Avec 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France en 2014, le marché du Halal a dépassé le bio. Ce que n’a pas encore capté Manuel Valls
« Qu’est-ce que le Halal ? Peut-on faire confiance à tous les produits étiquetés Halal ? Les recettes du Halal financent-elles, directement ou indirectement, des mouvements islamistes ? Telles sont les interrogations auxquelles l’économiste et entrepreneur Lotfi Belhadj tente de répondre à travers son excellent ouvrage « La Bible du Halal » paru le 29 janvier aux éditions du Moment. Figure incontournable, volubile, passionnée des milieux franco tunisiens, ce natif du 9-3 a mis récemment son carnet d’adresses et ses entrées dans le milieu médiatique français au service d’Ennahdha, le parti islamiste tunisien. Dans son dernier ouvrage sur le Halal, ce lanceur d’alerte non conformiste pose quelques questions gènantes sur le business du halal, devenu une arme politique et économique.
VOICI QUELQUES EXTRAITS REJOUISSANTS DE LA BIBLE DU HALAL
Le Premier ministre Manuel Valls est il Hallal?
« Il y a un demi-siècle, les parents immigrés demandaient à leurs enfants de ne pas manger haram. Aujourd’hui, leurs petits-enfants réclament explicitement de manger halal. Les exigences ont changé, du fait de la francité des musulmans et de l’espace d’expression offert à la communauté musulmane de France. Mais les politiques, par leurs discours, en s’appuyant parfois sur des lois, leur ont toujours nié le droit à leurs aspirations. Ce fut le cas en 2002 quand, alors qu’il était simple maire d’Évry, le socialiste Manuel Valls s’était catégoriquement opposé au fait qu’un supermarché Franprix devienne un commerce halal .
Quand on lui avait demandé sur quel fondement républicain il se basait, le futur Premier ministre avait alors expliqué : « Si même le Franprix se spécialise, c’est le signe qu’il vaut mieux que tous ceux qui ne mangent pas halal quittent le quartier. Si on ne fait rien, si on accepte un échelon supplémentaire dans la spécialisation, le quartier va devenir un ghetto. » Le maire d’Évry avait alors menacé le supermarché d’envoyer « tous les pouvoirs de police » dont il disposait. Autrement dit, d’intensifier les contrôles fiscaux et ceux de l’Inspection du travail. Les millions de musulmans ont dû être ravis d’apprendre qu’ils étaient considérés comme des Français « spéciaux », même si, sur ce point, Manuel Valls n’a pas complètement tort : les musulmans sont aussi spéciaux que le sont les végétariens, les consommateurs de casher, les écolos ou les punks… Par cette décision, Valls a créé une confusion qui a contribué, avec les discours islamo sceptiques de la droite, à alimenter une opposition entre Français qui n’aurait jamais dû exister. Il y a douze ans donc, le discours du Front national influençait déjà des personnalités de gauche… Il n’existe pas de date précise à laquelle serait née la polémique autour du halal. Cette dernière a évolué à cause des hommes politiques, de leurs discours, de leurs décisions, comme celle de Manuel Valls à Évry. Chacun y a mis du sien, droite, gauche et extrême droite confondues. Des erreurs politiques qui ont semé la discorde en France entre les Français. Il est temps d’en finir avec ces polémiques et de comprendre combien leurs fondements reposent sur du sable, tant le débat manque d’objectivité.
Les discussions incessantes sur le halal sont donc symptomatiques d’une France qui, par l’intermédiaire de ses politiques, a lancé une polémique plus politicienne que politique. Car depuis cinq ans, le halal est stigmatisé, diabolisé et sujet à de nombreuses rumeurs. Ce débat s’est hissé jusqu’aux plus hautes sphères politiques en 2012, lors de l’élection présidentielle. Le Premier ministre François Fillon s’était aventuré à déclarer : « On est dans un pays moderne, il y a des traditions qui sont des traditions ancestrales, qui ne correspondent plus à grand-chose alors qu’elles correspondaient dans le passé à des problèmes d’hygiène 1. » La légèreté de ses propos n’a pas tardé à faire réagir sa ministre de la Justice, Rachida Dati, qui avait rétorqué que, entre halal et casher, « François Fillon mélange tout » et que « ce n’est pas au Premier ministre de réécrire l’Ancien Testament 1. » Dans le viseur de Fillon, on pouvait apercevoir l’abattage rituel. Le casher bien sûr, mais aussi le halal. Et si nous arrêtions d’ériger le halal comme un ennemi de la République ? Mettons le consommateur de halal sur un pied d’égalité avec le consommateur végétarien ou le consommateur bio et laissons à chacun son droit à se nourrir comme il l’entend. Voyons le halal comme un simple mode de consommation, cela dépassionnera le débat… »
La guerre du Halal est-elle déclarée?
« Aujourd’hui, le consommateur musulman français est en effet victime d’une guerre du halal qui oppose plusieurs acteurs :
• les musulmans eux-mêmes, dont les interprétations divergent. Conservateurs et progressistes s’opposent régulièrement au sujet du halal. Si un poulet est halal pour les uns, il ne l’est pas forcément pour les autres. Ces multiples interprétations sur la licité des aliments compliquent déjà singulièrement les débats. Il ne s’agit pas d’une simple guerre du halal, mais d’une guerre DES halal, tant les avis divergent, au sein de la communauté musulmane;
• les producteurs, qui utilisent des méthodes variées pour obtenir des produits qu’ils estiment halal. Bien souvent éloignées des préceptes religieux, les multinationales tentent d’inonder le marché de leurs produits, pour en tirer – et c’est bien compréhensible – de considérables bénéfices.
Face à eux, de petits producteurs abattent la viande, en respectant plus ou moins les règles édictées par le Coran;
• les législateurs, qui vont des prophètes législateurs (rasul) aux imams, en charge de prendre position sur tel ou tel produit. Mais, selon leur pays, leur culture et leurs accointances, ils délivrent des fatwas qui s’opposent les unes aux autres. Pour certaines organisations islamiques, le Coca-Cola ne serait pas halal, à cause de sa contenance minime en alcool. Pour d’autres, il le serait ;
• les labels, en charge de certifier halal les produits des producteurs. Ces labels se divisent en deux groupes bien distincts : les indépendants, des sociétés ou associations, qui ont décidé de créer un cahier des charges et de se constituer en label, et les mosquées qui ont obtenu l’agrément de l’État pour certifier les produits halal. Parmi elles, seules les trois grandes mosquées de Paris, Lyon et Évry Courcouronnes, sont habilitées à estampiller officiellement les aliments halal ;
• l’État, qui a offert à ces trois mosquées un agrément de labellisateur et qui est pleinement présent dans le débat sur le halal, tout comme les institutions de la Communauté européenne. Les uns et les autres légifèrent régulièrement sur l’abattage rituel, égratignant souvent deux principes fondamentaux : la laïcité et les droits de l’homme. »
La certification de la viande Halal est-elle fiable ?
En dépit de son origine coranique, le halal est devenu un marché où l’attrait de l’argent entre en conflit avec le spirituel. C’est d’abord en fonction de critères économiques que la plupart des certificateurs définissent désormais leur ligne de conduite, tandis qu’une minorité lutte pour maintenir une exigence éthique, dans la jungle d’un marché qui leur laisse peu de place. « Certains accordent aveuglément leur confiance à l’industriel. D’autres désignent un salarié musulman comme “référent halal” dépositaire des outils de certification. Enfin, d’autres imposent la présence de leur contrôleur. De mon point de vue c’est la meilleure des choses », explique Abderrahmane Bouzid, fondateur de la marque Wassila (…)
Autrement dit, comme l’affirme un proverbe africain : « Là où il y a de l’argent la vérité se tait ! » Pour gagner plus, des labels acceptent donc de certifier à l’aveugle…
A qui profite vraiment le commerce du Halal ?
Au-delà des considérations économiques, le débat sur le halal est faussé par de nombreuses idées reçues. À commencer par celle qui ferait de chaque consommateur musulman un djihadiste en puissance. Selon nombre de nos concitoyens, c’est à l’échec du système d’intégration français que l’on doit l’émergence de la « halalisation » et de la « musulmanité ». Une équation simpliste, reprise par les politiques, qui lui ont ajouté une inconnue : la radicalisation religieuse.
Pour le Front national, c’est tout juste si en chaque consommateur de halal ne sommeillait pas un combattant de l’État islamique. Acheter un saucisson halal paierait une partie de la kalachnikov d’un djihadiste parti combattre en Syrie ou en Irak, un kebab financerait ses munitions… Un fantasme répandu, partagé par de plus en plus de Français, alimentés par des extrêmes droites persuasives, à défaut d’être réalistes. Car si le marché du halal représente plusieurs milliards d’euros, la manne destinée aux associations labellisant le halal, qui n’ont absolument rien à voir avec une quelconque association djihadiste, est maigre. (…) En réalité, les plus gros bénéficiaires de l’abattage rituel sont les industriels. Ce sont eux qui réalisent la majeure partie des gains. Des multinationales, de grandes sociétés ou simplement des PME, dont les profits sont traçables, généralement destinés à des actionnaires qui n’ont pas vraiment des têtes de djihadistes.