Le patron de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, a estimé possible, dans un entretien avec le site « Ici Beyrouth », l’amorce d’une sortie de crise dans le cadre d’un accord entre l’Etat libanais et le FMI, de l’élaboration d’une loi de Finance crédible et une restructuration des banques libanaises sur base de fonds frais. Il a déclaré que dans ces conditions, la valeur de la livre retrouvera « un équilibre logique », sans doute à un niveau supérieur à celui d’aujourd’hui.
Riad Salamé est-il vraiment le Don Corléone de la finance libanaise, tel qu’il est apparu dans une campagne de presse orchestrée à Paris et à Beyrouth après le dépôt de deux plaintes pour blanchiment déposées devant la justice française ? Ou reste-t-il au contraire, comme le soutiennent ses amis, ce sphinx au sang froid qui règne sur la Banque du Liban (BDL) depuis vingt huit ans, ultime rempart avant un possible effondrement financier du pays?
Le procès médiatique qui est intenté à Riad Salamé a bien d’autres ressorts que la volonté affichée de lutter contre les frasques financières des élites libanaises. Lesquelles expliquent la formidable mobilisation populaire que les Libanais ont baptisé du nom de Thaoura (‘la Révolution ») et qui s’est manifestée depuis octobre 2019 dans les rues. La diabolisation de la Banque du Liban dont le Gouverneur est le gardien permet à la classe politique libanaise de désigner un bouc émissaire commode et de botter en touche sur ses propres turpitudes.
Jeux de pouvoir
Autre certitude, certaines personnalités du monde de la politique libanaise sont à l’œuvre, notamment en Suisse, dans cette mise en cause judiciaire, dans le but notamment de pousser Riad Salamé vers la sortie et de s’emparer tout bonnement de la place enviée qu’il occupe (1).
Issu d’une grande famille libanaise qui fit fortune au Liberia dans le cacao, Riad Salamé était gestionnaire de fortune chez Merril Lynch, où cet homme de réseaux à l’échine souple prenait soin, entre autres, des économies de l’épouse de Yasser Arafat, Rafiq Hariri, redoutable chasseur de tète et Premier ministre du Liban à plusieurs reprises de 1992 à 2004, qui le nomma à la tète de la Banque du Liban (BDL) pour redresser la monnaie nationale après les années de guerre civile. « Hariri, PDG du Liban », titrait « Libération » pointant la formidable capacité du leader sunnite à reconstruire une place financière conquérante.
Hariri et Salamé furent ensemble les maitres d’œuvre de la reconstruction pharaonique du centre de Beyrouth en favorisant les appétits immobiliers d’une caste au pouvoir. Sur fond d’une stabilité exceptionnelle de la livre libanaise qui s’échangea contre le dollar à un taux fixe, constant et très favorable pendant un quart de siècle, un cas assez unique dans l’histoire de la finance mondiale dont tous les Libanais, et pas seulement les plus privilégiés, furent les bénéficiaires.
La fin de l’âge d’or
Tout allait pour le mieux dans le meilleur des monde libanais qui était largement financé par les monarchies pétrolières du Golfe, les conférences sur la dette organisées à Paris par ce grand ami du Liban qu’était l’ex Président français, Jacques Chirac et enfin une diaspora nombreuse, fortunée et confiante dans la solidité de la monnaie adossée au dollar.
L’âge d’or perdure pendant la crise des subprimes en 2008-2009 et ne prend fin, hélas, qu’à partir de 2011. C’est le début de la guerre en Syrie, la montée du terrorisme dans la région et l’incapacité des élites politiques libanaises d’entamer la moindre réforme. La montée en puissance du Hezbollah, ce mouvement pro iranien qui développe un Etat parallèle tout en participant au gouvernement, contribue à paralyser définitivement le pays.
Protéger les déposants
Dans une interview exclusive qu’il vient d’accorder ce 27 novembre 2021 au site Ici Beyrouth, Riad Salamé a souligné que la BDL ne peut pas prendre l’initiative d’émettre de nouveaux billets de livres libanaises avec moins de zéros, une telle démarche nécessitant l’approbation du gouvernement et le vote de lois.
M. Salamé a défendu la politique de la BDL qui s’est toujours fixée pour objectif , a-t-il affirmé, la protection des déposants tout en empêchant la mise en faillite d’une quelconque banque libanaise. « La faillite d’une banque signifie la perte des dépôts des clients », a-t-il martelé. Dans ce prolongement, le gouverneur de la BDL rappelle différentes circulaires de la Banque centrale qui ont permis de clôturer les comptes des petits déposants dont les soldes n’excédaient pas trois mille dollars, la recapitalisation des banques libanaises pavant la voie à une reconstitution de leur liquidité auprès de leurs banques correspondantes.« Cela a permis aux déposants qui le désiraient de retirer huit cents dollars par mois, dont la moitié en dollars bank note », a-t-il souligné.
Interrogé sur la capacité de la BDL à intervenir sur le marché de change afin de juguler la détérioration de la valeur de la livre face au billet vert, M. Salamé a déclaré que l’intervention de la BDL n’aurait pas d’effets vu que l’économie du pays est devenue « une économie de cash ». « En cas d’intervention, la BDL ne saura jamais où ses dollars pourraient aboutir », a-il-dit.
À chacun ses responsabilités
Au sujet de la répartition des pertes, le gouverneur a révélé que pour l’instant il n’y a pas un plan définitif mais des idées qui circulent, mettant l’accent sur le fait que la Banque centrale acceptera le montant des pertes que l’Etat présentera.Il a insisté sur le fait que « seules les banques, et non pas la BDL, connaissent leurs clients et les mouvements de leurs comptes. »
Interrogé sur la probable lirification (conversion en livres libanaises) de certains comptes libellés en dollars après fin octobre 2019, M. Salamé a déclaré avoir mis en avant des propositions pour une réorganisation des paiements des déposants qui s’inspirerait entre autres de l’esprit de la circulaire 158.
Le gouverneur de la BDL a enfin réaffirmé qu’il s’est toujours opposé au défaut de paiement du Liban.
(1) Sous le titre « La Banque du Liban est-elle sous le coup d’une vaste attaque informationnelle ? » sur le site « Portail de l’IE », Pierre d’Herbès a publié une enquête très documentée sur les personnalités politiques et médiatiques libanaises qui soutiennent l’ONG suisse « Accountability Bow », à l’origine d’une des deux plaintes portées contre Riad Salamé.