Dans un rapport de 190 pages rendu public le 5 décembre 2016, le Panel d’experts des Nations unies sur la République Centrafricaine met en évidence l’existence de systèmes de prédation économique qui alimentent l’instabilité dans le pays.
Outre les luttes que se livrent les nombreuses factions rebelles pour le contrôle des routes d’acheminement des armes et des ressources naturelles du pays telles que l’or ou les diamants, le panel d’experts révèle l’existence de mécanismes de contrôle et d’accaparement de richesses illégaux tenus par des milices avec, in souvent, la complicité des autorités.
Taxes illégales
Dans les régions de l’est de la capitale, Bangui, contrôlées par les anti-balaka, les milices ont notamment établi des contrôles illégaux en vue de taxer les pêcheurs et les bateaux transportant des marchandises et des passagers sur la rivière Oubangui. Le panel relève que « de telles taxes illégales font monter les prix des marchandises et s’accompagnent d’agressions physiques, d’actes de torture et de viols à l’encontre des passagers ». Par ailleurs, le rapport souligne que dans l’ouest du pays, « les anti-balaka extorquent de l’argent à des musulmans qui souhaitent revenir de leur exil en leur imposant des services de sécurité ».
Le trafic fluvial ayant été suspendu en mars 2016, le nombre de postes de contrôle entre Bangui et la ville de Kouango dans le sud-centre du pays a été ramené de 9 à 3. Des gendarmes ont été mobilisés afin de mettre un terme à ces pratiques. Le panel d’experts note cependant que « diverses sources ont indiqué que loin de prévenir cette imposition illégale, les gendarmes s’y livraient eux-mêmes ».
Trafics d’armes
Par ailleurs, le sort de la région de la Vakaga, au nord du pays, préoccupe particulèrement les experts de l’Onu. Plusieurs localités de cette zone restent en effet sous le contrôle exclusif du groupe rebelle du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC). « Dans les zones qu’il contrôle, le FPRC continue de défier l’autorité de l’État en instaurant des contrôles illégaux de sécurité et en imposant des couvre-feux dans la préfecture de la Vakaga et a réaffirmé son opposition au déploiement des Forces armées centrafricaines (FACA) ».
Depuis son retour en République centrafricaine, l’ex numéro deux de la Séléka, Nourredine Adam vit principalement dans la région de Sikikédé, dans l’ouest de la préfecture de la Vakaga. « En 2016, il se serait rendu à Birao et dans la ville trifrontalière de Tissi, où il aurait recruté une centaine de combattants, principalement soudanais » note le rapport.
En outre, la localité de Tissi est fréquemment citée comme étant le centre d’approvisionnement en armes et en munitions de groupes de l’ex-Séléka et de bandes criminelles. « Ainsi, des soldats du FPRC munis d’armes de guerre et vêtues d’uniformes militaires flambant neufs ont récemment été aperçus à Ndélé. D’après plusieurs sources, Nourredine Adam aurait organisé, en juin 2016, une livraison d’armes, qui auraient été acheminées par trois camions de transport commercial de Tissi à Ndélé et Kaga Bandoro ».
Le business des autorités
Le rapport mentionne également plusieurs exemples d’actuels et anciens hauts personnages de l’Etat impliqués dans des transactions non conformes au régime de sanctions qui leur est imposé.
Le cas de Mahamat Nour Binyamine est notamment cité. Centrafricain résidant aux Etats-Unis, ce dernier serait chargé de collecter les loyers des immeubles et maisons appartenant à Michel Djotodia, ancien Président de la République et ex leader du FPRC.
« En juillet 2016, Binyamine aurait servi d’intermédiaire lors de la vente à un entrepreneur privé d’un terrain sis à Bangui et appartenant à Djotodia. Le 29 août, l’entrepreneur a fait un virement d’un montant total de 25 millions de FCFA (50 000 dollars des États-Unis) sur le compte de Binyamine, lequel a retiré cette somme le jour-même avec un chèque. » Or, le panel note que « les États-Unis ont gelés les avoirs de Djotodia depuis le 13 mai 2014, et Binyamine, en tant que résidant américain, pourrait bien faire des transactions ou détenir des fonds appartenant à Djotodia aux Etats-Unis », en violation du régime de sanctions.
Autre personnalité citée dans le rapport, Abdoulaye Hissène, l’un des principaux leaders du FPRC et ancien collecteur de diamants et d’or. Celui-ci a repris ses activités commerciales après avoir quitté, en août 2014, sa fonction de Ministre de la jeunesse et des sports sous la présidence de Catherine Samba Panza.
En septembre 2014, Hissène aurait conclu un contrat de vente avec un investisseur indien pour 300 kilogrammes d’or pour un montant total de 9,9 millions de dollars. Le panel mentionne n’avoir pas de preuve d’exécution du contrat mais souligne que « Hissène n’avait pas d’autorisation d’exportation de minerais – ni en tant que coopérative, ni en tant que maison d’achat ».
Les diamants du sang
Autre source de revenus, le commerce illicite de diamants se poursuit en Centrafrique. Le 28 mai 2016, l’Unité spéciale antifraude a confisqué quelque 550 carats de diamants non déclarés au collecteur Mahamat Nour et à son frère Mahamat Moustapha à leur débarquement d’un vol de la compagnie aérienne MINAIR en provenance de la ville minière de Bria au centre du pays. « Ils étaient accompagnés d’un collecteur israélien, Youri Freund, et d’un associé. Nour et Freund étaient suspectés non seulement d’avoir acheté des diamants de contrebande, mais également d’avoir falsifié des documents en vue de l’obtention par Freund de sa licence de collecteur » relève le rapport.
Une partie du trafic de diamants en provenance de Bria passe probablement par Bangui, mais une partie serait également acheminée par voie terrestre vers la République démocratique du Congo.
D’autres localités, principalement à l’est du Cameroun, dont Kenzou, Batouri et Bertoua, sont connues pour être les principales plaques tournantes du trafic de diamants provenant de République centrafricaine.
Les exportations camerounaises ont toutefois reculé, passant de 2 619 carats au cours des dix premiers mois de 2015, à 1 494 carats durant la même période de l’année 2016, « ce qui laisse à penser que l’infiltration illicite de diamants centrafricains dans le commerce officiel reste limité ».
L’or noir
Enfin, le site enoughproject.com rappelle, dans un article consacré au rapport du panel d’experts, que ce dernier avait révélé, mi 2016 la signature d’un accord financier entre une société de sécurité privée appelée FIT Protection (FIT-P) et le groupe armé du Mouvement patriotique centrafricain (MPC). La société FIT-P avait alors recruté des agents de sécurité des factions de la Séléka pour protéger les investissements et l’exploration pétrolière menée par la compagnie chinoise PTIAL International Petroleum.
Le coordinateur du panel, Ruben De Koning avait alors déclaré que « FIT-P a engagé des chefs du FPRC, qui font toujours partie de la rébellion, et les salaires de gardiens versés ont été récupérés par ces chefs ». Il affirme aussi que « bien que le président centrafricaine Faustin-Archange Touadera a remis en cause ces accords de sécurité dans les médias, dans les faits, le Ministre de la Défense n’a toujours pas révoqué l’autorisation de port d’armes donnée aux éléments recrutés par la compagnie FIT P et qui avait été délivrée en avril 2016 ».