Alors que le Mali est déjà en proie à une situation sécuritaire alarmante, le fléau de l’insécurité alimentaire menace le pays.
Alors que les premiers signes du désastre se font déjà sentir, l’Etat malien continue de faire la sourde oreille. Or si les autorités n’agissent pas vite, les conséquences seront catastrophique/
L’insécurité alimentaire au Mali n’est pas nouvelle. Les sécheresses des années 70 et 80 ont les populations poussées sur les routes de l’exode. Ce qui a contribué à déstructurer les modes de vie et à miner le tissu social.
L’année 2020 a déjà été une année noire avec, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), plus d’un million 300 mille Maliens victimes d’insécurité alimentaire sévère. Le deuxième semestre 2021 et l’année 2022 risquent d’être encore bien pires.
La production cotonnière: -75% !
Baisse des cours du coton, forte pluviométrie: l’année avait déjà mal commencé avec la plus mauvaise récolte cotonnière de l’histoire du Mali. Mieux, les djihadistes ont mis le feu aux champs qui avaient été épargnés par la pluie. Du coup, on a constaté une baisse de la production de 75%.
La production de riz qui assure 60% de la consommation malienne a, elle aussi, été touchée par les intempéries. Dans la zone de l’Office du Niger, de nombreux de riziculteurs ont perdu totalement ou partiellement leurs récoltes.
Conséquence immédiate : une flambée du prix de cette denrée sur les marchés, le sac de 100 kg a augmenté de 30%. Pour essayer de colmater les pertes et afin de survivre, les paysans ont fait une culture de contre-saison en plantant oignons et tomates. Mais à cause de l’insécurité, les grossistes ne viennent plus chercher les marchandises dans cette zone. Résultat : le prix de ces denrées a chuté de 90%. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, le cheptel a presque disparu à cause des vols par les divers groupes armés. Il règne une telle anarchie dans le pays qu’aucune autorité n’est en mesure de donner un chiffre concernant les pertes de bétail, mais dans certains endroits, il ne reste plus une seule tête. Or, l’élevage est le troisième produit d’exportation du Mali après le coton et l’or. Outre les conséquences économiques, cela a des incidences directes sur l’alimentation surtout sur celle des enfants qui n’ont plus accès au lait animal, avec toutes les carences associées que cela induit.
L’Etat aux abonnés absents
Les agriculteurs ne savent donc plus à quel saint se vouer, d’autant qu’ils doivent payer la redevance eau à l’Office du Niger, organisme qui entretien les réseaux d’adduction d’eau, comme la saison a été très mauvaise, ils n’en ont pas les moyens. S’ils ne s’acquittent pas de leur dû avant le 31 mars, ils risquent d’être expropriés de leurs terres. Les syndicats paysans ont alerté les autorités, rencontrés le Premier ministre, le ministre du Travail ; envoyés des courriers dans lesquels ils ont fait part de leurs inquiétudes, mais à quelques jours de la date fatidique, ils n’ont toujours pas de réponse. L’Office du Niger a concédé quelques dégrèvements, « 300 millions sur les 7 milliards dus par les agriculteurs qui ne reflètent pas la réalité » selon Bakary Mamoudou Traoré, le secrétaire général du Syndicat des Exploitants Agricoles du Mali.
D’autant qu’ils doivent faire face à un autre problème, trouver l’argent pour les semences et les engrais. Chaque année en mai, l’Etat octroie une subvention engrais, mais l’année dernière, l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta ne l’a pas versée. Alertées sur ce point aussi, les nouvelles autorités font la sourde oreille.
Sans engrais, les paysans, endettés l’année dernière pour acheter ses intrants, ne pourront pas planter une nouvelle récolte. Il reste deux petits mois à l’Etat pour éviter que la saison 2021-2022 soit elle aussi compromise. Les syndicats agricoles ont fait leurs compte, l’Etat doit débourser 7 milliards CFA pour la redevance eau et 7 milliards de CFA pour prendre à sa charge la totalité des engrais.
Vers un exode massif
Beaucoup seront sans doute obligés de quitter leurs terres. Selon des agriculteurs de la région, dans la zone de Ndébougou, qui se trouve dans le cercle de Niono, les habitants de trente villages ont déjà quitté leur terre, n’ayant plus de quoi manger, ni rembourser les prêts. Personne ne sait où ils sont partis. Sont-ils venus grossir les rangs des déplacés, déjà très nombreux à Bamako ? Bakary Traoré, déclare « s’ils ne font rien, nous allons commencer la désobéissance civile et ne pas payer la redevance eau. Pour le reste, nous n’avons plus les moyens, si l’Etat ne prend pas la mesure de la gravité de la situation, nous n’aurons d’autre choix que de quitter nos terres. Et les jeunes prendront la mer… » Sans compter que les terres laissées vacantes pourraient être occupées par les groupes armés.
Outre l’Etat malien, cette situation devrait inquiéter les partenaires du Mali car elle porte les germes d’une plus grande déstabilisation sécuritaire en plus de l’insécurité alimentaire.