Le livre « Paris-Alger, histoire passionnelle », qui sort le 15 avril, met en cause Chérif Rahmani, possible futur Premier ministre. Mondafrique avait déja enquêté sur ses biens mal acquis en France.
La France a décidément d’autres avantages que son système de santé pour attirer les responsables politiques algériens. Et surtout leur fortune. Dernière péripétie en date, l’actuel secrétaire général du FLN Amar Saadani qui possède des biens immobiliers à Paris, comme l’a révélé Mondafrique, aurait été entendu par des policiers français l’été dernier.
Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet, dans leur « Paris-Alger : histoire passionnelle » aux Editions Stock, revienennent sur ces biens mal acquis notamment par Abdesslam Bouchouareb, ancien ministre des mines de Bouteflika, et Cherif Rahmani, ancien gouverneur d’Alger et ministre et possible futut Premier ministre. Regrettons que ces auteurs n’aient pas pris la peine de citer le site Mondafrique. Et au passage, interrogeons nous sur que fait l’organisme français de lutte anti blanchiment, Tracfin, face aux avoirs des dignitaires algériens dans les banques françaises ? Pire, pourquoi les services fiscaux, comme on va le voir, ferment les yeux, comme ce fut le cas pour Rahmani?
Loin d’être un cas isolé, l’affaire Saadani est une sombre illustration de la boulimie immobilière d’une partie des élites algériennes. Ainsi que de l’étrange facilité avec laquelle elles s’y laissent aller en France. En mai dernier, les services de cadastre de la ville de Paris avaient notamment confirmé à Mondafrique que le ministre de l’industrie et des mines du gouvernement de Bouteflika, Abdesslam Bouchouareb, possède un superbe appartement au cœur de la capitale, quai Montebello, face à la Seine et à Notre Dame. Depuis, aucune explication n’a été fournie sur les conditions dans lesquels le ministre a pu s’en rendre propriétaire. Les autorités françaises qui saluent la procédure dite des « biens mal acquis » dont le but est de déterminer les conditions dans lesquelles plusieurs dignitiaires africains ont acquis certains biens en France, ne semblent pas faire même cas des dérives des responsables algériens en la matière.
Les bonnes affaires des Rahmani
Une autre affaire témoigne de ce bien étrange manque d’intérêt. L’ex ministre-gouverneur du Grand Alger et ancien ministre de l’Environnement puis de l’Industrie, Chérif Rahmani a lui aussi investi dans la pierre parisienne. Comme l’avait révélé une enquête du Canard Enchaîné en février 2011, l’homme et sa famille, possèdent, à travers la Société civile immobilière « Fomm », trois pieds à terre dans les quartiers chics de la capitale. Un appartement de 85 mètres carrés, un studio de 20 mètres carrés et un deux-pièces de 31 mètres carrés situés rue Singer et rue des Sablons dans le très chic XVIe arrondissement. Achetés par des proches du ministre, dont son chauffeur Benyoucef Ali-Moussa, ces biens se sont finalement retrouvés entre les mains Zoubida Bentahar, l’épouse de Rahmani. Un autre appartement situé au 55 rue Massue à Vincennes est au nom de Nacima Balaroui, l’épouse du fils de l’ex-ministre, Mokhtar Rahmani. Pour effectuer ces achats, la famille passe souvent par l’intermédiaire de l’un des proches fidèles de Chérif Rahmani à Paris, Zaïdi Lalioui, le gérant du restaurant et salon de thé de la Mosquée de Paris dont le nom apparait dans les statuts de Sociétés civiles immobilières.
A Alger, les affaires de Rahmani se portent tout aussi bien. La famille du ministre a la main sur une myriade d’entreprises spécialisées dans les domaines immobiliers, de l’hôtellerie, de la vente de vêtements. L’une des filles de l’ex ministre, Fella Rahmani, possèderait même une pizzeria fast-food. Convertis en businessmen aguerris, les Rahmani sont enfin passés maîtres dans l’art de faire fructifier leur fortune. Près de vingt ans en arrière, une propriété d’Etat située près du palais présidentiel avait été cédée à un particulier pour une somme dérisoire avant d’être rachetée à un prix équivalent par l’épouse de Rahmani. Une très belle prise, qu’elle revendra ensuite pour pas moins de 800 000 euros encaissant ainsi une jolie plus-value.
Complicités françaises
Autant d’éléments qui, côté français, auraient pu soulever des interrogations quant à la provenance des fonds qui ont servi à financer les investissements parisiens de l’ancien ministre. Aucune suite n’a pourtant été donnée à l’affaire soulevée à de nombreuses reprises. Entré en guerre contre Rahmani qu’il accuse d’avoir mis la main, à travers l’un de ses proches, sur un local lui appartenant à Alger, un algérien résident en France qui requiert l’anonymat a porté le dossier devant la justice algérienne. Alors que l’enquête piétine, il tente, documents à l’appui, de mettre les autorités françaises sur la piste des biens de Rahmani en France. Selon lui, les fonds ayant servi à ces achats seraient alimentés par de l’argent public détourné. En 2009, le parcours du combattant commence. Il prend contact avec la Direction générale des finances publiques. Il alerte ensuite le procureur de Paris puis la brigade financière. Aucun de ces services ne donnent suite à sa requête. En 2011, la Direction nationale d’Enquêtes fiscales (Dnef) le convoque. A l’époque, c’est le directeur de la sixième brigade nationale d’investigation, Philippe Ramone, qui prend en charge l’affaire. Après dix-huit mois d’enquête, et un travail jugé, selon cette même source, « extrêmement positif » par Ramone, la réponse donnée est pour le moins étonnante. « Un service supérieur a récupéré le dossier. » Plus questions de poursuivre l’enquête. Rahmani disposerait-il au sommet de l’Etat français de précieux alliés veillant à sa protection ?
Deux ans plus tard, Hollande remplace Sarkozy à la tête de l’Etat. Le détracteur de Rahmani retente sa chance auprès de la Dnef où l’équipe responsable du dossier a changé. L’agent Brice Tassera devient son interlocuteur principal. Au cours de leurs échanges, plusieurs éléments sont fournis pointant des tranferts d’argent que Rahmani et son associé en France, Zaïdi Lalioui, effectueraient vers plusieurs comptes bancaires à l’étranger, notamment en Suisse et au Luxembourg. Brice Tassera annonce finalement qu’une action devrait être entreprise contre Rahmani entre avril et juin 2014. Pourtant, rien n’est fait. Ses supérieurs auraient décidé de classer le dossier. Contacté par Mondafrique, il n’a pas souhaité fournir d’explications sur les raisons de ce blocage.
Est-ce par négligence qu’aucun compte rendu de recherches n’a été donné ? Les éléments dont disposent les enquêteurs étaient-ils insuffisants pour poursuivre les démarches engagées ? Ou bien, les connaissances de Chérif Rahmani au sein de l’appareil d’Etat français lui permettent-elles de garder l’affaire sous silence ?