Pour parer aux risques de fuite hors du pays, la Cour de Monrovia a prononcé la détention préventive de Charles Sirleaf, le fils de l’ancienne présidente Ellen Johnson, dans le cadre d’une sombre affaire de détournements de plusieurs milliards de dollars qui se sont littéralement évaporés des coffres de la Banque centrale du Liberia dont il était le vice-gouverneur entre 2016 et 2018. Un article de nos confrères de la Tribune Afrique
Pour la première comparution de Charles Sirleaf et de ses complices, la Cour de Monrovia a placé la barre très haut. Lors de l’audience de ce lundi 04 mars, elle a réclamé aux cinq prévenus, dont deux en fuite, une caution de… 32 millions de dollars américains! Ne satisfaisant pas à cette exigence judiciaire, Charles Sirleaf, le vice-gouverneur de la Banque centrale, Milton Weeks, l’ancien gouverneur de la même institution et Dorbor Hagba, ont été formellement inculpés de plusieurs chefs d’accusation.
«Sabotage économique», «utilisation abusive de fonds publics»
Sur l’acte d’accusation, figurent entre autres «sabotage économique», «utilisation abusive de fonds publics» ou encore «décaissement illégal», rapporte le journal libérien Front Page Africa. Les images des trois hommes menottés à leur arrivée comme à leur sortie de l’audience, tout comme celles des co-accusés portant la combinaison orange des prisonniers, ont fait le tour des médias. A titre préventif, la justice libérienne a ordonné la détention à la prison centrale de Monrovia en attendant que la police libérienne mette la main sur Richard Walker et Joseph Dennis, deux autres haut fonctionnaires de la Banque centrale en fuite.
Le 28 février dernier, les trois hommes ont été interpellés à la suite d’un mandat d’arrêt émis par la police nationale. Leur arrestation fait suite à la publication d’un rapport de 68 pages(lien en anglais) commandité en octobre 2018 par le gouvernement libérien au cabinet américain Kroll Associates Inc., à la suite d’allégations faisant état de la disparition de nouveaux billets de dollars libériens imprimés à l’étranger en remplacement d’anciens billets en circulation. La somme qui se serait évaporée lors de leur livraison par conteneurs à l’aéroport et au port de Monrovia, est estimée à plus de 100 millions de dollars.
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En 2016, passant outre la proposition de la Banque centrale de commander l’impression de 10 milliards de dollars libériens, la Chambre des représentants du Libéria avait voté une résolution réduisant cette somme de moitié. Mais la Banque centrale avait quand même passé une commande, sans appel d’offres à Crane Currency pour l’impression en Suède de 15 milliards de dollars libériens. Une somme de 10 milliards de la même devise a été injectée dans l’économie sans retrait des anciens billets de la circulation.
«L’analyse par Kroll des documents de livraison fournis par la Banque centrale du Liberia confirme que de nouveaux billets d’un montant total de 15,506 milliards de dollars libériens ont été reçus dans les coffres-forts de réserve de la Banque centrale», écrit l’ambassade américaine à Monrovia qui a publié le rapport après que le gouvernement de George Weah a demandé la collaboration des Etats-Unis notamment du FBI.Fin publicité dans 18 s
La lumière sur l’affaire des « billets disparus», promesse de Weah
Si le rapport réfute la disparition de conteneurs remplis de billets de banque comme l’a relaté la presse locale, il «fait part de ses préoccupations concernant l’exactitude et l’exhaustivité globales des enregistrements internes de la Banque». «Le rapport identifie les faiblesses systémiques et procédurales de la Banque centrale et identifie les lacunes des processus de gestion fiscale et monétaire au Liberia, qui existent depuis longtemps et qui perdurent encore aujourd’hui».
L’affaire dite des « billets disparus» avait éclaté mi-2018 et avait provoqué la démission en août de la même année de Charles Sirleaf, jusqu’ici vice-gouverneur de la Banque centrale. Largement commentée par la presse libérienne, l’affaire avait failli éclabousser Ellen Johnson lorsque Lenn Eugene Nagbe, l’actuel ministre de l’Information avait affirmé que l’administration de la présidente sortante n’avait pas informé celle de George Weah de l’arrivée des nouveaux billets.
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Face à la hausse de l’inflation et à la dévaluation du dollar libérien entraînées par la mise en circulation des nouveaux billets, George Weah avait tenté dans la précipitation d’enjoindre la Banque centrale de racheter l’équivalent de 25 millions de dollars américains de billets libériens.Tisonnée par la presse, l’affaire avait provoqué une série de manifestations dans les rues de Monrovia au cri de « rendez l’argent des conteneurs volés». Un vol de conteneurs depuis contredit par le cabinet Kroll.
Désormais, la justice a repris le cours de cette histoire rocambolesque pour satisfaire la promesse de clarté sur cette affaire. Charles Sirleaf et ses deux co-accusés semblent être les premières têtes à être tombées. D’autres, sans doute, suivront.L