Les sociétés privées de sécurité sont devenues en Afrique des « Etats dans l’Etat ». A la faveur de la montée de la menace terroriste.
Au Sahel, épicentre des activités des groupes terroristes, les sociétés privées partagent avec les Etats la protection des biens et des personnes. De la vidéo-surveillance à la géolocalisation en passant par la cybersécurité, la protection rapprochée, l’exfiltration, convoyages de fonds voire le renseignement privé, les sociétés de sécurité privée comme West Africa sécurity, G4S, Black Hawk, sont désormais en première ligne, dans la lutte contre le terrorisme, profitant de la faiblesse de l’appareil d’Etat incapable d’assurer ses fonctions régaliennes.
Ce changement de mandat s’accompagne d’une forte évolution des moyens, des effectifs et des méthodes. La société nigérienne de sécurité (SNS), par exemple, emploie près de 2000 personnes et dispose de sa propre école de formation aux métiers de la sécurité qui propose des cycles entre 300 000 francs FCFA (450 euros) et 500 000 francs CFA (750 euros). Des montants élevés qui ne découragent pourtant pas les candidats dans un pays où le salaire minimum garanti (SMIG) est inférieur à 40 000 francs CFA (environ 65 euros).
Signe du caractère juteux de ce créneau, Yacine Diallo, le promoteur de SNS a investi un million d’euros dans la création d’un nouveau centre de formation afin de faire face à la demande en sécurité privée au Niger, pays confronté aux risques d’infiltrations terroristes sur trois frontières : nord-ouest avec le Mali, sud-est avec le Nigéria et nord avec la Libye. Fondée par le Mauritano-Sénégalais Abderrahmane Ndiaye, SAGAM international affiche, pour sa part, des effectifs de près de 3600 employés et un chiffre d’affaires annuel de 11,4 millions d’euros. En Côte d’Ivoire, le nombre de sociétés privées de sécurité a tellement explosé que leurs propriétaires se sont regroupés en syndicat dénommé Union patronale des entreprises de sécurité privée de Côte d’Ivoire (UPESP-CI).
Mieux vaut ne pas être pauvre
Dans de nombreux pays, ces sociétés disposent d’équipements et proposent de niveau de rémunération qui rendent envieux policiers, gendarmes et militaires. En effet, à Niamey, Abidjan, Ouagadougou, Nouakchott ou N’Djamena, leurs sièges sont reconnaissables aux moyens technologiques modernes qui les équipent: caméras de surveillance, antennes satellitaires, parcs automobiles flambants neufs dotés de toutes les gammes de véhicules d’interventions et de secours équipés de gyrophares.
En villes, leurs agents sont identifiables à leurs uniformes réglementaires soignés, à leurs brassards, leurs talki-walki ou leurs déplacements sur des motos d’interventions rapides. Alors qu’il affiche une croissance annuelle de plus de 10% actuellement, le secteur de la sécurité privée est appelé à se développer tant que la menace terroriste persistera en Afrique. Il peut continuer de prospérer longtemps pour répondre à la demande de plus en plus forte d’une clientèle institutionnelle ou privée qui ne compte pas son budget sécurité.
Aux agents de police ou de gendarmerie mis à leur disposition par les pays d’accueil, les chancelleries occidentales, cibles principales des groupes terroristes, ajoutent désormais le recours aux prestations des sociétés privées de sécurité. Ces mêmes structures assurent presque partout dans les Etats du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) la protection des bureaux de l’Union européenne, des ambassades des Etats-Unis, d’institutions internationales comme la Banque africaine de développement, l’Union africaine et des multinationales parmi lesquelles Areva, Sogea-Satom, Toyota, Eiffage, Bolloré Logistics.
Il s’y ajoute les hôtels de grand standing (Radisson Blu, Sheraton, Hilton) et les grandes ONG internationales comme la Croix rouge (CICR), Médecins sans frontières (MSF), OXFAM, Caritas, Care International. Même la force française Barkhane et la mission multidimensionnelle des Nations unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) et le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) n’hésitent pas parfois à sous-traiter aux sociétés privées de sécurité la surveillance de certains de leurs locaux.
Outre la clientèle institutionnelle, ces structures assurent également des prestations aux fonctionnaires internationaux, aux personnalités emblématiques du secteur privé ou même à des artistes de réputation mondiale. Comme tout secteur rentable, celui de la sécurité privée reste fermé et fonctionne en réseau. La création d’une société privée est soumise à l’agrément discrétionnaire du ministère de l’intérieur, qui repose, en théorie au moins, sur les résultats d’une enquête de moralité. Pour les nationaux, il vaut donc mieux n’est pas être catalogué « proche de l’opposition ». Pour les expatriés, il vaut mieux avoir de bons réseaux. C’est notamment le cas d’anciens officiers de l’armée française ou de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Ancien commandant du Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), Frédéric Gallois a cofondé la société privée de sécurité Gallice présente, notamment, en Centrafrique, au Cameroun et au Congo-Brazzaville. Peer de Jong, ancien colonel des troupes de la Marine française, ancien aide de camp des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac, fournit, à travers Themiis, des conseils en sécurité et protection à des institutions et des multinationales intervenant dans les Etats du G5 Sahel.
Francis Sahel