Le mouton de l’Aïd Al Adha, un luxe inaccessible pour les Marocains

Le soutien gouvernemental à l’importation de bétail au Maroc a suscité une large controverse en raison des divergences internes au sein de la majorité gouvernementale sur les chiffres réels de la répartition de cette aide et ses répercussions sur les prix du marché local.

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 Bien que le gouvernement ait affirmé que l’objectif de cette aide était d’alléger le fardeau des citoyens à l’approche de l’Aïd al-Adha, les données révèlent que ces politiques n’ont pas donné les résultats escomptés. Cela a conduit les partis politiques et les observateurs des affaires politiques et sociales à exprimer leur mécontentement, au milieu de doutes croissants sur les véritables intentions de cette aide.

Déclarations contradictoires

La majorité gouvernementale marocaine traverse une crise politique aiguë entre ses composantes en raison de déclarations contradictoires sur la politique de soutien à l’importation des moutons. Au départ, Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’Eau et secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, a révélé des informations sur cette politique, affirmant que le montant alloué à ce soutien s’élevait à 1,3 milliard de dirhams, bénéficiant uniquement à 18 importateurs. Il a vivement critiqué la manière dont cette aide a été distribuée, blâmant le gouvernement pour son incapacité à influencer les prix du marché. Selon lui, le prix des moutons est resté élevé pendant l’Aïd al-Adha, impactant négativement les citoyens qui espéraient une baisse des prix.

Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants et membre du bureau politique du Rassemblement national des indépendants (RNI), a rapidement réagi aux déclarations de Baraka. Il a affirmé que les chiffres avancés étaient erronés, précisant que le nombre réel des importateurs bénéficiaires était d’environ 100, et non 18, et que le coût total de l’opération n’avait pas atteint 1,3 milliard de dirhams, mais seulement 300 millions.

Talbi Alami a insisté sur le fait que l’aide gouvernementale avait été distribuée de manière raisonnable et basée sur des chiffres réels. Selon lui, ces exonérations visaient à assurer un approvisionnement en moutons à des prix abordables dans le cadre de la stratégie gouvernementale de lutte contre la flambée des prix et de facilitation de l’achat des moutons pour l’Aïd al-Adha.

De son côté, Nabil Benabdallah, secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), est intervenu dans le débat en apportant de nouvelles données basées sur des documents gouvernementaux officiels. Dans un article publié sur sa page Facebook, il a révélé un document montrant que le montant des exonérations fiscales pour l’importation des moutons et des bovins s’élevait à près de 13,3 milliards de dirhams. Il a ajouté que 277 importateurs avaient bénéficié de ces exonérations, y compris les importateurs de moutons et de bovins.

D’après Benabdallah, ces données proviennent des documents fournis par le gouvernement en réponse à une demande du PPS en octobre 2024, dans le cadre des discussions sur le projet de loi de finances 2025. Selon ce document officiel, les pertes budgétaires dues aux exonérations sur les bovins résultaient principalement de la suppression des droits d’importation appliqués aux bovins domestiques du 21 octobre 2022 au 31 décembre 2024, ce qui a coûté 7,3 milliards de dirhams au Trésor public, en plus de 744 millions de dirhams de TVA prise en charge par l’État.

Concernant les moutons, le gouvernement a également annulé les droits d’importation et la TVA depuis février 2023, ce qui a coûté au budget général 3,86 milliards de dirhams et 1,16 milliard de dirhams respectivement. Dans ce cadre, 144 importateurs ont bénéficié de ces exonérations entre février 2023 et octobre 2024.

Pour l’importation des moutons destinés à l’Aïd al-Adha 2024, Benabdallah a indiqué que 474 312 moutons avaient été importés, avec une subvention forfaitaire de 500 dirhams par tête, ce qui a coûté à l’État 237 millions de dirhams.

Une gestion gouvernementale chaotique : échec et justifications

Avec l’intensification du débat sur l’aide à l’importation du bétail, les observateurs soulignent de plus en plus l’inefficacité du gouvernement dans la gestion de ce dossier sensible, qui n’a abouti qu’à un gaspillage des fonds publics sans impact tangible sur le pouvoir d’achat des Marocains. Certains y voient le dernier coup porté à l’ancien ministre Mohamed Sadiki, qui a perdu son poste à cause de cette crise. De plus, l’aveu explicite de l’échec de cette politique par Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, ne fait que renforcer les accusations contre le gouvernement, accusé d’être incapable de réguler le marché ou de garantir la justice sociale qu’il prône dans ses discours officiels.

Cet aveu, suivi de déclarations contradictoires au sein même de la majorité gouvernementale, soulève des questions légitimes sur les responsabilités politiques de cet échec. En effet, la crise ne s’est pas limitée à l’Aïd al-Adha, mais a mis en lumière des dysfonctionnements structurels plus profonds dans la gestion économique et sociale. Entre les chiffres divergents avancés par Nizar Baraka et Rachid Talbi Alami, et les révélations basées sur des documents officiels de Nabil Benabdallah, il apparaît clairement que le gouvernement lui-même est incapable de fournir une version unifiée et convaincante sur les montants réellement dépensés pour ce soutien, alimentant ainsi les doutes sur la transparence de sa gestion.

Certains observateurs estiment que ces contradictions offrent une opportunité de repenser les mécanismes de soutien à l’importation du bétail et de renforcer la transparence des déclarations gouvernementales, surtout à l’approche des élections. Chaque parti cherche désormais à exploiter cette crise pour orienter le débat public sur la justice sociale et les inégalités économiques.