La traditionnelle réunion des ministres des Finances de Zone Franc tenue le 2 octobre 2015 à Paris n’a pas réglé la question de l’arrimage du F CFA à l’euro. Pour le président tchadien Idriss Déby Itno, le CFA n’est pas dans les faits une monnaie africaine.
Organisée alternativement en France et en Afrique, la réunion annuelle des ministres des Finances des pays membres de la Zone Franc(1), présidée par le ministre français des Finances et des comptes publics, Michel sapin, portait cette année sur les enjeux de la conférence de Paris (Cop21), la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme et enfin, l’intégration financière des marchés de capitaux. Au Nord comme au Sud, le mot d’ordre est désormais le même: les politiques économiques mises en œuvre doivent s’inscrire dans une stratégie de développement durable et sobre en émissions de gaz à effet de serre. Les pays africains y sont incités d’autant qu’ils bénéficient de financements publics et des banques de développement mis en place pour soutenir les politiques d’adaptation au dérèglement climatique et d’atténuation de ses effets. Sur le continent noir, seulement dix pays bénéficient pour l’instant de ces financements: Afrique du Sud, 518 millions de dollars; Mozambique,164; RDC,160; Niger,141; Zambie,107; Tanzanie, 103; Ethiopie,76; Nigeria,63; Burkina,62; Ouganda 52.
Quant à la lutte contre le blanchiment, elle constitue un enjeu de gouvernance, financier et sécuritaire sur un continent où la porosité des frontières facilite la criminalité transfrontalière. Dans la Zone Franc, les pays du Sahel et le Tchad sont aux prises avec des groupes terroristes comme Aqmi en Afrique et Boko Haram. D’où la nécessité de mettre en place des structures et des outils de contrôle des flux financiers pour tarir les sources de financement des organisations criminelles et terroristes. Certes, la Zone Franc dispose d’un tel mécanisme de suivi, en l’occurrence, le Comité de liaison anti-blanchiment, mais les ministres ont souligné le besoin de renforcer les mécanismes d’alertes des Etats et des banques centrales, et d’intensifier leur coopération avec le Groupe d’action financière contre le blanchiment des capitaux (GAFI).
Enfin sur l’intégration financière des marchés de capitaux, les ministres ont souligné qu’elle était nécessaire à la croissance parce qu’elle permet de financier les économies. Reste que comparativement aux autres places boursières d’Afrique, «les marchés de la Zone Franc apparaissent en retrait, en raison de fortes disparités d’une région à l’autre, d’une profondeur et d’une liquidité insuffisante, de l’absence de taille critique et d’infrastructures encore insuffisantes».
Le scandale des réserves d’échange
Est-il pertinent d’avoir deux places boursières dans une même zone sous-régionale comme c’est le cas en Afrique centrale, avec la bourse de Douala et celle de Libreville? Le gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique centrale (BEAC), Luc Abaga Nchama n’y voit rien de grave et rappelle que l’unique Bourse régionale des valeurs et des marchés (BRVM) de l’Afrique de l’ouest, basée à Abidjan, ne fait pas mieux en termes d’actifs.
Si les pays de la Zone Franc veulent disposer d’un levier adéquat pour lever des fonds destinés au financement de leurs projets de développement, l’intégration financière est un passage obligé. A la demande des ministres des Finances en avril 2015 à Bamako, les gouverneurs des banques centrales ont mené une étude sur l’intégration des marchés de capitaux, et leurs recommandations attendent d’être mises en œuvre.
Au cours de la conférence de presse qui a clôturé la réunion de Paris, la question de l’arrimage du Franc CFA à l’euro et la gestion du fameux compte d’opérations a été à nouveau posée, surtout après les déclarations du président tchadien, Idris Déby. A l’occasion du 55è anniversaire de l’indépendance de son pays en août dernier, il avait appelé les Africains, on s’en souvient, à se débarrasser du FCFA et à créer leur propre monnaie. «Il y a aujourd’hui, a-t-il dit, le FCFA qui est garanti par le trésor français. Mais cette monnaie, elle est africaine. C’est notre monnaie à nous. Il faut maintenant que réellement dans les faits, cette monnaie soit la nôtre pour que nous puissions, le moment venu, faire de cette monnaie une monnaie convertible et une monnaie qui permet à tous ces pays qui utilisent encore le FCFA de se développer. Je crois que c’est une décision courageuse que nos amis français doivent prendre».
Le malaise des gouverneurs de la BCEAO et de la BEAC
Puis, il met le doigt sur le point qui symbolise pour beaucoup d’Africains le scandale que représente l’accord entre les pays africains de la Zone France et la France: les réserves de change que déposent les deux banques centrales, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la BEAC auprès du Trésor public français pour assurer la parité du franc CFA avec l’euro. La règle prévoit que ces réserves de change couvrent au moins 20 % de l’émission monétaire effectuée par les deux banques centrales. Or, en l’état actuel, le taux de couverture dépasse 90%. En zone UEMOA, les avoirs extérieurs nets s’élevaient au 31 décembre 2013 à 4 950,4 milliards de FCFA pour la BCEAO, soit un taux de couverture de l’émission monétaire de 90,4 %. Pour la zone CEMAC, c’est environ 8123,203 milliards de francs CFA pour la BEAC, soit un taux de couverture de l’émission monétaire de 97,9%.
Répondant aux questions des journalistes, le ministre français des finances a été clair: «Ce sont des monnaies africaines, gérées par les banques centrales africaines. Les accords ne sont pas figés. Si nos partenaires souhaitent la révision des accords, nous n’y voyons aucun inconvénient».
Les deux gouverneurs, Tiémoko Meylist Koné et Lucas Abaga Nchama ne se pressent pas pour répondre. Michel sapin les y encourage. «Nous avons fait une option dynamique, et l’arrimage à telle ou telle monnaie se fait librement. On dirait que le compte d’opération n’est pas bien compris. On utilise les 50% de ce dont on dispose. Ce n’est pas une recette budgétaire», se défend Tiémoko Koné. Son homologue de la BEAC complète: «Les pays de la zone franc ne sont pas moins portants économiquement que ceux qui n’en font pas partie».
L’euro, qui vient de connaitre une période de fortes turbulences avec la crise grecque, est-il un problème pour la zone franc? Silence embarrassé. C’est le ministre camerounais des Finances, Alamine Ousmane Mey qui s’y colle, expliquant que pour l’instant, les pays africains avaient plus à gagner à conserver le mécanisme actuel qu’à y mettre fin.
(1)La Zone Franc a été créée en 1939 et comprend l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (Uemoa), la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac d’Afrique centrale) et l’Union des Comores.
Pays membres de l’Uemoa: Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo
Pays membres de la Cemac: Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée-Equatoriale et Tchad