sur la Lune ? Nous irons sur le Soleil », a-t-il annoncé. Quand on lui a fait remarquer que le Soleil brûle, il a répondu calmement : « on n’est pas bêtes, on partira la nuit. »