Au Niger, le bras de fer continue entre le gouvernement et le géant du nucléaire français Areva pour le renouvellement des contrats de deux sites miniers au nord du pays. Le gouvernement demande l’application de la loi de 2006 qui porte le taux de la redevance minière à 12% au lieu de 5% aujourd’hui alors que le cours de l’uranium est au plus bas. Pour le président nigérien Mahamadou Issoufou en proie à d’importantes difficultés en interne, les négociations constituent un enjeu de taille en vue des présidentielles de 2016.
Pas plus tard qu’avant-hier, des centaines de manifestants se sont à nouveau réunis devant l’assemblée nationale à Niamey pour demander l’application de la loi minière de 2006 par le géant du nucléaire français pour l’exploitation des deux mines d’Arlit, dans le nord du pays. Sur ces deux sites, appelés Somaïr et Cominak, la production d’uranium a repris samedi dernier après plus d’un mois d’arrêt en plein milieu des pourparlers, officiellement pour maintenance.
Munis de banderoles et de pancartes, les manifestants rassemblés dans la capitale le 6 février on scandé des slogans hostiles à la compagnie et à la France tels que « Areva dégage ! », « Non à la France » ou encore « La souveraineté du Niger ne se négocie pas ». Les déclarations du ministre français délégué au développement Pascal Canfin qui a affirmé juger les demandes du Niger « légitimes » devant l’assemblée nationale n’ont pour le moment pas suffit à rassurer les militants. « Nous attendons des actions concrètes » déclare Ali Idrissa, coordinateur du réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (Rotab), présent lors de la manifestation.
Bras de fer
Les conditions prévues pour le renouvellement des contrats miniers arrivés à échéance le 31 décembre dernier après 10 ans de validité sont au coeur de l’intense bras de fer entre le gouvernement nigérien et l’entreprise française détenue à 80% par l’Etat. La loi de 2006 supprime en effet des exonérations fiscales et porte le taux de redevance minière de Niamey jusqu’à 12% de la valeur des ressources extraites, en fonction des profits, alors que les taxations s’élèvent actuellement à 5,5%. Le gouvernement et la société civile exigent une application stricte de ces conditions. Pour A. Idrissa, « Areva ne peut bénéficier d’un traitement de faveur. Elle doit coûte que coûte se soumettre à la loi nigérienne ».
L’actuel ministre des mines Omar Hamidou Tchiana en charge des négociations a affirmé pour sa part vouloir élever les revenus tirés de l’uranium à hauteur de 20% des recettes budgétaires nationales contre 5% aujourd’hui. Il souligne qu’en plus de quarante ans de collaboration, le Niger est resté l’un des pays les plus pauvres du monde alors que la compagnie française s’est imposée comme un leader mondial de l’énergie nucléaire.
Il est vrai que l’uranium est loin d’avoir enrichi le pays. Plus de 60% des 17 millions de nigériens vivent avec moins d’un dollar par jour et la commune ensablée d’Arlit, bâtie à côté des mines et qui compte environ 110 000 habitants, manque cruellement d’infrastructures. La route qui relie Agadez, la plus grande ville du nord du pays à Tahoua, au centre, est quasiment impraticable et une grande partie des habitants de la région n’ont pas accès à l’eau et à l’électricité. Malgré l’emploi de 5000 travailleurs nigériens sur les deux sites miniers au coeur de la polémique, la coordinatrice du groupe de réflexion sur les industries extractives au Niger (Gren), Ramatou Soly, regrette que la grande majorité des sous traitants employés par Areva sur les sites miniers soient non-nigériens.
Le manque de communication de l’entreprise alimente par ailleurs les doutes de la société nigérienne et des autorités quant à sa transparence en termes de suivi des investissements et de respect de l’environnement. R. Soly appelle notamment le géant du nucléaire à rendre des comptes quant au respect du principe de responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise. « Près de 50 millions de tonnes de déchets sont entassées dans la ville d’Arlit exposant les mineurs et les populations à des risques de radiations alors qu’aucune mesure de prise en charge n’existe sur place. Les conditions de stockage de l’eau utilisée pour traiter l’uranium sont très précaires. En 2010, trois digues de bassins de stockage d’effluents de la mine Somaïr avaient déjà cédé provoquant un déversement tuant plusieurs animaux venus s’abreuver. Les nouveaux contrats miniers doivent renforcer les garanties en matière d’environnement et de protection des populations. »
Au gouvernement, on critique par ailleurs le budget colossal alloué par Areva à la société de sûreté privée française « Epée » chargée de superviser les questions de sécurité pour l’entreprise au Niger, alors que les salaires des militaires nigériens déployés pour protéger les puits dans la région nord sont bas. La loi nigérienne interdisant la présence de sociétés privées militarisées sur son territoire, les légionnaires d’Epée ne peuvent être armés. Areva a donc du solliciter les militaires nationaux à qui elle verse des règlements pour assurer la protection de ses installations industrielles. Protection en laquelle plus personne ne croit depuis la multiplication des attaques au Niger ces dernières années. En mai dernier le double attentat-suicide revendiqué par le Mujao contre un camp de l’armée nigérienne et le groupe Areva qui a fait une vingtaine de mort a jeté le discrédit sur les militaires nigériens. Après l’attaque, il a notamment été établi que les hommes en charge de surveiller le site d’Areva où l’attentat a eu lieu dormaient dans une caserne voisine au moment du drame. « Le personnel d’AREVA sait qu’il n’est pas en sécurité au Niger. Or, l’entreprise reste une cible évidente pour les groupes jihadistes qui circulent dans le nord du pays » confie une source.
Dans le contexte actuel d’insécurité au Sahel et après la réponse positive des autorités nigériennes aux injonctions de l’armée française à intervenir dans le sud-libyen, à la frontière nord du Niger, difficile d’imaginer que les dépenses d’Areva en matière de sûreté puissent baisser. Aujourd’hui, la sécurité de l’entreprise est d’ailleurs devenu un véritable marché faisant l’objet des convoitises d’autres sociétés privées qui peuvent aisément faire jouer leurs carnets d’adresse au gouvernement nigérien.
Sur le plan économique, Areva, de son côté, a fait valoir à plusieurs reprises au cours des négociations que le cours de l’uranium est au plus bas et que les conditions inscrites dans la loi de 2006 rendraient ses activités d’exploitation non rentables dans le pays. Depuis le pic de 2007, le court de l’uranium a en effet chuté de près de 70% et le groupe français affichait des pertes nettes entre 2011 et 2012 même si son dernier chiffre d’affaire, enregistré en 2012, s’élève à 9,3 milliards d’euros, soit près du double du PIB du Niger. La direction de la compagnie a par ailleurs annoncé que la dette de l’entreprise s’élevait à 4,5 milliards d’euros fin juin 2013. Malgré ces mauvais résultats et la montée des coûts de production, Areva affirme avoir acheté l’uranium nigérien à un prix avantageux ces deux dernières années : 73 000 francs CFA (111 euros) le kilogramme, soit presque le double du prix des marchés actuels fixé à 58,7 euros. Des allégations auxquelles plusieurs ONGs ne croient pas.
Le géant du nucléaire pointe également que plus de 80% des revenus (taxes et dividendes) générés par les mines depuis leur création ont été transférés à l’Etat du Niger et ce malgré l’augmentation constante de ses coûts de production dans les mines d’Arlit. La faute reviendrait donc à l’incapacité de l’Etat nigérien qui centralise toutes les recettes à les transformer en investissements ou les redistribuer aux collectivités locales. La loi de 2006 prévoit en effet que 15% des revenus d’exploitation doivent financer le développement du territoire où ont lieu les activités minières. La région d’Agadez où se situent les mines connaît pourtant aujourd’hui de grandes difficulés. Selon une source bien informée, cette taxe sur les revenus d’exploitation destinée au collectivités territoriale a été détournée par le pouvoir central une année sur deux depuis sa mise en place. Le versement des sommes bel et bien redistribuées par les autorités accuse quant à lui de sérieux retards : de nombreuses communes reçoivent seulement cette année leurs parts de 2011.
La corruption qui mine le pays et les rivalités politiques intenses au sommet de l’Etat expliquent donc en grande partie cette mauvaise gestion des deniers publics. Sur l’index de perception de la corruption de l’ONG Transparency International, le Niger occupe la 106ème place sur 177. L’accaparement des budgets par le secteur de la défense dans un pays de plus en plus en proie à l’insécurité régionale accélère également le délitement du tissu social. « On ne peut plus tolérer que les autorités étatiques se servent dans la caisse ou que les sommes versées soient investies massivement dans l’armement au détriment de tous les autres domaines » affirme A. Idrissa. « Les capacités de gestion de l’argent par certaines communes doivent également être renforcées pour enrayer le gaspillage au niveau local ».
L’uranium ne fait plus recette
Si le gouvernement nigérien et Areva campent pour l’instant sur leurs positions les autorités Niamey assurent cependant que le rapport de force leur est défavorable. Les deux mines d’Arlit sont de moins en moins rentables et l’entreprise place aujourd’hui de plus grands espoirs dans d’autres sites à l’étude notamment au Kazakhstan et en Mauritanie. « Areva n’a pas besoin du Niger » déclare ainsi le ministre des affaires étrangères Mohamed Bazoum qui souligne par ailleurs que le minerai d’Arlit est de mauvaise qualité et impose de gros investissements. Pris en étau, le gouvernement n’a donc d’autre choix que composer sans réellement pouvoir agiter la menace de la concurrence. Le bilan des activités de la Société des mines d’Azelik (SOMINA) — contrôlée en majorité par des capitaux chinois — qui exploite des gisements d’uranium au sud ouest d’Arlit est décevant et les relations avec le groupe sont parfois difficiles. Selon une source à Agadez, la délimitation du terrain attribué par le gouvernement pour la recherche et l’exploitation n’est pas respectée et des forages ont lieu bien au-delà du site officiel. Par ailleurs une délégation envoyée sur place par l’ancien ministre des mines et de l’énergie Souleymane Abba avait été témoin de conditions de travail inhumaines. Toujours selon la même source, « les mineurs étaient en sandales et ne portaient pas le matériel de protection d’usage. Les horaires vont encore aujourd’hui bien au-delà de ce que prévoit le code du travail et les salaires sont déplorables. Au contraire les nigériens qui travaillent pour Areva gagnent bien leur vie. Avec dix ans d’ancienneté, un ouvrier gagne l’équivalent par mois de dix fois le SMIC nigérien, soit 350 000 francs CFA » (soit environ 532 euros). Dans le domaine de l’uranium, c’est donc la coopération avec la France qui est privilégiée même si les autorités nigériennes ne semblent plus y voir un investissement d’avenir. Selon M. Bazoum, le Niger mise aujourd’hui sur la production pétrolière qui s’élève à 20 000 barils par jour depuis son lancement en 2011 et qui rapporte plus à l’Etat que l’exploitation de l’uranium.
Areva, un enjeu politique
Pourtant, si le précieux minerai ne fait plus recette, le dossier Areva lui, constitue un enjeu politique de taille pour le camp au pouvoir. Depuis que le président Mahamadou Issoufou a soutenu l’intervention française au Mali en envoyant des soldats sur place, il multiplie les mesures favorables à Paris, au risque d’apparaître comme l’homme des français aux yeux de l’opinion nigérienne. Après avoir signé un accord prévoyant l’installation d’une base aérienne française à Niamey et autorisé le déploiement de drones de surveillance depuis le Niger, les autorités appuient desormais la volonté exprimée par l’armée française d’intervenir dans le sud libyen. Faire plier Areva dans les négociations actuelles permettrait au président de marquer un point en vue des présidentielles de 2016 et de se réassurer des voix du côté des franges nationalistes de la société.
A ce titre, la mise en route des activités d’Areva sur le site d’Imouraren à 160 kilomètres au nord d’Agadez représente un enjeu considérable. Depuis le lancement du chantier, l’ouverture de la mine fixée initialement en 2012 n’a cessé d’être reportée pour des raisons de sécurité. « Plus aucun sous-traitant non nigérien ne voulait y aller » affirme une source. Les retards successifs ont provoqué l’ire du camp présidentiel qui a affirmé dépendre des recettes du nouveau site pour la mise en œuvre de ses promesses électorales. Un accord a finalement fixé septembre 2015 comme nouvelle date butoir. Tout nouveau retard risquerait d’entamer un peu plus la popularité de M. Issoufou. A Niamey, où les tensions avec l’opposition sont de plus en plus vives et où la société est en proie à de sérieuses difficultés économiques et sociales, on murmure que le président aurait obtenu la garantie d’Areva qu’une inauguration officielle du site aurait lieu avant même le début de l’exploitation.