Après quinze ans d’une embellie financière insolente, les autorités algériennes refusent de céder au pessimisme face à la récession. La population est nettement moins sereine
Une chute de plus de 40 % des exportations. Une monnaie nationale qui a perdu presque 30 % de sa valeur. Des réserves de changes qui s’amenuisent et un déficit budgétaire qui avoisine les 20 milliards de dollars. Tous les signaux de l’Algérie sont au rouge. « Il est important que les Algériens ne constatent pas la moindre déprime chez leurs dirigeants. C’est une question de vie ou de mort. Si nous cédons à la panique, c’est toute la stabilité du pays qui sera compromise », confie un haut cadre qui travaille dans le cabinet d’un important ministère à Alger.
Pour notre interlocuteur comme pour de nombreux autres cadres dirigeants du gouvernement algérien, il faut éviter le scénario de 1986. « A l’époque, les dirigeants algériens s’étaient précipité en prenant plusieurs décisions catastrophiques sous l’effet de la baisse brutale des prix du pétrole. Deux ans plus tard, en octobre 1988, des émeutes éclatent partout à travers le pays. 400 morts et plus tard une décennie noire dont nous connaissons tous les cruautés », analyse un conseiller au ministère de l’Intérieur algérien.
« Ne cédez pas à la panique »
Observer, réfléchir, consulter, se concerter avant de décider. C’est la nouvelle méthodologie privilégiée par Alger pour surmonter la crise. Une méthodologie qui régit, désormais, la communication du Président Bouteflika. Ce dernier tente de faire de la pédagogie dans ses messages adressés à la population. « Ne cédez pas à la panique », « gardez votre sang-froid », « nous entreprenons des réformes », les assurances de Bouteflika visent avant-tout à empêcher toute ébullition du front social. Pour preuve, les autorités algériennes ne veulent pas suspendre brutalement les transferts sociaux et le système des subventions aux produits de première nécessité et aux carburants.
« Il faut y aller crescendo. Priver les Algériens de l’équivalent de 30 milliards de dollars d’un coup sera contre-productif. En 2016, une première vague d’augmentation entrera en application avec son lot de nouvelles taxes. En 2017, la refonte des transferts sociaux passera à un autre rythme de croisière. Les quotas de logements sociaux vont baisser significativement et les produits de première nécessité soutenus seront rationnés et contrôlés. Petit à petit, d’ici 2019, la culture rentière cédera sa place à une nouvelle organisation sociale et économique », explique un cadre au Premier Ministère, le chefferie du gouvernement algérien.
Des chantiers gelés en cascade
Pour appuyer cette stratégie, de nombreux gros chantiers ont été gelés. Les nouvelles extensions du métro d’Alger ne seront pas réalisées. La fameuse nouvelle autoroute des hauts-plateaux ajournée, les grandes infrastructures du secteur du BTP placées en stand-by, l’Algérie abandonne doucement, mais sûrement ses caprices. La priorité est à l’investissement productif et la baisse de la facture très salée des importations. En cette année 2016, une baisse de 20 à 30 % est prévue par les autorités algériennes. Du coup, de nouvelles mesures sont prises contre les importations massives: limitation des fonds propres des banques, instauration des licences d’importations, obligation de contrôler les bilans fiscaux avant d’octroyer des crédits d’importations. Histoire d’alléger une facture qui dépasse les 50 milliards de dollars par an.
Économiser, produire, économiser les subventions sociales: ces mesures suffiront-elles à limiter les dégâts d’une récession d’ici 2020, date à laquelle la tirelire de l’Algérie évaluée à 159 milliards de dollars sera sérieusement entamée. « C’est une véritable course contre la montre : changer ou disparaître. C’est aussi simple que cela », ont averti des experts universitaires algériens consultés par Abdelaziz Bouteflika, au début du mois de septembre dernier. Le message a été reçu au sein de l’élite dirigeante.
La population ainsi rassurée prendra-t-elle son mal en patience? Rien n’est moins sûr. A moins de dissoudre le peuple, ce qui n’est pas une mince besogne…