Les juges qui enquêtent sur un éventuel financement libyen de la campagne de Sarkozy s’intéressent au rachat, via des comptes de riches séoudiens au Panama et en Suisse, d’une villa à Mougins sur la Cote d’Azur.
La Libyan Africa Portfolio (LAP), un fonds doté de 8 milliards de dollars, installé à Genève et présidé par Bachir Saleh Bachir, le chef de cabinet de Kadhafi, achète en mai 2009 une villa à Mougins, sur les hauts de Cannes. Le vendeur de la maison ? Une société panaméenne, Bedux Management Inc, qui sera dissoute en août 2010. Avec pour prête-nom, une certaine Diana Sanchez Gonzalez, à la fois présidente et directrice. Rien que de très classique dans l’univers obscur des paradis fiscaux. D’autant que l’argent revient à Genève.
La justice suisse souligne que « ce contrat aurait été passé dans le but de détourner des fonds, le prix versé par la seconde entité précitée à la première ayant été sciemment surévalué ». Les enquêteurs helvêtes sont tombés à cette occasion sur plusieurs flux financiers suspects, notamment sur un versement de 10 140 000 euros en 2009 qui aurait été versé, pensent les enquêteurs suisses, en faveur d’un riche homme d’affaires séoudien, Ahmed Bugshan. Lequel n’est autre que le cousin de Khaled Bughsan, le financier mis en examen à Paris qui est à l’origine d’un virement suspect d’un demi million d’euros à Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, et plus proche collaborateur de Nicolas Sarkozy.
Des circuits opaques
Or les magistrats français, qui ont ouvert une information judiciaire contre X pour « corruption », « trafic d’influence », « abus de biens sociaux » dans l’enquête sur un éventuel financement de la campagne de Nicolas Sarkozy par Kadhafi, ont adressé une commission rogatoire internationale en Suisse. Détail surprenant, ils évoquent eux aussi, dans leur transmission, un virement jugé douteux de 10 140 000 euros.
L’hypothèse avancée par les enquêteurs suisses et français serait que pour brouiller les pistes, l’argent n’aurait pas été directement versé par les Libyens à Nicolas Sarkozy en 2007. Les fonds auraient transité par une autre entité, qui aurait été remboursée seulement en 2009.
Comptes bloqués
En mars 2015, toujours à la demande de la justice française, le domicile de Chêne-Bougeries (dans le canton de Genève) de l’intermédiaire français Alexandre Djouhri, proche de Claude Guéant, est perquisitionné, ainsi que celui de Wahib Nacer, un banquier franco-yéménite, chargé de la clientèle moyen-orientale au Crédit Agricole de la Cité de Calvin, et financier … de la famille saoudienne Bugshan. Le procureur Jean-Bernard Schmid déclare dans la presse suisse que les perquisitions ont « duré plusieurs jours », une abondante documentation sur papier et supports électroniques ayant été saisie.
Au vu de ces perquisitions, la justice suisse bloque deux comptes appartenant au richissime homme d’affaires saoudien Ahmed Salem Ahmed Bugshan.
Bugshan débouté
Cette décision crée une certaine panique. Pour empêcher que des documents éventuellement compromettants partent en France, Ahmed Salem Ahmed Bugshan est allé jusqu’au Tribunal pénal fédéral (TPF), la plus haute instance judiciaire du pays demander le blocage des procédures.
Ses arguments ? D’une part, « les opérations bancaires sur ses comptes « ont été faites à son insu ». D’autre part, « la procédure conduite à l’étranger vise manifestement à la poursuite d’infractions à caractère politique, et à poursuivre ou à punir des personnes en raison de leurs opinions politiques ». Autant d’arguments qui montrent qu’on se trouve sur un terrain très sensible.
Enfin, l’homme d’affaires saoudien redoute que « son nom soit traîné dans la boue dans les gazettes françaises, ce qui serait d’autant plus injuste qu’il ne savait rien des transactions litigieuses ». Autrement dit, ce n’est pas moi mais mon banquier qui a tout manigancé dans mon dos. Personne ne peut le croire vraiment.
Le 4 février 2016, le Tribunal pénal fédéral l’a débouté, autorisant la transmission des informations recueillies à la justice française.
Coupable amour pour la peinture
Si Ahmed Salem Ahmed Bughsan n’est pas connu, en revanche son cousin Khaled Bughsan a eu à plusieurs reprises les honneurs de la presse tricolore. i« Le Saoudien qui peut faire tomber Guéant », comme avait titré « L’Obs ».
Mis en examen pour « blanchiment de fraude fiscale en bande organisée » et « faux et usage de faux », Claude Guéant a tenté de justifier ce versement de 500 000 euros par la vente de deux huiles de petit format, intitulées « Dutch Three-Masters in a Storm », d’un peintre flamand méconnu du XVIIe siècle, Andries Van Eertvelt. Habituellement, ses tableaux se négocient à des prix dix ou vingt fois inférieurs.
Depuis fort longtemps le groupe Bugshan travaille avec les sociétés françaises d’armement. L’un d’entre eux, Ali Abdullah Bugshan (le père de Khaled Bughsan) a même été décoré de la Légion d’honneur en 2004 par Jacques Chirac. Mais depuis, selon la lettre confidentielle Intelligence Online du 7 octobre 2015, la famille est devenue persona non grata des contrats de défense franco-saoudiens. Même recommandé par le chef d’état-major de la marine saoudienne, Khaled Bugshan a été écarté d’un contrat de livraison portant sur une trentaine de patrouilleurs à la Royal Saudi Navy.