Dans ce cinquième volet de notre série sur le business du terrorisme, nous nous penchons sur la source d’enrichissement locale que constituent les fonds de la lutte contre les djihadistes pour les responsables sécuritaires.
C’est un des paradoxes créés par la lutte contre le terrorisme en Afrique : aujourd’hui sur le continent, il vaut mieux être ministre de l’intérieur ou de la défense que titulaire du portefeuille des finances. Ce dernier s’arrache chaque fin de mois les cheveux pour trouver l’argent nécessaire au paiement des salaires, des bourses, des fournisseurs de l’Etat alors que ses collègues de l’intérieur et de la défense voient leurs budgets augmenter sans cesse, au nom de la lutte contre le terrorisme.
Mais, ils voient surtout, non sans délectation, les différents mécanismes de contrôle des deniers publics renoncer, les uns après les autres, à leurs prérogatives. « Dans ce contexte de guerre contre le terrorisme, osez demander des comptes au ministre de l’Intérieur ou de la défense est perçu, au mieux, comme un acte antipatriotique. Si vous vous y aventurez, vous pouvez être accusé de soutien au terrorisme », résume un député d’un pays sahélien ouest-africain.
Le Nigéria
Ainsi au Nigéria, les ressources domestiques et les aides extérieures affectées à la lutte contre la menace terroristes sont gérées dans la plus grande opacité. Sambo Dasuki, ancien conseiller à la sécurité nationale du président Goodluck Jonathan, est accusé d’avoir détourné 4,5 milliards de dollars destinés à la lutte contre le groupe terroriste Boko Haram. Après réévaluation, les sommes détournées pourraient atteindre près de 13 milliards de dollars.
Le Mali
Après le Nigéria, le Mali….Selon une enquête du parti pour la renaissance nationale (PARENA, opposition), 42 véhicules 4X4 acquis pour le compte des patrouilles mixtes forces armées maliennes (FAMA)/Groupes armés signataires de l’accord d’Alger ont été facturés à plus de 2 milliards 300 millions (environ 3,5 millions d’euros) soit près de 50 millions (76 000 euros) de francs CFA l’unité. Mis en cause dans le dossier, Tiéman Coulibaly, alors ministre de la défense, a été brièvement écarté du gouvernement. Il est y revenu moins de trois après au portefeuille des Domaines de l’Etat et des affaires foncières, avant d’accéder au prestigieux poste de ministre des Affaires. Cette prime à l’impunité n’a rien de surprenant au regard de sa proximité avérée avec Karim Keita, président de la Commission défense à l’assemblée nationale malienne, mais surtout fils du président malien Ibrahim Boubacar Keita (IBK).
Le Niger
Chaque semaine, 700 millions de francs CFA (près d’1,7 million d’euros) sortent du trésor public nigérien pour être affectés aux patrouilles urbaines de sécurisation des grandes villes du pays, notamment de Niamey, la capitale
L’ancien ministre nigérien de la défense, Mahamadou Karidjo, aujourd’hui titulaire du portefeuille des Transports, était devenu un des hommes les plus riches du pays. Il avait fait acheter à son pays des avions de chasse Sukoï, bien que leur utilité dans la lutte contre le terrorisme paraissait discutable pour les spécialistes. En réalité, toute une ingénierie du détournement et de l’enrichissement illicite a été développée dans les Etats touchés par le terrorisme, à travers le paiement des rétro-commissions par les sociétés occidentales, à priori au-dessus de tout soupçon, mais aussi grâce à la surfacturation, la passation des marchés de gré à gré ainsi que des commandes fictives. Une économie de la guerre contre le terrorisme s’est ainsi créée avec ses agents, ses intermédiaires, ses donneurs d’ordre.
Ayant vu, la tutelle politique se sucrer, la hiérarchie militaire s’est elle aussi engouffrée dans la brèche. Les généraux et autres officiers affectés dans les régions concernées par la lutte contre le terrorisme se mettent plein la poche. Ils rognent sur les crédits affectés à l’achat du carburant, à l’intendance, aux déplacements du personnel ou à l’entretien du matériel roulant.
L’ancien chef d’état-major général de l’armée nigériane Alex Badeh est accusé d’avoir détourné pas moins de 19 millions de dollars affectés à la lutte contre Boko Haram.
Une manne inespérée
Et comme un effet de contagion, les commandants locaux reprennent à leur compte les pratiques déviantes du haut commandement. Dans les villes situées sur la ligne de front au Mali, au Tchad, au Nigeria, au Niger, au Burkina Faso et en Mauritanie, des chefs militaires devenus de véritables prédateurs n’hésitent pas à trouver des petites combines pour gagner de l’argent. Ils revendent une partie du carburant qu’ils reçoivent, d’autres achètent des équipements locaux bas de gamme pour leurs casernes, tandis que d’autres encore gonflent les frais de déplacement et multiplient les missions.
La troupe, quant à elle, témoin directe de ces agissements, hésite à se battre contre les terroristes.