La Côte d’Ivoire , un pays miné par l’inflation

Dr Ahoua DONMELLO, qui fut jusq’à ce mois d’octobre le vice-Président du PPA-CI en charge de l’implantation du Parti en Afrique et de la promotion du panafricanisme s’inquiète de la terrrible progression de l’inflation en Côte d’Ivoire

« Washington, le 24 mai 2023. Le conseil d’administration du Fonds monétaire international a approuvé en faveur de la Côte d’Ivoire des accords d’une durée de 40 mois au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) et de la facilité élargie de crédit (FEC) portant sur un montant de 2 601,6 millions de DTS (équivalant à 400 % de la quote-part, soit environ 3,5 milliards de dollars) » (confère Rapport du FMI n° 23/204)

L’Afrique est maintenant habituée à la carotte et au bâton du FMI. La carotte on la connait : 3.5 milliards dollars ; mais quel est le bâton ?

Le même rapport indique :

«Les autorités ont déjà commencé à réduire les dépenses liées à la crise, en particulier les subventions généralisées aux produits alimentaires et aux combustibles »

C’est donc dans le panier de la ménagère que le bâton frappera. Pour réserver aux ivoiriens un effet de surprise, le même rapport indique :

« La politique de transparence du FMI autorise la suppression, dans les rapports des services du FMI et autres documents publiés, d’informations délicates au regard des marchés et de données qui divulgueraient de façon prématurée les intentions de politique économique des autorités. »

L’exaspération des ivoiriens

La crise des datas due à une augmentation des prix de l’internet en avril 2023 en Côte d’Ivoire, n’était qu’un ballon d’essai et a mis en évidence la face cachée d’un budget sous perfusion, mais aussi l’exaspération des ivoiriens.

Les résultats des élections locales du 2 octobre 2023, donne des arguments pour un passage en force des engagements pris par le gouvernement dans le cadre du financement du FMI et une marginalisation de toute contestation.

Quelles sont les causes profondes du recours aux médecins du FMI ?

L’examen du budget 2023 reflète l’Etat de santé de la nation et met en évidence les causes profondes de la descente dans l’enfer de l’inflation.

Le budget 2023 s’élève à 11 694.4 milliards de FCFA financé à hauteur de 5 282.1 en ressources internes soit 45% du budget. Il a donc besoin d’un apport externe sous forme de perfusion financière estimée à 4 981 milliards de FCFA sur les marchés financiers internes et externes, soit 42% du budget.

Ce budget est basé sur une hypothèse optimiste du taux d’inflation fixé à 2%(1) et d’une croissance mondiale de 2.9%(1), d’une croissance nationale de 7.3%(1) et d’un emprunt de 4 981(1) milliards de FCFA. Dans un environnement multirisque et inflationniste, Ces hypothèses sont à haut risque et les prêteurs externes auront les yeux tournés vers leurs propres problèmes. Les ivoiriens ne sont plus prêts à serrer les ceintures sur les biens de consommation courantes tels que les datas pour financer la dette  qui a besoin d’un audit très sérieux au vu des nombreux marchés publics attribués sans appel d’offre.

Ces emprunts servent à 75%, à financer les intérêts et l’amortissement de la dette qui s’élèvent à 3 742.9 milliards de FCFA pour 2023 et les 25% sont affectés à des nouveaux projets pour atteindre un objectif de croissance de 7.3%.

Si le gouvernement emprunte pour rembourser les intérêts et l’amortissement de la dette c’est que les 21 498 milliards de FCFA de la dette accumulée pendant tout le mandat de Monsieur Ouattara après la réduction de celle-ci consécutive à la fin du processus PPTE (Pays Pauvre Très Endettés) en 2011, n’ont pas produit de richesse pour rembourser cette dette.

La stratégie d’endettement de Monsieur Ouattara est donc non créatrice de richesse. Pour preuve le bilan 2022 de la loi des finances 2023, estime une croissance de 0.8% pour le secteur primaire qui est la source de création de richesse de l’économie ivoirienne contre 20.2% du secteur BTP.

L’absence de fonds souverain  épuise les ballons de perfusion constitués par les marges de manœuvre de l’endettement. Les secteurs de consommation courante comme les datas constitue un gisement important de collecte de taxe. Plus les prix sont élevés plus les taxes collectées sont élevées. Ceux qui n’ont tiré aucun bénéfice de la dette sont ceux qui sont chargés de rembourser tandis que les bénéficiaires de la dette constitués par des contrats sans appel d’offre, sont souvent exonérés de taxes et d’impôts.

Les pauvres ivoiriens paieront donc pour les riches investisseurs extérieurs qui sont exemptés de toutes taxes et impôts. Le rapport du FMI a eu l’amabilité d’indexer cette injustice en recommandant dans son rapport :

« Ce processus sera appuyé par l’élaboration, la publication et la mise en œuvre d’une stratégie de mobilisation des recettes à moyen terme, qui devrait réduire considérablement de coûteuses dépenses et exonérations fiscales, en particulier en ce qui concerne la TVA »

Il est bien évident que le gouvernement ne prendra pas le risque de d’offenser ses maîtres protégés par les accords de défense et que les ivoiriens sans défense seront les uniques victimes

Le Cadre de Viabilisation de la Dette (CVD) qui accompagne la loi des finances 2023 avertit: «Le CVD indique qu’il n’y a aucune marge d’absorption des chocs pour la Côte d’Ivoire en raison d’un dépassement de seuil du ratio service de la dette extérieur rapporté aux recettes budgétaires hors don en 2025 ».  (annexe 11, loi des finances 2023, p.11). En termes simples, le service de la dette deviendra  insoutenable en 2025. En réalité l’intervention musclée du FMI montre que le seuil est dépassé.

En réalité les dettes cachées à travers les multiples sociétés d’Etat permettent de minimiser la dette et de justifier de nouveaux emprunts. Le rapport recommande :

« À l’aide d’une assistance technique du FMI, les autorités prévoient d’intégrer les entreprises publiques dans les comptes consolidés du secteur public conformément au MSFP 2014 et aux Statistiques de la dette du secteur public »

Ces recommandations faites depuis 2014 n’ont jamais connu un début d’exécution et ce n’est pas maintenant que la transparence sur les vrais chiffres de la dettes sera désirée par le gouvernement.

Plusieurs conséquences découlent de l’analyse de ce projet de budget et du rapport du FMI:

  1. La Côte d’ivoire est passée d’un budget sécurisé (comptant uniquement sur les ressources internes) sous le régime de Laurent GBAGBO donc souverain à un budget sous perfusion à 42% sous Alassane OUATTARA. Nous avons donc perdu notre souveraineté budgétaire.  Tous les pays s’endettent mais tous les pays bien gouvernés assurent leur dette face aux chocs extérieurs ou intérieurs par des réserves d’or ou des fonds de souveraineté. La réserve d’or de l’UEMOA est confisquée par la France.
  2. L’énorme dette déclarée de 21 498 milliards de FCFA n’a pas pu créer de richesse pour amortir la dette, par conséquent nous répétons les erreurs de la première République qui a conduit au PPTE. Nous sommes en face d’investissements tirés par le BTP qui ne profitent pas aux opérateurs nationaux pouvant réinvestir dans l’économie pour déclencher un processus de croissance intravertie.
  3. Avec la crise inflationniste en Europe, la stratégie d’emprunt externe pour rembourser la dette a atteint ses limites et la Côte d’Ivoire n’a le choix que de pousser les citoyens vers l’enfer de la vie chère . Les ivoiriens deviennent les victimes de la dette et sont contraints de céder leur patrimoine; ce qui explique la vente prochaine de l’historique société mixte des travaux (SONITRA) qui devait être le plus grand bénéficiaire d’une croissance fondée sur le BTP. La crise des datas  n’est que le début d’une longue descente dans l’enfer d’un nouveau PPTE au fur et à mesure que les portes de l’emprunt se ferment et que la vérité sur la dette sera découverte. En l’absence d’un fonds souverain ou de réserves d’or, un nouveau PPTE sera nécessaire et plus dur car lorsque se fermeront les portes des emprunts, la Côte d’Ivoire ne peut que vivre sur ses ressources internes. Avec un niveau de ressources internes prévues de 5 282.1 milliards de FCFA en 2023 et un service de la dette exigible de 3 742.9 milliards de FCFA, soit 70% des ressources internes, les 30% restantes ne couvriront ni la masse salariale qui représentent 37% des ressources internes encore moins les biens et services. La pression sur les secteurs de consommation courante (téléphone, internet, eau, électricité, transport, nourriture, santé, éducation, logement etc.) pour faire face aux charges de l’Etat sera de plus en plus forte. Les infrastructures qui ont tirées la croissance seront en dégradation accélérée faute de budget d’entretien suffisant. La Côte d’Ivoire perdra donc le bénéfice des infrastructures, objets de la dette, tandis que celle-ci sera exigible.
  • En Outre, le choix libéral qui implique le désengagement de l’Etat du secteur productif au profit des investissements étrangers qui sont dédouanés de tout sacrifice et les accords de coopération monétaire qui assurent la libre transférabilité des ressources des entreprises bénéficiaires des BTP, n’ont pas été à la hauteur des attentes. Ces investisseurs préfèrent la prédation des matières premières, les mirobolants marchés publics, l’immunité fiscale et le transfert vers l’extérieur de toutes les ressources engrangées. En conséquence, l’effet multiplicateur du développement économique et social attendu du développement des infrastructures n’a pas été au rendez-vous. En particulier la croissance du secteur primaire  est resté faible (0.8%) contre 20.2% du secteur BTP aux profit des entreprises extérieures et les ressources affectées à la jeunesse et l’emploi jeune est faible : 42.1 milliards de FCFA .
  • En conséquence, l’indice de développement humain reste faible dans le pays : 0.538 en 2019. La Côte d’ivoire, 3eme économie de l’Afrique de l’Ouest, occupe le 6eme rang au niveau de son indice de développement humain après le cap vert (1er), le Ghana (2eme), le Nigeria(3eme), La Mauritanie (4eme) et le Benin (5eme), traduisant ainsi le peu d’implication socio-économique des citoyens dans le processus de développement tandis que trois entreprises françaises et leurs alliés vont empocher 1000 milliards de FCFA pour réaliser 37km de chemin de fer baptisé métro.
  • Les données du PNUD du 18 Mars 2022 montrent que les riches sont devenus plus riches et les pauvres plus pauvres. En effet la part de revenu des 40% de la population les plus pauvres (en général les jeunes) est passée de 7.53% en 2010 à 7.1% en 2021, tandis que celle des 10% les plus riches (les gouvernants et leurs alliés) s’est établie à 54.66% en 2021, contre 49% en 2010.

Face à une économie dominée, la conquête de la souveraineté devient une exigence de survie pour tirer profit d’un monde multipolaire. Pour y arriver, nous devons rompre avec l’héritage coloniale (économie, monnaie et défense) et l’école héritée de l’école coloniale pour construire une école du savoir et du savoir fabriquer pour disposer du capital humain capable de porter un projet d’industrialisation et donner de l’espoir à une jeunesse nourrie de promesses dont une partie trouve refuge dans la drogue ou le suicide et ceux qui atteignent la cime de la connaissance, les docteurs, sont condamnés par la justice pour excès de diplôme.

Ahoua Don Mello, proche de Gbagbo, défend la Russie