Les casseroles du groupe Technip dans le monde arabe

Le groupe français Technip vient de voir annulé un contrat de un milliard de dollars avec les Algériens. Cet accident industriel s’ajoute à d’autres déboires de ce fleuron de l’industrie pétrolière, notamment à Abou Dhabi…..

le-resultat-net-de-technip-en-recul-de-22-5Est-ce la saison qui veut ça, mais l’orage s’accumule sur les tuyauteries  de Technip, orgueil de l’ingénierie française. Pour être plus clair, rapportons la définition que la firme donne d’elle-même sur son site Internet: « Technip est un leader mondial du management de projets, de l’ingénierie et de la construction pour l’industrie de l’énergie. » Cette boîte basée à La Défense n’est donc pas rien, si  Technip tousse la France et la Bourse sont malades.

Et voilà, après la perte d’un marché de 880 millions en Algérie, que dans une décision prise en appel, le Tribunal  Fédéral d’Abou Dhabi vient de condamner la société française, frappée pour ne pas avoir respecté ses contrats locaux. Si l’évaluation définitive du préjudice subi par l’ancien partenaire de Technip  – Suwaidi Engeneering qui a déposé la plainte- reste à venir, les experts sont déjà au travail. Selon une première estimation ce champion de l’industrie tricolore pourrait être sommé de verser 120 millions de dollars à la société émiratie lésée par le comportement de la grosse boîte française.

Misère dans la misère. 

Officiellement, pour ne pas affoler le cours de  bourse, Technip n’a pas provisionné sa perte judiciaire ni émis un « profit warning » à l’adresse de ses actionnaires. Le scénario garde encore des points de détails inconnus, mais si la catastrophe se confirme, les bénéfices du géant risquent d’être amputés du quart, 120 millions sur 500…

Il est instructif de revenir sur la politique  qui a conduit Technip à recevoir une telle punition. Dans les Emirats, comme dans de nombreux autres pays, on demande à tout nouveau partenaire économique de se lier à un « sponsor » puis de former avec ce  parrain une agence commerciale. C’est très exactement ce qui se passe entre Technip et Suwaidi qui, le 14 avril 1991 signent un accord de ce type. Il a pour objet « la fourniture d’études et de services aux sociétés de gaz et de pétrole ». Sous le numéro 3844 le dit contrat a été enregistré devant les services du ministère de l’Economie, puis il a été renouvelé chaque année et court jusqu‘à avril 2016.

Patatras, le 29 mars 2007, le même ministère, celui de l’Economie, agissant à la demande de Technip, décide d’annuler l’enregistrement de Suwaidi comme agence. Mais les émiraties se regimbent. Face à la justice ils demandent la réinscription de leur société sur les registres.

Comme à Abou Dhabi la justice marche à la même vitesse qu’en France, le litige s’ensable. Avec un réveil le 20 mai 2013. Carillon en forme de surprise puisque la Cour Fédérale, suivant une décision de cassation portant le numéro 218/2013, ordonne la réinscription de Suwaidi à titre d’agence de Technip ! Voilà donc le partenaire local rétabli dans sa fonction.

Vous l’avez compris, Suwadai n’entend pas stopper là le feuilleton. La société agit en justice, cette fois auprès du Comité des Agences Commerciales. Elle réclame le non perçu de ses six années d’exclusion dans une plainte qui porte ne numéro 25/2013. Selon l’application des dispositions de la loi sur les agences, Suwaidi se dit en droit d’exiger 51 538 400 dollars US.

Dans ce match de tennis judiciaire, Technip croit bon de répliquer par smash, une nouvelle demande de radiation de Suwaidi. Le 17 juin 2014 le fameux Comité des Agences rend sa décision. La demande de radiation de Technip est rejetée et le droit de l’agence à une indemnisation reconnu : « L’agent a droit à une commission sur les transactions que le mandant conclut lui-même ou à travers un tiers dans le territoire réservé à l’agent, nonobstant le fait que ces transactions ne fussent pas conclues grâce à l’effort de l’agent ». Traduction de ce langage juridique, qui est l’internationale de l’abscons : même si l’agence n’a rien fait, sur les actions commerciales conduites sur son territoire par son protégé elle doit toucher son pourcentage.

Au-dessus la mêlée  -sans doute l’effet produit sur les dirigeants de Technip qui siègent dans les plus hauts étages- la société française néglige le jugement et ne verse pas un sou.  Suwaidi se fâche et repart devant les juges, Technip fait de même en demandant l’annulation du jugement qui la condamne à payer. Pas de chance pour les tricolores, les juges déboutent le champion de la technique. Quant à la demande d’indemnisation de Suwaidi, elle est renvoyée devant le Tribunal local. C’est ce dernier qui vient de donner le nom du vainqueur: Suwaidi.  Technip n’a alors plus d’autre choix que de payer(1).

Si l’on ajoute à cela que les gestionnaires de La Défense, dans un marché avec l’Algérie, viennent de perdre un marché à un milliard (la remise à niveau d’une raffinerie), la météo économique est vraiment mauvaise pour cette fleur industrielle hexagonale. Autre horizon autre déconfiture, pour gérer un conflit l’opposant à Alger, les as de Technip avaient jugé bon de confier leurs intérêts à Philippe Delmas, un ex héros de l’affaire Clearstream, qui est arrivé droit dans le mur, alors qu’aucun « médiateur » n’avait été désigné pour  l’affaire d’Abou Dhabi. Ce qui fait, rassurons- nous, une économie d’honoraires. Si l’on observe enfin qu’en Arabie Saoudite Aramco est en froid avec Technip, le champ des possibles semble se réduire pour les as de La Défense qui ont vivement besoin d’un solide gardien de but.

 

(1)          Pour obtenir le point de vue de Technip, nous avons contacté le service de presse de la société… Mais ce dernier n’a pas jugé bon de nous répondre.