Un rapport de l’ONG Survie pointe les rapports coupables qu’entretient l’armée française avec le Congo-Brazzaville, Djibouti, le Tchad et le Gabon.
Avec pas moins de 16 scrutins présidentiels programmés sur le continent, l’année 2016 constitue un véritable test démocratique pour les Etats africains. Puissant révélateur des réflexes autoritaires qui travaillent le pouvoir dans ces pays, cette période électorale est également un bon thermomètre des relations entre Paris et ses ex colonies.
Essoufflé sur le plan politique, le partenariat entre la France et l’Afrique s’est recentré sur l’un de ses plus anciens piliers : la coopération militaire. Cruciale pour la préservation des intérêts de l’ancienne métropole à l’étranger, celle-ci qui a trouvé un nouvel élan sous la présidence de François Hollande à la faveur des interventions militaires au Mali, en Centrafrique et dans le contexte de la percée de la menace terroriste sur le continent.
Au coeur des préoccupations occidentales, la lutte contre les groupes radicaux sert toutefois régulièrement de prétexte pour les régimes en place à maintenir des habitudes répressives avec, sinon l’assentiment, du moins l’assurance que la France n’interviendra pas.
C’est ce qu’entend dénoncer l’ONG Survie dans sa dernière étude « La coopération militaire au service des dictatures ». En s’appuyant sur quatre pays du pré carré français soumis cette année à l’épreuve des urnes : le Congo-Brazzaville, le Tchad, Djibouti et le Gabon, les auteurs du rapport souhaitent mettre en évidence « les compromissions auxquelles se livrent les dirigeants français vis-à-vis de leurs engagements officiels à défendre partout la démocratie et les droits humains, dès lors qu’il s’agit de maintenir la présence militaire et l’influence politique. »
— Au Congo-Brazzavile, « la France se distingue par son silence sur les exactions commises et par le maintien de sa coopération militaire avec le régime » relève le rapport qui précise que l’accord de coopération militaire qui lie les deux pays depuis 1974 est régulièrement actualisé. « Cela a encore été le cas en 2015. »
Premier partenaire commercial du Congo, pays dont l’entreprise Total extrait 60 % du pétrole et qui a octroyé en 2009 à Bolloré la concession du port de Pointe-Noire sur 27 ans, la France continue de soutenir le président Denis Sassou Nguesso, y compris en période de forte contestation populaire.
« Ces intérêts économiques et diplomatiques s’articulent avec des enjeux militaires au cœur de la relation historique entre la France et le régime dictatorial de Sassou, dont elle met en avant le rôle clef en matière de sécurité dans la région (en Centrafrique notamment). »
La coopération militaire officielle entre la France et le Congo s’opère actuellement sur trois volets : le soutien direct, à travers la présence de conseillers français auprès des cadres des forces armées et de la gendarmerie ; la formation des éléments des forces armées, de la police et de la gendarmerie, et l’équipement de ces forces. « La France fournit au Congo des experts techniques, militaires, des experts de la gendarmerie, des experts spécialistes de la sécurité maritime ainsi que des spécialistes de la formation et de l’organisation générale des opérations. »
(…) « Au niveau de la formation, la France a financé une école militaire nationale de génie-travaux à Brazzaville à hauteur de 578 000 euros (378 millions de FCFA) qui accueille depuis septembre 2010 des stagiaires venant de 17 pays africains. Des accords spécifiques permettent aussi aux militaires congolais de venir se former dans les écoles militaires françaises (notamment à Saint-Cyr). Du fait de ces relations de formation et d’expertise, il existe de véritables liens organiques entre les cadres militaires français et congolais
Pour ce qui est de l’appui logistique et de l’équipement, l’article III des accords de coopération technique de 1974 précise que « la République Populaire du Congo peut s’adresser à la République française pour la fourniture de matériel et d’équipement militaires et des rechanges correspondants. La République française apporte son concours dans des conditions à définir au soutien logistique de l’armée populaire nationale ».
Malgré le tripatouillage constitutionnel et les multiples violations des Droits de l’Homme dont fait preuve le régime de Sassou, la France n’a toujours pas suspendu sa coopération militaire, et continue de la renforcer sur le plan opérationnel, comme le montre la signature des nouvelles conventions de 2015, mais également sur le plan symbolique, à travers la décoration de piliers du régime de Sassou de la Légion d’Honneur.
— A Djibouti, pays clé, au coeur du dispositif militaire français en Afrique, la France reste présente depuis l’indépendance du pays en 1977 malgré la perte de son hégémonie et des relations souvent houleuses avec le président Omar Guelleh.
Comme le précise le rapport, « Paris veut préserver sa plus grande base militaire extérieure (avec 1750 hommes, et constituant son point d’ancrage sur la côte est- africaine), qui a été employée dans près des deux-tiers des opérations extérieures menées en Afrique depuis les années 60. »
Aujourd’hui, la base de Djibouti est un élément-clé de l’opération anti terroriste Barkhane au Sahel dont elle permet la continuité à l’Est. Afin de la préserver, le Parlement français a ratifié en 2012 un nouvel accord de défense avec Djibouti pour 10 ans renouvelables. Or, comme le précise le rapport de Survie, « cet accord est le seul conclu avec une ancienne colonie française qui comprenne encore après renégociation une clause d’engagement de la France « à contribuer à la défense de l’intégrité territoriale de la République de Djibouti » en cas d’agression armée.
Encore faut-il caractériser ce qu’est une agression armée dans un pays qui connaît une longue tradition de rébellions et de répression de l’opposition par des moyens militaires » s’inquiètent les auteurs du rapport. Un soulèvement populaire ou un mouvement d’opposition demandant le départ de Guelleh déclencheraient-ils une intervention française pour sauver le régime ?
Enfin, la présence militaire française apporte un soutien financier considérable à l’Etat djiboutien. « Le loyer annuel de la base militaire française est de 30 millions d’euros, dont 5 millions d’euros d’aide au Ministère djiboutien de la Défense, principalement destinée à l’achat de matériel militaire français. A cette manne financière (…) s’ajoute l’aide publique au développement et la coopération militaire (25 millions d’euros par an), ainsi que des cessions de matériels militaires, et la consommation de biens et de services djiboutiens par les forces françaises. Or, le taux de croissance honorable de Djibouti, dû essentiellement aux loyers militaires et aux infrastructures et taxes de transport, ne profite qu’au clan au pouvoir. 80 % de la population djiboutienne vit sous le seuil de pauvreté relative, 60% est au chômage, et le pays est au 170e rang pour l’Indice de Développement Humain sur 187 pays. »
— Autre cas d’école, l’histoire militaire récente du Tchad repose en grande partie sur son intrication avec l’armée française.
Depuis l’indépendance en 1960, la présence militaire française y reste quasi ininterrompue et le pays détient le record du nombre d’interventions françaises sur son sol, toutes ayant un objectif de défense du régime en place, même si leur motif officiel (rétablissement de l’état de droit, lutte contre le terrorisme, etc.) ne le laisse pas paraître. » (…) « La coopération militaire française s’articule dans deux cadres, d’une part une coopération bilatérale et d’autre part celle apportée par la présence sur le territoire tchadien de l’opération Epervier de 1986 à 2014, devenue Barkhane.
Les objectifs de la coopération sont ainsi définis par le rapport Fromion : « Le but de la coopération y est clairement d’accompagner la montée en puissance des armées tchadiennes en diffusant la doctrine française, de façon à tisser des liens entre les deux armées ». Ce rapport précise aussi le budget : « Le budget alloué à la coopération structurelle atteint 12 millions d’euros par an, auxquels on peut agréger les 53 millions d’euros de dons et d’aides diverses fournis par la force Épervier. »
Implantée à N’Djamena, Abéché et Faya Largeau au Nord du pays, l’opération sert aussi plus largement le dispositif militaire français en Afrique en jouant le rôle de base de prépositionnement pour les opérations françaises dans la sous région.
Enfin note le rapport, « le Tchad constitue un terrain d’entraînement idéal et à moindre coût pour l’armée française, puisque aucun loyer n’est payé pour son implantation (…) : « l’Etat tchadien a fait preuve d’une grande retenue dans la taxation de l’entraînement des troupes françaises et des manœuvres du dispositif Epervier. Cela est très appréciable comme l’est (à l’inverse de ce qui se fait à Djibouti) l’absence d’autorisation préalable pour envoyer des troupes en « nomadisation » ou le décollage d’un hélicoptère ou d’un avion de surveillance. La confiance d’Idriss Déby vis-à-vis du dispositif français est relativement exceptionnelle ».
Un traitement de faveur très apprécié des militaires français qui vantent en retour la stabilité du régime tchadien malgré se dérives autoritaires. L’installation du commandement de l’opération Barkhane à N’Djamena, « du fait d’une prétendue stabilité et de l’engagement du Tchad dans la lutte anti- terroriste, contribue à justifier le soutien à ce régime infréquentable, corrompu et répressif » souligne le rapport.
— La militarisation du Gabon, qui s’accompagne d’une augmentation des exactions commises par l’armée, se fait avec l’appui de la France qui possède dans le pays sa principale base militaire permanente sur la côte occidentale depuis l’indépendance en 1960. En 2010, un nouvel accord de « partenariat de défense » signé entre la France et le Gabon continue de permettre «la mise à disposition de coopérants militaires techniques français » au sein de l’armée gabonaise.
En 2014, la France a ainsi formé 4000 près de soldats gabonais. La Garde républicaine reste par ailleurs toujours solidement encadrée par des experts français. C’est notamment via l’Ecole d’état-major de Libreville, que les Forces françaises au Gabon (FFG) forment de nombreux officiers des pires armées de la sous-région (Tchad, Cameroun, Congo- Brazzaville, etc.). Le rapport de Survie précise que « l’armée française met à disposition, juste pour cette école, cinq coopérants militaires techniques à temps plein ».
Le partenariat maintient par ailleurs la base militaire française et offre de nombreux avantages à l’armée française. Il permet par exemple qu’aucun « contrôle d’inventaire ou douanier ne soit fait par le Gabon sur tout le matériel et les approvisionnements […] des forces françaises » note le rapport.
La base militaire française au Gabon est par ailleurs un élément-clé du maillage de l’Afrique francophone par l’armée française. Récemment, elle a permis le départ des premiers bataillons français envoyés dans le cadre de l’opération Sangaris en Centrafrique, et son état-major a servi de commandement à cette opération. « Mais cette base française permet aussi d’intervenir dans des opérations bien moins médiatisées par le gouvernement français » relèvent les auteurs du rapport. Il y a eu par exemple son rôle proactif dans la guerre qu’a mené Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville en 1997.
Enfin, la présence militaire française au Gabon est intimement liée aux nombreux intérêts économiques français dans ce pays.
« A l’approche des élections présidentielles, et alors que l’on doit craindre une intensification de la répression, la France a pourtant le choix de suspendre sa coopération militaire et sécuritaire, pour ne pas se rendre indirectement responsable des exactions commises par les forces de sécurité gabonaises qu’elle contribue à former et conseiller » conclut le rapport.