Le scandale dit des « prisonniers de l’affaire du port d’Alger » a levé le voile sur les méthodes d’intimidation brutales de certains membres du DRS (Services algériens) Enquête.
«Les prisonniers de l’affaire du Port d’Alger». Ce vocable a longtemps fait couler beaucoup d’encre en Algérie. Il s’agit d’une ténébreuse affaire où pas moins de dix personnes ont été condamnées à de la prison ferme pour des faits de dilapidation des deniers de l’Etat, association de malfaiteurs et passation de contrats non-conformes à la réglementations personnes. Or le jour du procès, il n’y avait eu ni plainte déposée par une quelconque victime, ni préjudice établi et chiffré, ni plaignant ! Un scandale unique dans les annales de la justice algérienne. Le scandale avait été monté de toutes pièces par trois colonels du DRS pour confisquer un marché de 12 millions d’euros au Port d’Alger. Enquête.
Mauvaise pioche pour « Dubai Port World »
Tout commence à la fin de l’année 2008. La société Emiratie Dubai Por World (DPW) qui avait obtenu la concession du Terminal au Port d’Alger a sélectionné neuf sociétés manutentionnaires parmi une trentaine d’entreprises privées et publiques. Dubai Port World avait besoin de leurs services dans le levage et la manutention. Le contrat liant l’opérateur émirati à ces 9 entreprises était fixé à une année non-renouvelable. Il s’agit d’un marché très «juteux» évalué à pas moins de 12 millions d’euros. Rien que la location d’un seul engin était calculé à presque 2000 euros par jour. Parmi les entreprises qui ont obtenu ce marché, on retrouve des opérateurs réputés comme la Sarl Transimex Logistique ou la Sarl Mitidja Logistique ainsi que l’Eurl Miloudi. Des manutentionnaires connus sur la place d’Alger.
Mais la sélection de Dubai Port n’avait pas fait que des heureux. Deux autres opérateurs, COAM et MTS, avaient manifesté leur exaspération parce qu’ils étaient écartés de ce marché. Au Port d’Alger, tout le monde voulait décrocher à l’époque le précieux pactole. Or l’un des associés de COAM et MTS est un certain Colonel Farouk appartenant au DRS (services algériens). Officiellement, il travaillait comme attaché du DRS au ministère de la Culture. Sollicité par ses associés dans ces deux entreprises privées, il avait décidé de passer à l’action pour reprendre ce marché aux 9 entreprises sélectionnés en toute transparence par Dubaï Port World.
Pour ce faire, le colonel Farouk avait fait appel à deux amis, le Colonel Sofiane et le colonel Omar. Le colonel Sofiane était chargé au niveau du DRS de la surveillance des ports et des aéroports. Un haut gradé très influent qui occupait en 2008 et 2009 une fonction très stratégique. Le colonel Omar était un haut responsable jusqu’à 2011 de la Police Judiciaire du DRS. Forts de leur pouvoir, les trois hauts gradés vont saboter le marché conclu entre Dubai Port World et les neuf entreprises privées algériennes. Histoire d’avantager, par la suite, les deux boites où leur collègue détient des parts et des intérêts.
Et les premières manœuvres commencent le 1er avril 2009. Lorsque les engins des 9 entreprises démarrent vers le terminal de Dubaï Port pour travailler, à la surprise générale, les services de sécurité de l’Entreprise Portuaire d’Alger arrêtent les engins et les bloquent à l’intérieur du Terminal ! Plus tard, un huissier est venu procéder à une saisie de tous les engins. Et dans les jours qui suivront, les engins de ces 9 entreprises ont été tout simplement remplacés par ceux des deux opérateurs choyés et soutenus par nos trois colonels.
Pas de quartier pour la concurrence
Expéditifs, les trois hauts gradés du DRS n’ont pas fait de quartier à la concurrence. Ainsi le colonel Sofiane déclenche une enquête à l’encontre des 9 premières entreprises sélectionnées par Dubaï Port: soupçons de corruption, accusations de malversations, Terrifiés, six gérants acceptent un compromis avec le colonel Sofiane. Les trois autres récalcitrants opposent une vive résistance et réclament justice. Leur sort sera des plus cruels. Le 21 mars 2010, le colonel Sofiane les convoque à la caserne Antar, une célèbre caserne du DRS à Ben Aknoun dans la banlieue d’Alger. Officiellement, les convoqués ont été priés de s’habiller en «costumes» parce qu’un haut responsable du DRS va «les accueillir et les auditionner». Mensonge ! Le colonel Sofiane procède à leur arrestation. Ils se retrouvent placer sous mandat de dépôt en compagnie de sept cadres de l’Entreprise Portuaire d’Alger. Lesquels ont été piégés également par le colonel du DRS pour monter comme il se doit une affaire de «dilapidation des deniers de l’Etat et association de malfaiteurs».
C’est à ce moment-là qu’éclate définitivement le scandale dit « des prisonniers de l’affaire du Port d’Alger ». Le scandale a dévoilé l’influence possible du DRS sur les tribunaux en Algérie. En effet, toutes les demandes de mise en liberté provisoire des familles des accusés ont été rejetées et ce en dépit de la mobilisation d’avocats très connus à Alger à l’instar de Miloud Brahimi ou de Mokrane Ait Larbi. Au niveau de la Cour d’Alger, le procès a été géré de manière très expéditive. En l’absence d’un plaignant, d’une victime et de préjudices, les accusés ont été condamnés à six ans de prison ferme. 4 ont été placés sous contrôle judiciaire et deux uniquement ont été acquittés en 2013. Un des condamnés est même décédé en prison en 2013 suite à un AVC. Il n’avait pas supporté le poids de l’injustice.
Les familles des accusés maintiennent leur mobilisation. Rassemblements devant le ministère de la Justice, lettres ouvertes à Abdelaziz Bouteflika, le scandale des prisonniers de l’affaire du Port d’Alger défraie la chronique. A la fin de 2011, les trois colonels Farouk, Sofiane et Omar sont mis subitement à la retraite. Qui est à l’origine de cette décision ? Le cercle Présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika ou le Général Toufik, patron du DRS, suite à une enquête interne ? Personne ne le sait encore. Selon nos informations, l’un des de ces trois hauts gradés mis à la retraite, le colonel Sofiane est parti se réfugier à Batna, à l’est du pays pour échapper à «la guerre des clans».
En même moment, les familles des victimes réussissent à transférer l’affaire à la Cour Suprême à Alger. Le 6 septembre 2012, celle-ci établit un rapport accablant contre le premier procès tenu à la Cour d’Alger. Les juges de la Cour Suprême pointent du doigt plusieurs irrégularités et le manque de solidité des preuves avancées contre les prisonniers de « l’affaire du Port d’Alger ». Aujourd’hui encore, les familles attendent toujours que leurs proches soient innocentés.
Les rivalités entre les clans qui se partagent le pouvoir en Algérie ouvrent quelques brèches dans l’appareil d’Etat, mais pour les refermer aussitôt.