- Mondafrique https://mondafrique.com/economie/ Mondafrique, site indépendant d'informations pays du Maghreb et Afrique francophone Thu, 25 Sep 2025 17:22:30 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.3 https://mondafrique.com/wp-content/uploads/2017/11/logo_mondafrique-150x36.jpg - Mondafrique https://mondafrique.com/economie/ 32 32 La Tunisie s’éloigne provisoirement de la banqueroute financière https://mondafrique.com/economie/la-tunisie-seloigne-provisoirement-de-la-banqueroute-financiere/ Wed, 24 Sep 2025 04:33:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=139174 Selon les agences de notation, la situation financière de la Tunisie est sortie de la zone de danger où elle se trouvait en 2023. Mais si les solutions adoptées permettent d’acheter du temps, les obstacles structurels demeurent. Par Selim Jaziri Le 12 septembre dernier, l’agence de notation financière Fitch a relevé la note souveraine de […]

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Selon les agences de notation, la situation financière de la Tunisie est sortie de la zone de danger où elle se trouvait en 2023. Mais si les solutions adoptées permettent d’acheter du temps, les obstacles structurels demeurent.

Par Selim Jaziri

Le 12 septembre dernier, l’agence de notation financière Fitch a relevé la note souveraine de la Tunisie, évaluant sa capacité à rembourser sa dette publique à long terme, de CCC+, à B-. En termes plus clairs, les créances détenues sur l’État tunisien de risquées, sont jugées désormais de qualité moyenne, avec néanmoins une perspective négative. En août dernier, l’agence japonaise R&I avait également relevé la note tunisienne de « négative » à « stable ».

Des perpectives bien meilleures qu’en avril 2023, lorsque Kaïs Saïed avait refusé de se soumettre aux conditions du FMI pour obtenir un prêt de 1,9 milliard de dollars. La note Fitch était alors abaissée à CCC-, dernière marche avant l’enfer du défaut de paiement. Josep Borrell, le commissaire européen aux affaires extérieures, s’alarmait d’un pays « au bord du gouffre ». Finalement, ni défaut, ni gouffre, la situation de l’économie tunisienne semble rester à flot et s’éloigner de la tempête. Une évaluation qui contraste avec l’impression de marasme et le pessimisme de la majorité des Tunisiens. Quels indicateurs justifient ce verdict relativement optimiste ?

Des indicateurs bien orientés

La Tunisie a honoré ses dernières échéances sur les marchés financiers. Une fois un prêt de 700 millions de dollars en eurobonds remboursé en juillet 2026, il ne restera plus que des prêts bilatéraux à rembourser.

Les réserves de change de la Banque centrale (même si Fitch anticipe une diminution de 4,7 mois en 2024 à 3,9 mois en 2027) seront suffisantes pour faire face aux prochaines échéances. La balance des comptes courants (le solde des transactions avec l’étranger) s’améliore, grâce à la hausse des recettes touristiques, des revenus d’exportation d’huile d’olive pour la saison 2023-2024 (une tendance néanmoins inversée cette saison en raison de la baisse des cours mondiaux) et des remises des Tunisiens à l’étranger (passées de 4 à 6 % du PIB, entre 2018 et 2024).

Le déficit budgétaire tend à diminuer (de 6,3 % en 2024 à 5,3% en 2025, et une anticipation à 4% en 2027) grâce à la légère diminution de masse salariale de l’État, contenue en dessous de 14 % du PIB, à une baisse probable du montant des subventions (sur les produits de première nécessité et l’énergie) suite à la baisse du cours du pétrole.

Les besoins de financement budgétaire sont également orientés à la baisse (de 18% du PIB en 2024 à 13,5 % en 2027, très au-dessus des 9 % dans la période 2015-2019).

Enfin, le secteur bancaire tunisien devrait accroître sa capacité à financer l’État grâce à l’augmentation des dépôts et à la faiblesse de la demande de crédit.

Le tout sur fond d’une légère amélioration du taux de croissance de l’économie, estimée entre 1,5 et 2% du PIB cette année.

L’argent magique

Mais à quel prix ces améliorations ont-elles été possibles ? Kaïs Saïed continue de vanter les mérites du « compter sur soi », selon le mot d’ordre lancé en 2023. En réalité, estime Hamza Meddeb, chercheur au Carnegie Middle East Center, la Tunisie ne peut pas se passer de financement extérieur. Si elle a refusé le prêt de 1,9 milliard du FMI, elle a dû emprunter depuis 1,7 milliard de dollars auprès de la banque africaine d’import-export « Afrixem Bank », à des conditions moins favorables que celles du FMI. Elle a emprunté également 1,2 milliard à l’Algérie et à l’Arabie saoudite. Si bien qu’en fait le pays continue à s’endetter. Le taux d’endettement de l’État est passé de 79 à 84 % du PIB entre 2021 et 2025.

Le recours au système bancaire tunisien pour prêter à l’État, en nette hausse (+ 22 % en un an en juillet 2023, + 24 % en juillet 2024 et + 34 % en juillet 2025), a un double effet pervers : il expose le secteur bancaire au risque souverain (même si ce risque diminue) et diminue la capacité des banques à financer l’économie nationale.

Enfin, une bonne partie de l’amélioration de la situation financière de l’État et sa capacité à honorer ses échéances repose en réalité sur le recours à la « planche à billets » : la Banque centrale a en effet été obligée par deux lois de février et décembre 2024 de prêter à l’État 7 milliards de dinars (environ 2 milliards d’euros), à taux zéro. Un artifice potentiellement inflationniste qui ne rassure pas sur la capacité de l’économie tunisienne à renflouer ses réserves de devises et à répondre à ses besoins de financement.

L’austérité sans le FMI

Le « compter sur soi » s’est surtout concrétisé par la capacité de l’État à se serrer la ceinture de lui-même. « Kaïs Saïed a fait de l’austérité sans le FMI », relève également Hamza Meddeb.

« La priorité a été donnée au remboursement des dettes dans l’utilisation de ses réserves de devises au prix de restrictions des importations, explique l’économiste. Les dépenses d’importation d’énergie ont été réduites. Quitte à organiser des pénuries de denrées de première nécessité telles que le sucre, le riz, le café, la farine, etc, et à imposer des coupures d’électricité. Sur le plan énergétique, la Tunisie vit sous perfusion de l’Algérie qui fournit du gaz et parfois cède une partie de sa production électrique, au prix d’une dépendance politique. »

La masse salariale a été contenue grâce à un gel des embauches depuis trois ans et à une limitation à 3,5 % de l’augmentation des salaires de la fonction publique, un taux inférieur à l’inflation (revenue à 5,2 % en août 2025, après avoir dépassé 10 % début 2023). Depuis la réforme des chèques, en février dernier, les Tunisiens sont privés de l’accès au crédit à la consommation. Le taux de prélèvements obligatoires n’a cessé d’augmenter depuis 2011 et dépasse les 33%, soit plus du double de la moyenne des pays africains.

Contrairement aux attentes des opposants de Kaïs Saïed, ces conditions difficiles n’ont pas provoqué de troubles sociaux susceptibles de déstabiliser le régime. Pour le moment, observe Hamza Meddeb « les Tunisiens se sont accommodés ». Si les remises des Tunisiens résidents à l’étranger ont augmenté, c’est précisément le signe des difficultés sociales des familles. Cet apport financier n’est pas consacré à des investissements, il permet de faire face aux dépenses courantes.

Par ailleurs, les détenteurs du capital des banques, qui détiennent également les principales sociétés tunisiennes, trouvent leur compte à cette situation, dans le court terme, grâce aux taux d’intérêt élevés servis aux banques privées qui prêtent à l’État et aux profits qu’ils permettent de réaliser.

Des fragilités structurelles

Cet assemblage financier, budgétaire, social et politique qui permet pour l’instant à Kaïs Saïed de réussir son pari, reste fragile.

La Tunisie est à la merci d’un nouveau choc conjoncturel (une hausse des cours du pétrole ou des produits alimentaires, une récession en Europe) qui dégraderait à nouveau la balance des comptes, relancerait la hausse du déficit budgétaire et de l’inflation qui éreinterait les ménages.

L’État n’a aucune marge de manœuvre : 93 % des dépenses publiques sont consacrées aux salaires, au remboursement de la dette et aux subventions. L’État n’a quasiment plus aucune capacité d’investissement. « Même le mur de l’école de Mezzouna dont l’effondrement avait tué trois collégiens en avril dernier, n’a toujours pas été reconstruit », relève Hamza Meddeb. Les services publics continuent de se dégrader.

« Les entreprises publiques ne sont toujours pas restructurées et leurs dettes, qui n’apparaissent pas dans le décompte de la dette de l’État, représentent 20 à 40 % du PIB selon la Banque mondiale », poursuit-il. « La Tunisie n’entretient plus son appareil productif et affaiblit son capital humain », déplore-t-il encore.

Faute de réformes, « les obstacles structurels à la création d’emplois, à la croissance tirée par le secteur privé et par les investissements étrangers demeurent », observait en août dernier l’économiste Hachemi Alaya. Une absence de perspective propice à l’émigration et à la fuite des cerveaux. Plus de mille médecins quittent la Tunisie chaque année (1600 en 2024, selon Nizar Laadhari, secrétaire général du conseil de l’ordre), pour 800 nouveaux diplômés par promotion.

Le spectre du défaut de paiement c’est éloigné, mais « la Tunisie a fait défaut sur son avenir », conclut Hamza Meddeb.

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Mali, les transporteurs sous pression des jihadistes et des militaires https://mondafrique.com/confidentiels/mali-les-transporteurs-sous-pression-des-jihadistes-et-des-militaires/ Thu, 18 Sep 2025 05:03:26 +0000 https://mondafrique.com/?p=138826 Datée du 15 septembre 2025, une déclaration conjointe de trois corporations de transport au Mali, portant signature de leurs leaders respectifs, apparaissait sur les réseaux sociaux À savoir le Conseil malien des transporteurs routiers (Cmtr), le Syndicat national des transports (Snt) et le Syndicat national des chauffeurs et conducteurs routiers qui qualifient leur mission de […]

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Datée du 15 septembre 2025, une déclaration conjointe de trois corporations de transport au Mali, portant signature de leurs leaders respectifs, apparaissait sur les réseaux sociaux À savoir le Conseil malien des transporteurs routiers (Cmtr), le Syndicat national des transports (Snt) et le Syndicat national des chauffeurs et conducteurs routiers qui qualifient leur mission de suicidaire et dénoncent, « avec gravité, les discours officiels laissant croire qu’aucun blocus n’existe ».

Les transporteurs maliens déplorent « l’incapacité manifeste des autorités la transition, à garantir la sécurité minimale de nos activités ». Plus loin, seuls le Cmtr et le Synacor se réservent « le droit de prendre, dans les jours à venir, toutes les mesures nécessaires, dans l’intérêt des populations et des routiers ». L’allusion corrobore la rumeur selon laquelle, les sociétés victimes de l’embargo ont entrepris de négocier avec le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Gsim-Alqaïda), auteur des récents raids, notamment celui du 15 septembre, contre un convoi de camions citernes, sur l’axe Kayes-Bamako.

Peu d’heures après, le Snt se désolidarise de l’initiative, la répute contrefaite et termine son laïus, par une exhortation patriotique : « Vive les forces armées et de défenses (sic) et de sécurité du Mali ».

Le lendemain, 16 septembre, le site Meta de la Primature, affiche une publication qui relate la rencontre, du Premier ministre Abdoulaye Maïga, avec le Groupement malien des professionnels du pétrole. Le chef du gouvernement l’affirme, « le travail continue. Même si nous devons aller chercher notre carburant à pied avec des cuillères, nous allons le faire ».
 
 
Le 14 septembre, jour de l’offensive spectaculaire sur la file de véhicules, en vain sous escorte des Forces armées maliennes (Fama), Abou Houdayfa Albambari, figure émergente du Gsim, réitérait des menaces sévères, à l’endroit des entreprises et individus qui violeraient l’embargo.

Cependant, dans la capitale et d’autres villes, les correspondants de Veille Sahélienne ne constatent pas encore l’effet manifeste des restrictions. Certes, un vent de panique saisit certains ménages, les poussant à faire provision de bidons d’essence et de gas-oil. La spéculation tarifaire autour des hydrocarbures ne saurait tarder.

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Tunisie-Libye, une interdépendance économique à l’épreuve du chaos https://mondafrique.com/economie/tunisie-libye-une-interdependance-economique-a-lepreuve-du-chaos/ Wed, 17 Sep 2025 01:55:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=138770 Le président tunisien Kaïs Saïed a réaffirmé, mardi 19 août, que seule une solution « libyo-libyenne », sans ingérence étrangère, permettra de sortir la Libye de la crise. Lors de sa rencontre à Tunis avec Mohamed Younis Al-Manfi, président du Conseil présidentiel libyen, il a insisté sur la souveraineté du peuple libyen et sa capacité […]

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Le président tunisien Kaïs Saïed a réaffirmé, mardi 19 août, que seule une solution « libyo-libyenne », sans ingérence étrangère, permettra de sortir la Libye de la crise. Lors de sa rencontre à Tunis avec Mohamed Younis Al-Manfi, président du Conseil présidentiel libyen, il a insisté sur la souveraineté du peuple libyen et sa capacité à définir son avenir. Kaïs Saïed a également souligné que la stabilité en Libye est indissociable de celle de la Tunisie, appelant à une coopération renforcée entre pays voisins.
 
Reste que les relations économiques tuniso-libyennes reposent sur une interdépendance vitale mais fragile, minée par l’instabilité politique et la prédominance des réseaux informels. Malgré des échanges commerciaux substantiels et un trafic frontalier intense les institutions officielles peinent à encadrer les flux, laissant place à une économie parallèle dominée par quelques acteurs.
 
Le projet de zone logistique, suspendu depuis 2009, symbolise l’échec à concilier intégration économique et souveraineté. Une réforme institutionnelle et une diplomatie économique proactive s’imposent pour transformer cette relation de voisinage en partenariat stratégique stable.
 
 Les relations économiques entre la Tunisie et la Libye dépassent le simple cadre du partenariat commercial bilatéral.Elles forment un écosystème complexe, où se mêlent interdépendance vitale, économie informelle omniprésente et contraintes géopolitiques paralysantes. Alors que la Libye reste plongée dans une crise politique persistante, la Tunisie, en proie à ses propres difficultés économiques, voit dans son voisin oriental à la fois un débouché crucial et une source d’instabilité chronique. Analyser cette dynamique nécessite de convoquer plusieurs grilles de lecture théoriques pour décrypter les paradoxes d’une relation où la logique du gain immédiat côtoie en permanence le spectre du risque systémique.
 
1. Une symbiose économique structurellement vulnérable
 
Le premier niveau de lecture, libéral, révèle une interdépendance économique chiffrée. La Tunisie se positionne comme le huitième fournisseur et le cinquième partenaire commercial de la Libye. Ses exportations, évaluées à près de 260 millions d’euros, sont largement dominées par les produits agricoles – près de 60% de la production maraîchère tunisienne transitant vers le marché libyen. Cette densité d’échanges, théoriquement facteur de pacification et de coopération selon les thèses libérales, se heurte pourtant à une vulnérabilité extrême.
 
 
Le point de passage frontalier de Ras Jdir, artère vitale évaluée à un milliard de dollars de flux annuels, en est le symbole. Véritable poumon économique pour les régions frontalières des deux pays, dont près de 3000 familles tunisiennes dépendent directement, il fonctionne au ralenti depuis des mois. Les flux, qu’ils soient humains – avec une chute de 60 à 80% par rapport au 1,5 million de visiteurs annuels d’avant-pandémie – ou commerciaux, sont otages des soubresauts sécuritaires et des fermetures arbitraires, illustrant la précarité d’une relation sans mécanismes institutionnels de résilience.

Tableau : Institutions tuniso-libyennes communes

Nom de l’institution

Secteur

Site Web

1

North Africa International Bank (NAIB)

Secteur financier/bancaire

http://www.naibbank.com/

2

Banque Tuniso-Libyenne (BTL)

Secteur financier/bancaire

https://btl.tn/en/btl-english/

3

Al UBAF Banking Group (Banque Arabe Internationale)

Secteur financier/bancaire

https://www.alubaf.com.tn/

4

STEG Internationale

Secteur de l’énergie

https://www.steg-is.com/

5

Joint Oil

Secteur de l’énergie

https://joint-oil.com/fr/

 
2. L’hégémonie des réseaux informels : l’échec des institutions officielles
 
Derrière la façade des échanges officiels, atones et inefficaces, prospère une économie parallèle d’une ampleur stupéfiante. Tandis que les quatre institutions financières communes cumulent des « pertes abyssales » et une impuissance structurelle, le volume des transactions informelles est estimé à près de 600 millions d’euros – soit le double des échanges officiels.
 
Pour décrypter cette contradiction, les théories de l’économie de l’information (Stiglitz) et de l’hégémonie (Gramsci) sont éclairantes. L’« échec de marché » est patent : asymétrie d’information, défiance totale envers les institutions officielles et illiquidité chronique ont créé un vacuum comblé par des acteurs non-étatiques. Selon nos sources, une poignée d’individus (autour de « 5 personnes ») contrôle un réseau d’environ 250 changeurs à Ben Guerdane, imposant ainsi son hégémonie sur l’économie transfrontalière. Cette structuration informelle, bien que répondant à un besoin pratique, sape la souveraineté économique tunisienne, d’autant que la Tunisie « n’a aucune présence financière en Libye ». Elle crée une rente de situation pour quelques-uns au détriment d’une formalisation qui bénéficierait à la collectivité.
 
3. Le « trilemme » de Rodrik ou l’impossible conciliation stratégique
 
L’impasse dans laquelle se trouve le projet de zone logistique de Ras Jdir, gelé depuis 2009 malgré un coût modeste estimé à 300 millions de dollars, est symptomatique d’un blocage plus profond. Conçu comme une plateforme intégrée pour dynamiser les échanges avec la Libye et l’Algérie, ce projet incarne le « trilemme de l’économie mondiale » théorisé par Dani Rodrik : la difficile conciliation entre intégration économique profonde, souveraineté nationale et stabilité politique.
 
Sa suspension indique que les bénéfices économiques évidents sont subordonnés aux considérations géopolitiques et sécuritaires. L’instabilité libyenne, les jeux d’influence des puissances régionales et l’absence de volonté politique commune l’emportent sur la rationalité économique. Ceci confirme, dans une lecture néo-marxiste, que la « superstructure » politique détermine in fine le devenir de « l’infrastructure » économique dans cette région.
 
4. Pistes pour une nouvelle gouvernance régionale
 
Dépasser cette impasse nécessite une approche audacieuse et réaliste, articulée autour de trois axes :
 
1. Formaliser l’informel : Il est urgent de réformer les institutions financières communes et de créer des mécanismes officiels de change et de transfert, flexibles et sécurisés, capables d’absorber la demande et de concurrencer les réseaux parallèles. La digitalisation des procédures et un contrôle assoupli mais efficace des flux pourraient être des pistes.
2. Relancer les projets structurants par une approche incrémentale : Plutôt que d’attendre une stabilisation politique totale en Libye, une relance du projet de zone logistique via un partenariat public-privé et une approche par « petits pas » permettrait d’envoyer un signal fort et de créer une dynamique de confiance.
3. Une diplomatie économique offensive et multifacettes : La diplomatie tunisienne doit activer tous les canaux, y compris avec les acteurs infra-étatiques libyens influents, pour sécuriser ses intérêts économiques et négocier une présence financière stable en Libye. Il s’agit de transformer une relation de dépendance subie en un partenariat stratégique négocié.
 
Le partenariat économique tuniso-libyen est une relation duelle : à la fois résiliente par la force des liens humains et des besoins économiques, et fragile face aux aléas politiques. Son avenir ne dépendra pas seulement des équilibres internes libyens, mais aussi de la capacité de la Tunisie à adopter une vision stratégique, à construire des institutions robustes et à négocier son interdépendance. La transition d’une économie de rente frontalière à un partenariat économique structuré est le seul gage de stabilité et de prospérité partagée pour ces deux voisins, dont les destins sont, quoi qu’il advienne, irrémédiablement liés.
 
 
 
 
 

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Pétrole, coronavirus, OPEP et Russie : la valse à quatre temps https://mondafrique.com/economie/petrole-coronavirus-opep-et-russie-la-valse-a-quatre-temps/ Tue, 02 Sep 2025 04:13:15 +0000 https://mondafrique.com/?p=138139 Le lundi 9 mars 2020 devrait rester dans les annales des évènements survenus sur le marché pétrolier puisqu’il a précipité les cours du pétrole à environ 33 dollars le baril (un niveau inobservé depuis début 2016), soit une baisse de près de 25 % par rapport au vendredi 6 mars. Si le marché pétrolier avait déjà observé une lente diminution de ses […]

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Le lundi 9 mars 2020 devrait rester dans les annales des évènements survenus sur le marché pétrolier puisqu’il a précipité les cours du pétrole à environ 33 dollars le baril (un niveau inobservé depuis début 2016), soit une baisse de près de 25 % par rapport au vendredi 6 mars. Si le marché pétrolier avait déjà observé une lente diminution de ses cours depuis fin 2019 (à environ 55 dollars le baril en moyenne en février 2020, contre 65 dollars en décembre 2019), cet effondrement des prix constitue la deuxième plus forte baisse enregistrée depuis la création du marché dans les années 1980.

Choc d’offre

À un choc de demande issu de la propagation du coronavirus et des mesures de confinement imposées notamment par la Chine s’est superposé un choc d’offre issu des conséquences de la décision de l’Arabie saoudite et de la Russie de cesser leur coopération sur le marché, précipitant ainsi l’effondrement des cours et ce, d’autant plus que l’offre était déjà excédentaire sur le marché pétrolier au premier semestre 2020.

Dans ce contexte, c’est le spectre d’une récession mondiale liée à l’atonie virale des économies en raison des mesures de confinement (suite au Covid-19) accentuée par une nouvelle guerre des prix qui plane sur le marché pétrolier mondial.

 
Évolution des prix du baril de Brent. Reuters

L’effondrement récent des cours du pétrole trouve son origine dans l’échec des négociations entre l’Arabie saoudite et la Russie sur la poursuite de la politique de collaboration initiée depuis 2017 sur le marché.

La réunion de l’OPEP+ (quatorze pays de l’OPEP et neuf extérieurs à l’organisation) qui s’est tenue le vendredi 6 mars devait ainsi discuter d’une baisse collective supplémentaire de la production pour environ 1,5 million de barils sur l’année 2020, cette dernière s’ajoutant aux 2,1 millions de barils déjà opérés sur le marché.

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L’Arabie saoudite jugeait en effet nécessaire de soutenir les prix du pétrole, qui avaient chuté de 30 % depuis le début de l’année en raison de l’épidémie mondiale de Covid-19 qui secoue actuellement l’économie mondiale et affecte directement la demande de brut.

Dans le cadre de ces négociations, la Russie a accepté de prolonger l’accord initial de réduction de production jusqu’à fin 2020, mais a refusé toute baisse supplémentaire de la production. Elle considérait que les prix actuels du pétrole étaient satisfaisants, ayant basé ses prévisions budgétaires sur un baril de Brent à 42 dollars. Elle souhaitait ainsi maintenir sa production afin de conserver ses parts de marché face aux producteurs de schiste américains.

Pourtant le nouvel accord de réduction de la production prévoyait une réduction d’environ 1 million de barils pour les pays de l’OPEP, le reste, environ 500 000 devant être partagé entre les autres pays producteurs. Le ministre russe de l’Énergie, Alexander Novak, a ainsi porté un coup dur à l’organisation qui, depuis 2016 avec la création de l’OPEP+, contrôlait près 50 % de la production mondiale de pétrole et a permis au prix du brut d’augmenter en moyenne de plus de 14 % sur les trois dernières années.

Même si la majeure partie des accords de réduction a été prise en charge par l’Arabie saoudite, et que le groupe a bénéficié de la baisse de la production en Iran, en Libye et au Venezuela, la Russie avait jusqu’à présent relativement bien suivi les recommandations de la coalition (taux de conformité en février de 81 %). En refusant d’accepter la nouvelle proposition de l’OPEP, la Russie semble donc vouloir mettre fin à l’OPEP+.

Guerre des prix

En conséquence, l’accord actuellement en vigueur sur la réduction de la production de 2,1 millions de barils par jour (mb/j) expirera fin mars et les pays producteurs pourront alors en théorie augmenter leur production. On pourrait donc de nouveau rentrer dans une période de concurrence agressive (comme en 2014), où chaque producteur tente de maintenir sa part de marché en maximisant sa production et en baissant ses prix.

L’Arabie saoudite a réagi immédiatement et déclenché une guerre des prix en réduisant le week-end dernier le prix de vente officiel pour le mois d’avril de l’Arabian light de 4 à 6 dollars le baril pour l’Asie et 7 pour les États-Unis (la plus forte baisse de prix en vingt ans) ainsi qu’en annonçant une augmentation de leur production de 25 % à 12,3 mb/j pour le mois prochain.

La situation observée actuellement sur le marché n’est pas sans rappeler l’épisode de 2014-2105, une période durant laquelle le prix du pétrole était passé d’environ 110 dollars le baril à moins de 35 dollars, ou de manière plus lointaine lors du contre-choc pétrolier de 1986.

L’ensemble des décisions prises par Moscou et Riyad semblent avoir une finalité commune : briser le triumvirat Arabie saoudite – États-Unis – Russie en réduisant la production de pétrole non conventionnel sur le sol américain. En effet, redevenus premier producteur mondial, ces derniers ont bouleversé la géopolitique pétrolière avec l’augmentation continue de leur production entre 2012 et 2019 (d’environ 6 à 13 mb/j). Or, un contexte de prix bas à moyen terme pourrait obérer la capacité des États-Unis à maintenir leur production, les coûts de production dans le pétrole non conventionnel étant sensiblement supérieurs à ceux observés dans le pétrole conventionnel.

 
Production de pétrole non conventionnel aux États-Unis, investissements et flux de trésorerie disponibles. IEA

Bien que certains acteurs puissent générer des profits en se focalisant sur les champs les plus productifs, 90 % des producteurs indépendants américains n’ont toujours pas généré de cash-flow positifs sur une année entière et près de 185 sous-traitants pétroliers se sont déclarés en faillite depuis 2015.

Le cabinet Rystad prévoit ainsi une baisse des investissements en exploration et production de 100 milliards de dollars, dont près de 65 milliards directement dans le pétrole non conventionnel aux États-Unis. Dans le contexte d’année électorale, cette nouvelle donne, si elle se poursuit, pourrait porter un coup dur à l’industrie pétrolière aux États-Unis et bouleverser l’échiquier de la politique intérieure américaine.

Le gouvernement a d’ailleurs immédiatement réagi et envisage un package pour aider l’industrie pétrolière américaine, un mouvement qui s’accompagne d’une baisse des taux d’intérêts directeurs aux États-Unis.

La fin probable de l’OPEP+ arrive à un moment où le marché est fortement déstabilisé par l’épidémie de coronavirus et par ses conséquences sur l’activité mondiale. En effet, la décélération de l’activité chinoise en raison des mesures drastiques de confinement avait déjà porté un coup d’arrêt à la croissance de la demande mondiale de pétrole début 2020 dans un contexte où l’offre était déjà excédentaire sur le marché. En 2019, la Chine représentait près de 80 % de la croissance enregistrée sur le marché. Premier importateur mondial de pétrole avec environ 10 mb/j, la Chine est un acteur majeur sur le marché.

Un baril à 20 dollars ?

Dans son dernier rapport publié le 9 mars, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a proposé trois scénarios de prévision de demande de pétrole pour l’année 2020. Dans son scénario central, l’AIE considère que la demande mondiale de pétrole devrait se contracter d’environ 90 000 barils/jour. L’agence considère ainsi que la propagation du coronavirus serait maîtrisée au cours du premier trimestre en Chine et que, malgré l’extension à d’autres zones (Europe, États-Unis, Iran, Corée, Japon, etc.), les conséquences sur la consommation de pétrole deviendraient plus limitées.

Le scénario pessimiste prévoit, de son côté, une baisse de la demande pétrolière de 730 000 barils par jour en 2020 et prend en compte une propagation du coronavirus en Europe, en Asie et dans d’autres zones économiques mondiales et un lent rétablissement des économies dans les trimestres à venir.

Quant au scénario optimiste, il anticipe une croissance limitée de la demande à 480 000 barils/jour en raison d’une faible extension de la contagion du virus en Europe, en Asie et aux États-Unis. Dans ce scénario, l’AIE considère limitées les restrictions dans le secteur transport.

Les analystes et les banques ont, pour la plupart, revu à la baisse leur prévision de demande mondiale de pétrole. Ainsi, la banque Goldman Sachs qui anticipait une croissance de la demande mondiale de pétrole de 1,1 million de barils fin 2019, a révisé à la baisse ses estimations à 550 000 barils en février et se positionne désormais pour une baisse de 150 000 barils.

La banque estime également que la guerre des prix déclenchée par l’Arabie saoudite pourrait faire glisser les cours du pétrole autour de 20 dollars le baril ! La plupart des analystes anticipe donc une baisse de la demande mondiale de pétrole en 2020, une première depuis 2009 et la récession provoquée par la crise économique.

 

Des États dépendants du pétrole

Pour les pays producteurs, la guerre des prix déclenchée par l’Arabie saoudite pourrait être source de profondes instabilités. Ces pays se trouvent en effet confrontés à de nombreuses incertitudes dans la dynamique de transition énergétique actuelle.

Les interrogations sur la demande future et sur le niveau des prix, qui évolueront en fonction de la rapidité de la transition, rendent fragile la position des États exportateurs d’hydrocarbures.

Ce contexte de transition rend nécessaire une redéfinition de leur modèle économique. La politique menée à l’heure actuelle par l’Arabie saoudite n’est ainsi pas compatible avec sa volonté de diversification économique à travers son plan « Vision 2030 » établi en 2016. En effet, ce sont les surplus de recettes pétrolières qui doivent permettre le financement de l’économie d’après pétrole.

Les hydrocarbures représentent ainsi plus des trois quarts des exportations pour 9 des 15 premiers pays exportateurs et ainsi un moyen essentiel à leur intégration sur la scène économique internationale. Si les situations sont diversifiées, il existe une réelle dépendance financière des États aux revenus issus du secteur des hydrocarbures : de 25 % du budget pour la Russie, ce chiffre se monte à près de 78 % du budget pour l’Arabie saoudite et 80 % pour le Koweït et le Qatar.

Or, aujourd’hui, le prix du pétrole nécessaire pour équilibrer le budget des États producteurs de pétrole dépassent pour l’ensemble des pays producteurs les 50 dollars. Il s’établissait ainsi à 84 dollars pour l’Arabie saoudite, autour de 50 dollars en Irak, au Koweït et au Qatar et à plus de 100 dollars au Nigeria et au Venezuela.

 
Indicateurs de dépendance des 15 premiers pays exportateurs de pétrole. Banque mondiale

Dans ce contexte, c’est l’ensemble des plans de diversification qui pourrait être remis en cause, retardant d’autant plus la transformation nécessaire de ces économies. Des cours du pétrole faibles sur le long terme pourraient provoquer la multiplication des troubles sociaux, notamment dans les pays composés d’une population jeune.

Un frein à la transition énergétique

Les conséquences sont également monétaires : le rouble s’est ainsi déprécié de manière importante dans le sillage de la baisse des prix du pétrole et la monnaie russe a ainsi atteint son plus faible niveau face à l’euro et au dollar depuis 2016.

La baisse des prix du pétrole n’est pas non plus une bonne nouvelle pour la dynamique de transition énergétique mondiale. En effet, les cours du pétrole sont les prix leaders sur les marchés de l’énergie et impactent généralement les prix des autres commodités énergétiques. Dès lors, le marché n’envoie pas les signaux nécessaires pour les investissements dans les énergies renouvelables (ni pour les énergies fossiles d’ailleurs) et, sans supports majeurs des États, ils risquent d’enregistrer une décélération dans les trimestres à venir.

Le travail mené dans le cadre du projet GENERATE a notamment mis en exergue la forte forte dépendance de l’innovation bas-carbone aux prix du pétrole, un lien qui confère une place importante aux pays producteurs d’hydrocarbures dans le contexte de transition énergétique actuel. Seul point positif, les bas prix du pétrole pourraient permettre à de nombreux États de réduire leurs subventions aux énergies fossiles.

 
Évolution de la part des brevets dans les énergies renouvelables dans le total des brevets délivrés par les cinq principaux offices de propriété intellectuelle. Patstat.

Les évènements actuels sur le marché pétrolier sont donc porteurs de nombreuses instabilités futures. Véritable cygne noir de l’année 2020, le coronavirus impacte directement l’économie mondiale et les marchés pétroliers. Il met en exergue les rivalités géopolitiques entre les acteurs et pourrait avoir des répercussions majeures dans la politique intérieure de nombreux États.

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Le triste 65eme anniversaire de l’Indépendance du Tchad https://mondafrique.com/libre-opinion/le-triste-65eme-anniversaire-de-lindependance-du-tchad/ Mon, 11 Aug 2025 06:25:22 +0000 https://mondafrique.com/?p=137528 Les élections législatives de décembre 2024 au Tchad, assez largement boycottées, ont donné une très large majorité au Mouvement Patriotique pour le Salut (MPS). Alors que le pays fête le 65eme anniversaire de l’indépendance, les dirigeants du parti au pouvoir, conduit par Idriss Déby Itno qui s’est auto désigné à la tète de l’État après […]

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Les élections législatives de décembre 2024 au Tchad, assez largement boycottées, ont donné une très large majorité au Mouvement Patriotique pour le Salut (MPS). Alors que le pays fête le 65eme anniversaire de l’indépendance, les dirigeants du parti au pouvoir, conduit par Idriss Déby Itno qui s’est auto désigné à la tète de l’État après le décès de son père dans une forme inédite de putch familial, s’emploient à défendre la gestion exclusive du pays par un clan  recruté sur une base ethnique, tout en mettant en avant le mérite et la compétence comme seuls critères de nomination des élites tchadiennes.

Mohamed Youboue, correspondance

Face aux critiques contre la coloration ethnique de l’appareil d’Etat, le discours diffusé par le parti au pouvoir prétend que désormais les nominations aux postes de responsabilité privilégieront les compétences. Cette position parait conforme au programme du candidat Mahamat Idriss Déby Itno qui, pour améliorer la gestion des ressources humaines dans la fonction publique, avait promis que « le recrutement sur concours anonyme des postes clés devra promouvoir l’adéquation des compétences aux responsabilités exercées »…On en est loin!

Les engagements en faveur de « plus de justice et d’égalité entre les Tchadiens » contenu dans le programme du président proclamé élu le mai 2024, ne se sont pas traduites dans les 100 actions prévues d’ici 2029. Les nominations récentes dans la haute fonction publique et dans les entreprises montrent la main mise des deux régions d’origine du Chef de l’Etat, pas vraiment tes plus peuplées, sur les vint trois que compte le pays. 

Décisions arbitraires 

Les déclarations d’intention en faveur de l’excellence ne sont pas cohérentes avec le pouvoir discrétionnaire  sacro-saint du président de la république. En effet, les choix arbitraires n’ont pas leur place dans un système transparent de gestion des ressources humaines.

Le mode d’attribution des postes de responsabilités est loin d’être méritocratique. Les proclamations du Secrétaire Général du MPS, par ailleurs Ministre d’Etat, qui déclarait le 14 février 2025,  qu’il fallait abandonner le dogme de la répartition régionale des postes au profit du mérite. Les compétences des heureux élus ne sont pas connues, les CV n’étant pas diffusés.

A posteriori, les tchadiens découvrent à leurs dépens l’inadéquation de la plupart de ces parachutés à leur poste respectif, au regard des échecs des structures qu’ils dirigent ainsi que de l’enlisement de l’immense majorité de la population dans la misère. En effet, avec 44,8 % en 2022 le Tchad continue à figurer parmi les pays du monde au taux de pauvreté de leur population le plus élevé. En outre il demeure englué dans une corruption endémique.

Au cours de son entrevue télévisée signalée précédemment, le SG du MPS a reconnu que les nominations aux fonctions supérieures publiques reposent aussi sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Chef de l’Etat qui s’avère en réalité prédominant et arbitraire. Les dispositions constitutionnelles et du Statut de la fonction publique ainsi que les règles sur l’impartialité et la non-discrimination dans le recrutement et la promotion dans les entreprises sont de la sorte allègrement piétinées.

L’argent, le nerf de la domination

Dans le domaine bancaire et financier, à l’exception d’une femme, la seule, Directrice générale adjointe d’une banque, tous les responsables tchadiens (directeurs généraux, directeurs généraux adjoints, présidents des conseils d’administration) proviennent uniquement des deux provinces évoquées ci-dessus.

Les critères fixés pour être désigné à ces fonctions, imposés par la Commission bancaire en Afrique centrale (COBAC), ne sont pas véritablement respectés, notamment une expérience minimale de cinq ans dans une fonction d’encadrement de haut niveau. Les agréments nécessaires sont quasiment toujours accordés par la COBAC car l’ensemble des acteurs assurant la supervision de l’activité bancaire (Ministre des finances, membre tchadien du gouvernement de la BEAC et commissaires de la COBAC) ont des liens plus ou moins forts, directs ou indirects (familiaux, ethniques, politiques, religieux, etc.) avec les personnes proposées.  

Cette situation affecte la qualité de la supervision du système bancaire. Elle favorise une distribution biaisée de crédits au profit de personnes apparentées et ne remplissant pas toujours les conditions de prêts exigées, en contournant souvent la règlementationcommunautaire. Ce comportement qui participe à accroitre les inégalités économiques et sociales a entrainé une hausse significative des créances bancaires compromises. Si globalement la part des crédits en souffrance atteint 31,5 % des prêts effectués par le système bancaire tchadien en 2023, contre environ 17 % pour l’ensemble de la CEMAC, ce taux s’élève à 33 % pour les deux banques publiques.

L’inclusion, un vain mot

Cette dérive monarchiste, entamée dans les années 90, amplifiée par l’exploitation pétrolièrelancée fin 2003, s’est accélérée depuis la transition forcée de 2021 à 2024. Alors que la suprématie d’une minorité est au plus haut, il est demandé à l’immense majorité du pays d’entériner ce fait accompli. 

S’il est admis de parler globalement des inégalités socio-économiques, particulièrement de celles liées au genre qui servent à s’attacher le vote féminin, il est difficilement toléré de mentionner celle imputable aux décisions « politiques ». L’invisibilisation des tchadiens n’appartenant pas aux familles au pouvoir, est entretenue. Les références incantatoires au programme du candidat-présiden ne changeront rien à la perception des tchadiens qui ont appris que hors la Bible et le Coran tout n’est que paperasse (« kat kat sakit » en arabe local)!

L’exclusion est fortement ressentie par les jeunes dont l’accès aux emplois est fermé. Jetés dans le chômage et la misère, ils endurent mal les discours fades et nauséeux sur le vivre-ensemble et la cohésion nationale.

Les discriminations ne peuvent plus être acceptées dans un Etat prétendu républicain depuis le 11 août 1960. L’inclusivité intégrale pour tous les citoyens et citoyennes, exigence politique, morale et économique, ne doit pas rester un vœu pieu servi à souhait. Aussi, est-il est impérieux que les laoukouras et choukous (appellations locales des laissés-pour-compte)expriment leur indignation et réclament l’application immédiate de mesures simples et contrôlables d’équité et de justice sociale dans la gestion des ressources publiques nationales, notamment des emplois (procédures ouvertes et transparentes de désignation aux hautes fonctions, publication des CV des personnalités nommées, etc.).

Le Programme national de développement en voie de lancement ne devra pas être un nouveau chapelet de promesses peu ou prou convenablement élaborées. Pour faire autrement, il faut sincèrement mobiliser les tchadiens et les tchadiennes autour d’objectifs collectivement et sur des valeurs réellement partagées et mises en œuvre dont l’égalité et la solidarité.

 

 

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L’ex patron de la Sonatrach Ould Kaddour aurait dérobé 54 millions $ https://mondafrique.com/a-la-une/les-suisses-ne-lachent-pas-le-clan-de-lancien-patron-de-la-sonatrach-ould-kaddour/ Thu, 31 Jul 2025 16:35:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=137296 Abdelmoumen Ould Kaddour, ancien président-directeur de la société générale algérienne Sonatrach, a-t-il planqué 54,4 millions de dollars via des comptes bancaires et des sociétés en Suisse ? Berne rappelle que la Confédération et l’Algérie ont signé un accord d’entraide judiciaire en matière pénale en juin 1966. Il est donc bien fini le temps où les […]

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Abdelmoumen Ould Kaddour, ancien président-directeur de la société générale algérienne Sonatrach, a-t-il planqué 54,4 millions de dollars via des comptes bancaires et des sociétés en Suisse ? Berne rappelle que la Confédération et l’Algérie ont signé un accord d’entraide judiciaire en matière pénale en juin 1966. Il est donc bien fini le temps où les banques helvétiques ne répondaient pas aux commissions rogatoires.    

Par Ian Hamel, à Genève

Abdelmoumen Ould Kaddour, aujourd’hui âgé de 73 ans, a été le patron de la Sonatrach de mars 2017 à avril 2019, date où il a été démis de ses fonctions. La justice algérienne reproche à ce brillant ingénieur, formé aux États-Unis, quelques broutilles : dilapidation de fonds publics, abus de fonction, conflit d’intérêts, privilège d’un tiers dans un marché public. Pour échapper à la justice, Abdelmoumen Ould Kaddour se réfugie aux Émirats arabes unis. Manque de chance, Abou Dhabi a signé avec Alger une convention d’entraide judiciaire. L’ancien PDG est extradé en août 2021 et condamné à dix ans de prison en appel en décembre 2022.  

Son fils, Nassim Ould Kaddour a, lui, écopé à dix ans de prison par contumace. Résident en France, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Mais comme pour son père avec les Émirats, la Suisse, via le Tribunal pénal fédéral, l’a débouté de tous ses recours le 6 juin 2025.

La justice algérienne lui reproche d’avoir dissimulé les commissions illégales reçues par son père via des comptes en Suisse, aux Émirats arabes unis, et des sociétés fictives au Liban. L’arrêt du 6 juin évoque « l’origine délictueuse de la somme de 54,390 434 millions de dollars.

Le fiston, débouté sur toute la ligne

Pour faire simple, le 9 août 2022, le juge d’instruction du Pôle pénal économique et financier de la Cour d’Alger a sollicité l’entraide des autorités helvétiques. Le motifs : dilapidation de fonds publics, abus de fonction, conflit d’intérêts dans le but d’obtenir un avantage indu à autrui dans le cadre de la passation d’un marché public et blanchiment de capitaux. Bien évidemment, Nassim Ould Kaddour s’oppose à la transmission des documents bancaires aux autorités algériennes. « Il a notamment invoqué le caractère politique de la procédure, affirmant être poursuivi uniquement en raison des fonctions occupées par son père », précise le site suisse Gotham City, toujours très informé, qui a révélé l’arrêt de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (*). 

Nassim Ould Kaddour est débouté par le Ministère public de la Confédération (MPC) en décembre 2024. Un mois plus tard, il interjette recours auprès de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral. Il se prétend menacé « du fait d’une situation politico-juridique spéciale ». La justice helvétique n’est guère convaincue : le fils de l’ancien PDG de la Sonatrach ne réside-t-il pas actuellement en France ? Il ne peut donc pas prouver qu’il serait exposé « au risque de mauvais traitement ou de violation de ses droits de procédure ». Le Tribunal rappelle que « le recourant a été condamné par défaut, notamment, à une peine privative de liberté de dix ans pour des actes qui, transposés en droit suisse, correspondent à l’infraction de blanchiment d’argent ». Finalement, dans cet arrêt de 16 pages, Nassim Ould Kaddour est débouté sur toute la ligne.

Il faut encore se demander si son avocat, le Genevois Christian Lüscher, peut encore sortir une carte de sa main afin de s’opposer une nouvelle fois à la transmission des documents bancaires à l’Algérie, et gagner encore quelques mois.

(*) « L’Algérie traque les comptes suisses du clan Ould Kaddour », 23 juillet 2025

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Le tourisme en Côte d’Ivoire(4/4): le carnet de route de l’écrivain Venance Konan https://mondafrique.com/economie/le-tourisme-en-cote-divoire4-4/ Tue, 29 Jul 2025 05:27:31 +0000 https://mondafrique.com/?p=131808 La Côte d’Ivoire profite du temps de sa renaissance pour séduire plus de monde. Après la belle campagne victorieuse à la Coupe d’Afrique des Nations, Abidjan  a plus que jamais fière allure avec ses ponts à haubans, son architecture recherchée, ses routes neuves, ses lumières qui confirment sa réputation de ville lumière, ses restaurants, petits […]

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La Côte d’Ivoire profite du temps de sa renaissance pour séduire plus de monde. Après la belle campagne victorieuse à la Coupe d’Afrique des Nations, Abidjan  a plus que jamais fière allure avec ses ponts à haubans, son architecture recherchée, ses routes neuves, ses lumières qui confirment sa réputation de ville lumière, ses restaurants, petits ou grands, qui proposent une riche gastronomie, sa musique, ses habitants hospitaliers qui savent offrir un sourire ou un bon mot à l’inconnu de passage…

Un nouvel eldorado

Cette hospitalité traditionnelle, brouillée par les conflits de ces dernières décennies, est ce trésor que le ministère du tourisme ivoirien exploite pour transformer la Côte d’Ivoire en l’une des destinations touristiques les plus prisées d’Afrique grâce aux moyens sur lesquels le gouvernement ivoirien a décidé de mettre à la disposition de ce secteur.

Mondafrique vous propose ici le quatrième article d’une série consacrée au boom touristique ivoirien

Voici donc le carnet de route de notre ami Venance Konan, depuis Grand Bassam, la première capitale de la colonie de Côte d’Ivoire jusqu’à Assinie, autrefois Issiny, où les missionnaires capucins venus de Saint-Malo s’installèrent dès 1637 et jusqu’à Elima qui a vu se créer la première école de la Côte d’Ivoire, en 1887 en passant par l’admirable palais de Monin Bia à Ayamé.

Plusieurs fois primé pour ses enquêtes, reportages et chroniques, Venance Konan, à la suite de son premier roman « Les prisonniers de la haine » paru aux Éditions NEI en 2003, a publié de nombreux essais et romans dont « Edem Kodjo un homme, un destin » pour lequel il a reçu le grand Prix littéraire de l’Afrique noire en 2012.

A la découverte de Grand Bassam

Ce qui reste d’une des premières maisons de style européen construites en Côte d’Ivoire

La région du Sud-Comoé commence dès la sortie de la ville d’Abidjan. Sa première cité en venant d’Abidjan est Grand-Bassam qui se trouve à environ 15 kilomètres de l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny. La ville fut la première capitale de la colonie de Côte d’Ivoire, de 1893 à 1900, jusqu’à ce qu’à la suite d’une épidémie de fièvre jaune, la capitale soit transférée à Bingerville où l’air était plus salubre.

Pour se rendre à Grand-Bassam, on a le choix entre l’autoroute rectiligne d’une quinzaine de kilomètres, et l’ancienne route, plus sinueuse, mais plus pittoresque qui longe l’océan Atlantique. Elle est bordée d’ateliers d’artisans qui fabriquent des meubles, souvent en rotin, de quelques hôtels et de restaurants qui servent de succulents poissons et poulets braisés, mais aussi des mets européens.

A l’entrée de la ville, il faut obligatoirement s’arrêter au marché artisanal où des dizaines de vendeurs vous proposeront divers objets de l’art ivoirien, en bois ou en bronze. Il faut ensuite traverser rapidement le quartier Impérial pour se retrouver à la statue de la « marche des femmes ». Ce monument commémore la marche que des femmes ont effectuée du 22 au 24 décembre 1949 pour exiger la libération des militants du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) qui luttaient pour l’indépendance de leur pays et qui avaient été emprisonnés par les autorités coloniales. Le pont qui conduit au quartier France a été baptisé « pont de la Victoire » en hommage à cette marche. Le quartier France, cœur historique de la ville, situé entre la lagune et la mer, est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le monument aux morts français

Le quartier France s’apprécie mieux lorsque l’on le visite à pied. A gauche, juste après le pont, se trouve une rangée de vieux manguiers aux tronc noueux qui témoignent de leur grand âge. Ils apparaissent sur les plus vieilles images de la ville qui datent du début du siècle dernier. En face, sur un espace vide se trouve la tombe de Marcel Treich Laplaine, le premier administrateur colonial de la Côte d’Ivoire dont le nom fut donné au quartier de Treichville à Abidjan.

De l’autre côté de la lagune, se trouve la première maison close, pour ne pas dire le premier bordel du pays. L’histoire raconte que ce fut d’abord des hommes qui vinrent d’Europe sur les côtes africaines. Lorsqu’ils formèrent une colonie, le problème de leurs besoins sexuels se posa. On remarqua que quelques-uns allaient avec des femmes africaines. Ce qui heurtait la morale de certains bien-pensants en France. Il fut alors décidé de construire un bordel et d’y faire venir des femmes blanches. C’est plus tard que les épouses des colons les rejoignirent. Cette maison est aujourd’hui un hôtel.

En allant tout droit après le pont, l’on tombe sur le vieux tribunal toujours fonctionnel, et en bifurquant sur la gauche, l’on passe devant l’ancien palais des gouverneurs qui est l’actuelle préfecture de Grand-Bassam, contigüe à l’ancienne résidence des mêmes gouverneurs, aujourd’hui musée du costume, l’ancienne poste qui est en train d’être transformée en « maison des artistes », le petit village des rastas, et la première école de la ville. Au bout de la rue se trouve le monument érigé en hommage aux victimes de la fièvre jaune qui décima la population européenne de la ville. Il y est inscrit : « A ses enfants tombés en Côte d’Ivoire, la France reconnaissante. » Derrière ce monument se trouve la « Commanderie » où résida Treich Laplaine. Tout le long du bord de la mer, jusqu’au village d’Azureti, se succèdent des hôtels et des restaurants de toutes les classes.

Certaines des vieilles maisons de style colonial ont été bien conservées ou rénovés par les nouveaux propriétaires, mais bon nombre d’entre elles sont complètement en ruine. Chacune des maisons raconte une histoire, celle des premiers Européens à avoir mis les pieds sur ce territoire, celle aussi des premiers Libanais, auxiliaires des Européens qui allaient acheter le café et le cacao à l’intérieur du pays et tenaient les commerces. Quelque part, au détour d’une rue, l’on tombe sur le plus vieux cinéma en plein air du pays, aujourd’hui abandonné. Il y a aussi dans les environs, la maison où le savant français Raymond Borremans vécut et rédigea son volumineux dictionnaire encyclopédique sur la Côte d’Ivoire. Elle a été transformée en fondation. Plus loin l’on trouve le palais du roi des Nzima, l’un des deux plus importants groupes ethniques de la ville. Dans le quartier de Moossou se trouve un autre palais, celui du roi des Abouré, l’autre groupe ethnique.

Jouxtant le quartier des Européens, se trouve celui des « indigènes » comme l’on appelait les premiers habitants de la ville au temps des colonies, et au bout se trouve l’embouchure où le fleuve Comoé qui donna son nom à la région se jette dans la mer. On peut y admirer les pirogues colorées des pêcheurs ghanéens. Chaque année, à la fin du mois d’octobre et jusqu’au début de mois de novembre se tient l’Abissa, la fête de réjouissance du peuple Nzima et qui marque le début de la nouvelle année dans leur tradition. C’est une sorte de carnaval qui dure plusieurs jours.

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Assinie, le Saint Tropez ivoirien

 

De Grand-Bassam, pour se rendre à Assinie, l’on a le choix d’emprunter la nouvelle autoroute d’une trentaine de kilomètres qui longe le canal creusé depuis Grand-Bassam qu’empruntent les propriétaires de bateau, ou l’ancienne route qui traverse les villes très encombrées de Yaou, Bonoua et Samo. Mais l’une et l’autre route, ainsi que le canal, débouchent sur Assouindé, gros village situé entre la lagune et la mer, où fut tourné le film français « les Bronzés » en 1978. On y trouve de nombreux hôtels de toutes catégories.

Assouindé est séparé de la petite ville d’Assinie-Mafia par une langue de terre d’une vingtaine de kilomètres située entre la lagune et la mer. Assinie, autrefois appelée Issiny, fut le premier endroit où des Français, précisément des missionnaires capucins venus de Saint-Malo, s’installèrent dès 1637, dans ce qui deviendra la Côte d’Ivoire. Plus tard, le chevalier d’Amon et l’amiral Jean-Baptiste du Casse, directeur de la Compagnie du Sénégal, furent reçus par le roi d’Assinie et ramenèrent en France le prince Aniaba et son cousin Banga qui furent présentés au roi Louis XIV. Ils se convertirent au catholicisme, et Aniaba fut baptisé par Bossuet, l’évêque de Meaux. Ils devinrent des officiers dans le Régiment du roi, avant de retourner à Assinie vers 1700. Aniaba qui ne retrouva pas le trône royal d’Assinie auquel il croyait avoir droit mais qui était occupé par un autre roi en son absence, devint conseiller du roi de Quita dans l’actuel Togo et l’on perdit ses traces.

Assinie est le Saint-Tropez ivoirien, là où les grosses fortunes du pays ont construit de luxueuses villas où ils vont passer leurs week-ends. Le président de la République et de nombreux ministres y ont aussi leurs résidences de week-end. De nombreux hôtels de haut standing ont été construits sur tout le pourtour de la lagune et au bord du canal qui débouche sur la lagune Aby et que sillonnent à longueur de journée des jet-skis pilotés par de jeunes gens. La lagune Aby sert de frontière entre la Côte d’ivoire et le Ghana. Contrairement à Grand-Bassam où la mer est très houleuse, ce qui rend la natation assez risquée, celle d’Assinie est calme et l’on peut y marcher sur de longues distances. La plage de sable blanc est toujours très bien entretenue.

En face d’Assinie, au milieu de la lagune Aby, se trouvent les six îles Ehotilé constituées en parc naturel par l’Etat de Côte d’Ivoire. Elles abritent plusieurs espèces d’oiseaux, mais également des mammifères tels que les chauves-souris, que les riverains considèrent comme le signe de la présence de leurs parents disparus, et les lamantins. L’une de ces îles abrite le cimetière des premiers habitants. Aujourd’hui plus personne ne vit sur ces six îles.

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Elima, la première école ivoirienne

Pour poursuivre vos pérégrinations dans le Sud-Comoé à partir d’Assinie, il faut emprunter l’ancienne route et marquer un arrêt dans la petite et coquette ville d’Adiaké. Elle est située au bord de la lagune Aby et possède un vieux quartier de style colonial ainsi que de bonnes infrastructures hôtelières. En face d’Adiaké se trouvent les villages d’Eboué, Adjouan, Aby et Elima que l’on peut rallier en pinasse. Si l’on trouve à Eboué un hôtel de bon standing, ce n’est pas le cas des autres villages.

Il ne reste plus aujourd’hui que quelques pans du mur de la première école construite en Côte d’Ivoire.

Par contre, Elima a la particularité d’avoir vu se créer la première école de la Côte d’Ivoire, en 1887, par un Français venu d’Algérie du nom de Fritz-Emile Jeand’heur. Elle comptera à ses débuts 33 écoliers africains.

A quelques pas de cette école, sur une colline surplombant la lagune Aby, se dresse ce qui reste de ce que l’on appela la « première ambassade de France en Côte d’Ivoire », mais qui fut en réalité la première maison de style européen dans le pays. Ce fut une grand et belle maison aux murs épais, construite par Arthur Verdier qui introduisit le premier la culture du café en Côte d’ivoire. La maison, en ruine est presqu’entièrement recouverte par la végétation.

Les premiers magasins où André Verdier exposa son café

C’est le 7 avril 1880 qu’Arthur Verdier obtint du roi Amon N’doffou II les droits exclusifs de la culture du café à Elima. Il défricha dans un premier temps 100 hectares de forêt vierge, qu’il porta à plus de 300 hectares six ans plus tard. Les magasins dans lesquels il entreposait son café avant de l’expédier en Europe sont toujours visibles à Elima, au pied de sa résidence et à côté de l’école.

Ayamé, l’incroyable palais Monin Bia

Après avoir rejoint la route d’Assinie en sortant d’Adiaké, prendre sur la droite jusqu’à la petite ville de Samo, puis prendre encore à droite, en direction de la frontière ghanéenne. Aboisso, la plus grande ville et chef-lieu de la région du Sud Comoé, se trouve à une cinquantaine de kilomètres, au bord de la rivière Bia. En dehors de ses richesses touristiques, la région du Sud Comoé est riche en agriculture. C’est là que l’on trouve les plus grandes plantations de cacao, de café, de palmiers à huile et d’hévéa. Aussi trouve-t-on à Aboisso de nombreuses maisons « à étage » comme on dit, signe de richesse en Côte d’Ivoire. Mais à vrai dire, il n’y a rien de spécial à voir à Aboisso. A part peut-être la pierre en forme de phallus de l’hôtel Le Rocher.

Il faut plutôt aller jusqu’à Ayamé, trente kilomètres plus loin, sur une route cahoteuse, pour voir les deux premiers barrages hydro-électriques de la Côte d’Ivoire, que surplombe l’incroyable palais Monin Bia de l’excentrique défunt avocat Dominique Kangah, grand amateur et collectionneur d’art. Le palais, construit sur une colline qui domine la ville d’Ayamé et le lac du premier barrage, est constitué de sept chambres et une suite présidentielle, plusieurs salons, une salle de conférence, tous richement décorés de tableaux de maîtres, de sculptures, et un théâtre, car le maître des lieux était fou de cet art. Il écrivait des pièces de théâtre qu’il jouait pour ses invités ou pour lui seul. Le palais dispose aussi d’une incroyable salle à manger avec une table qui peut recevoir jusqu’à 80 convives. Il est surmonté d’un dôme qui culmine à 21 mètres de hauteur et permet d’admirer les magnifiques jardins à la française du palais. L’on raconte que le jardinier français qui conçut ces jardins fut si bien payé qu’il s’installa à Ayamé au bord du lac où il construisit un hôtel.

De retour à Aboisso, continuer sur la route du Ghana, puis quelques deux ou trois kilomètres après la sortie de la ville, prendre sur la droite la route de Krindjabo qui se trouve à cinq kilomètres. C’est la capitale du royaume Sanwi, un sous-groupe de l’ethnie Agni qui s’installa sur le territoire ivoirien vers la fin du XVIIème siècle.

Le roi du Sanwi, royaume au sud-est de la Côte d’Ivoire, où eu lieu la cérémonie d’intronisation de Michael Jackson en tant que prince, lors de sa visite en 1992. – Amandine Réaux

En 1992, le chanteur américain Michael Jackson visita le village où il avait été persuadé qu’il avait ses origines. Il y fut intronisé prince du Sanwi, sous le nom d’Amalaman Anoh. Le gros arbre appelé Krindja (Krindjabo signifiant « sous le krindja ») planté au beau milieu du village et le palais du roi constituent les principales curiosités de la localité. Le royaume Sanwi, qui englobe les localités d’Assinie, Aboisso et de Maféré réclama, en vain, son indépendance vis-à-vis de la Côte d’Ivoire au début des années soixante, en vertu d’un traité que l’un de ses rois signa avec la France en tant que royaume autonome, avant la colonisation formelle de la Côte d’Ivoire en 1889.

Toujours sur la route du Ghana, quelques vingt kilomètres plus loin, une voie sur la droite conduit au village d’Elima où se trouvent les vestiges de la première école créée en Côte d’Ivoire et de la première maison de style européen. L’on atteint Elima en traversant de grandes plantations de palmiers à huile.

De retour sur la route du Ghana, quelques cinq cent mètre plus loin, prendre sur la gauche pour aller découvrir la grouillante cille de Maféré et son hôtel Fama-bio situé au bord d’un lac artificiel, avec son mini zoo qui fait la joie des enfants et même des parents.

Enfin, pour clore votre promenade, avant d’atteindre la frontière ghanéenne, prendre sur la gauche et traverser les plantations de palmier à huile pour aller découvrir la petite et charmante ville de Tiapoum, elle aussi au bord de la lagune Aby.

Le tourisme en Côte d’Ivoire (3/4), la sauce gouagouassou au menu des restaurants huppés

 

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Le tourisme en Côte d’Ivoire (3/4), la sauce gouagouassou au menu des restaurants huppés https://mondafrique.com/economie/le-tourisme-en-cote-divoire-3-4-la-sauce-gouagouassou-au-menu-des-restaurants-huppes/ Thu, 24 Jul 2025 07:58:27 +0000 https://mondafrique.com/?p=130644 Dans un Abidjan qui se développe à un rythme effréné, la Côte d’Ivoire implémente sous le fouet de la demande une gastronomie typiquement ivoirienne qui a déjà été adoptée dans les principaux hôtels de luxe. Correspondance à Abidjan, Bati Abouè Dans les cuisines du restaurant de l’hôtel Palm Beach, le chef Léandre Kouamé, un ivoirien […]

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Dans un Abidjan qui se développe à un rythme effréné, la Côte d’Ivoire implémente sous le fouet de la demande une gastronomie typiquement ivoirienne qui a déjà été adoptée dans les principaux hôtels de luxe.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Côte d’Ivoire : la cheffe Zeinab Bancé bat le record Guinness du plus long marathon de cuisine

Dans les cuisines du restaurant de l’hôtel Palm Beach, le chef Léandre Kouamé, un ivoirien formé en France, expose avec délicatesse des produits locaux qu’il prépare soigneusement avec son savoir-faire français. Comme lui, plusieurs de ses confrères parfois formés par des restaurateurs ayant pignon sur rue de l’Hexagone sont de plus en plus enclins à utiliser les spécialités locales.

Au nombre de celles-ci, la sauce gouagouassou, emblématique de la cuisine ivoirienne ne manque plus au menu des restaurants huppés. Autour d’une viande de lapin qui mijote dans une marmite, des dizaines de tranches d’aubergines et de tomates africaines cuisent à petit feu avant que le tout ne soit arrosé d’huile rouge, de poudre d’akpi – une amande – et d’un brin de poivre appelé dans le jargon local « fèfè » puis enfin d’un grand bol d’eau.

Hommage à la cuisine de maman

C’était la recette culte de la mère de Léandre décédée depuis 2018. Alors, forcément, elle est devenue la sienne. « Je l’ai tellement appréciée durant mon enfance », admet-il, avant d’ajouter que la revisiter était presque une obligation de rendre hommage à ma mère qui ne m’a pas vu devenir un chef cuisinier.

Amoureux de la cuisine, Léandre, formé en France, espère ouvrir dans quelques années son propre restaurant. En attendant, il a rendez-vous avec Jérôme Grobli qui patiente dans une salle attenante éclairée à la lumière du jour pour goûter le gouagouassou en cassolette qu’il a commandé.

Ce midi, il partage ce repas copieux présenté avec soin avec son amie, Maïmouna Doumbia. Elle ne cache pas sa surprise de voir le gouagouassou, un plat traditionnel typiquement ivoirien dans un restaurant pareil. « Franchement c’est un plaisir », soupire-t-elle d’émerveillement.

Ici, rien à voir avec les maquis, ces restaurants typiques informels et très animés où l’on mange à la main le poulet ou le poisson braisé avec de l’attiéké (semoule de manioc) ou l’alloco (bananes plantain frites).

Des chips de manioc

A plusieurs kilomètres de là à Angré, au nord de la commune de Cocody, Hermiole Kassi expérimente sa nouvelle création d’amuse-bouche inspiré du placali, plat typiquement ivoirien fait de sauce gluante au gombo, de morceaux de viande et de poisson séché qui accompagnent la pâte de manioc fermenté.

Les Abidjanais dégustent également avec gourmandise le manioc soufflé et transformé en chips. Aux Trois Palmiers, le chef cuisinier, le Français Matthieu Pernier, propose des amuse-bouches de ce type chaque semaine, avec l’idée de « réveiller un souvenir chez les personnes qui connaissent parfaitement ces plats ». Car la moitié de sa clientèle est ivoirienne, avoue-t-il.

« Même si notre cuisine se veut être internationale parce que c’est un hôtel cinq étoiles, je pense que c’est un non-sens de ne pas faire un clin d’œil à tous les beaux produits qui nous entourent », affirme-Pernier. D’autant que grâce aux savanes du nord du pays où le climat est chaud et sec, il y a des céréales » à foison ou encore le « fonio » et le « sorgho », détaille Léandre, tandis que dans la zone forestière du sud, les « feuilles d’épinard », de « taro » et « des produits typiquement tropicaux » sont disponibles.

La gastronomie enseignée à l’école

Pour apparaître sur la carte culinaire internationale, la Côte d’Ivoire cherche à normer et à codifier sur des fiches techniques les éléments qui identifient sa gastronomie. Et avec cela parvenir à cette norme et l’enseigner dans toutes les écoles hôtelières, a récemment expliqué le directeur du Festival de la Cuisine ivoirienne (FCI), Dr. Klo Fagama.

Lancé en 2023, ce festival s’est rapidement imposé comme un événement incontournable du calendrier culturel et touristique de la Côte d’Ivoire puisqu’en seulement trois éditions, il est devenu une vitrine des richesses culinaires locales et un levier pour la reconnaissance internationale de la gastronomie ivoirienne.

Car pour le directeur du FCI, « la gastronomie est un véritable marqueur identitaire, un élément de cohésion sociale, un vecteur de développement et d’attractivité touristique. Qui permet non seulement de préserver notre héritage culinaire mais aussi de le moderniser et de l’exporter ».

L’Association des chefs créateurs d’émotions culinaires de Côte d’Ivoire ne dit pas autre chose. Puisqu’elle contribue également à enraciner cette vision qui a commencé au milieu des années 2000. Avant cette date, les chefs de restaurants huppés avaient l’habitude de faire des plats occidentaux avec des produits importés.

Mais le coût de la vie devenant cher, tous se sont tournés vers des produits moins onéreux et disponibles. Outre l’aspect financier, il y a une volonté de donner « l’accès » à la cuisine locale aux « grands restaurants de luxe » qui fleurissent depuis plusieurs années à Abidjan.

2025, année « Côte d’Ivoire, terre de saveurs »

La semoule de manioc très pauvre en gluten, en protéine et en matières grasses, mais extrêmement riche en magnésium, potassium, calcium, vitamine et fer. Ce qui en fait un allié de choix pour les soucis digestifs et les régimes minceur.

Surfant à la fois sur la grande visibilité offerte par l’immense succès de la CAN 2023 organisée par la Côte d’Ivoire, ainsi que l’inscription de l’attiéké (semoule de manioc) au patrimoine de l’Unesco l’année dernière, Abidjan a déjà placé l’année 2025 sous le signe de la « Côte d’Ivoire, Terre de saveurs » afin de positionner la cuisine ivoirienne comme un atout touristique majeur, lors du forum ivoiro-thaïlandais organisé par l’Ambassadrice ivoirienne, Ada-Kouassi, en poste en Thaïlande.

A cette occasion, Mme Ada-Kouassi a mis en parallèle les traditions culinaires de la Thaïlande et de la Côte d’Ivoire. La première renommée pour ses saveurs exotiques et ses marchés de rue, tandis que la seconde se distingue par ses plats emblématiques comme le gouagouassou, l’Attieké, inscrit au patrimoine de l’Unesco, ou encore le Kedjenou, (recette de ragoût très épicée de viande de brousse ou de poulet) et l’alloco, (frite de banane mûre ».

Le tourisme en Côte d’Ivoire (2/4): Abidjan, la magnifique vitrine

Le tourisme en Côte d’Ivoire (1/4), un nouvel eldorado

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Le tourisme en Côte d’Ivoire (2/4): Abidjan, la magnifique vitrine https://mondafrique.com/economie/notre-serie-abidjan-metamorphoses-dune-ville/ Mon, 21 Jul 2025 06:48:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=130145 Sur un ton à la fois provocateur et détaché, Venance Konan, journaliste et écrivain, lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire 2012, revient dans cette nouvelle chronique sur les métamorphose d’Abidjan, cette ville qui est la sienne et qui est en train de devenir une des grandes capitales africaines où affluent chaque années des touristes […]

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Sur un ton à la fois provocateur et détaché, Venance Konan, journaliste et écrivain, lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire 2012, revient dans cette nouvelle chronique sur les métamorphose d’Abidjan, cette ville qui est la sienne et qui est en train de devenir une des grandes capitales africaines où affluent chaque années des touristes de plus en plus nombreux

Nous étions en 1987 et je commençais ma carrière de journaliste dans un journal qui venait de naître et qui s’appelait « Ivoir’soir ». Une année plus tôt Kéké Kassiry avait sorti sa chanson « Abidjan », qui faisait danser tout Abidjan, toute la Côte d’Ivoire, et toute l’Afrique sur les rythmes du « gnama gnama », ou la danse des loubards.

« Abidjan é

Oh oh, Abidjan hé !

Y a des sapés

A Abidjan é

Y a des branchés

A Abidjan é

Y a des griffés

A Abidjan é

Y a la vie à Abidjan

Y a la joie à Abidjan y a la fête à Abidjan é »

Oui, à cette époque c’était tous les soirs la fête à Abidjan, la ville la plus branchée et la plus bouillonnante d’Afrique francophone et même au-delà. Abidjan était en pleine croissance. De nouveaux quartiers sortaient de terre à grande vitesse. Adjin, Angré, Attoban, partout, il y avait des promotions immobilières pour toutes les bourses.

« Le Plateau », le Manhattam africain

Le quartier du Plateau, en plein cœur de la ville, avec ses gratte-ciels, cultivait nonchalamment son côté Manhattan d’Afrique. Au temps colonial c’était le quartier des Européens. Les Africains eux, habitaient Treichville, de l’autre côté de la lagune, et Adjamé, dans le prolongement du Plateau. Plus tard, Cocody, à l’est du Plateau devint le quartier des « en haut d’en haut », c’est-à-dire la nouvelle bourgeoisie ivoirienne. Et puis il y eut les cités dortoirs de Yopougon (qui faisait un peu penser à Soweto en Afrique du sud), d’Abobo, de Port-Bouet, d’Attécoubé…

Côté ambiance, Abidjan s’amusait. Il y avait des maquis, des clubs de jazz, des boîtes de nuit, des dancings partout, des concerts tous les week-ends, et de galeries d’art dans les quartiers chics. Abidjan dansait sur la musique de Kéké Kassiry. Et aussi, sur le Zouk venu des Antilles, sur le Soukouss de ce pays qui s’appelait encore le Zaïre, sur le reggae d’Alpha Blondy. Les clubs de jazz, c’était du côté de Marcory et de Cocody, et les dancings, dans les gros quartiers populaires tels que Yopougon ou Abobo. A Treichville, c’était plutôt les boites de nuit, dont le Griffet, celle du célèbre animateur télé Roger Fulgence Kassy qui décédera en 1989. Abidjan était toujours en fête, Abidjan était une fête. Les artistes peintres avaient inventé le Vohou Vohou, ou l’art de faire de la peinture avec tout et n’importe quoi. Tous les artistes africains qui voulaient se faire un nom passaient nécessairement par Abidjan. Même le grand Kassav ne se fit connaître en Afrique qu’après s’être produit à Abidjan.

Le départ du « Vieux »

Le président Houphouet Boigny, dit le Vieux »

Abidjan ne le savait pas encore, mais elle vivait ses derniers jours de joie et de tranquillité avant très longtemps. En 1990, la crise qui couvait éclata. Les jeunes voulaient tout : le départ du « Vieux », le Président Félix Houphouët-Boigny, au pouvoir depuis trente ans, la démocratie, de bonnes conditions d’études, du travail, tout. Chaque jour c’étaient des manifestations, des grèves, des bus incendiés, des bombes lacrymogènes, des arrestations, parfois des morts. Le cœur n’était plus à la fête. Non, il n’y avait plus de joie à Abidjan. Mais les étudiants trouvèrent l’inspiration pour inventer un nouveau genre musical, le Zouglou, qui chantait leurs misères et celles de leur société.

Le « Vieux » meurt en 1993. Henri Konan Bédié, son dauphin, lui succède. La situation politico-sociale ne s’améliore pas. Le pays se divise de plus en plus. Chacun se replie sur lui, sur sa région, sur son ethnie, et les soirs, l’on sort de moins en moins de son quartier. Les galeries se ferment les unes après les autres. Les clubs de jazz et les dancings aussi. Ça ne sent pas bon.

L’hôtes Ivoire depuis la baie d’Abidjan

En 1999, à la veille de passer au nouveau millénaire, survient l’impensable dans ce pays connu pour sa stabilité dans cette Afrique si instable : un coup d’Etat. Suivi par une transition militaire violente. Et des élections tout aussi violentes dix mois plus tard. Et deux ans plus tard, arrive une rébellion armée qui coupe le pays en deux.

Le pays s’enfonce dans le chaos. Un chaos qui durera huit longues années. Il y a un nord occupé par la rébellion, et un sud dit « loyaliste ». Les populations venues à Abidjan des zones occupées par la rébellion s’installent où elles peuvent, n’importe où, créent des bidonvilles qui poussent comme des champignons. L’hôtel Ivoire, l’hôtel de luxe par excellence où toute personne qui se respecte doit avoir passé au moins une nuit, est occupée par les « jeunes patriotes », soutiens indéfectibles du régime d’Abidjan. Il sera plus tard le théâtre de meurtriers affrontements entre ces « jeunes patriotes » et l’armée française.

Au rythme du « Coupé Décalé »

« Rue Princesse », une histoire de la nuit

Et curieusement, c’est à cette époque que les Ivoiriens inventent une musique qui envahira toute l’Afrique. Le « Coupé Décalé ». On l’écoute et la danse dans les super-maquis et les bars climatisés. Yopougon est le temple du Coupé Décalé. On s’encanaille aussi dans les bars de la Zone 4, un sous-quartier de Marcory. Les filles s’y exhibent complètement nues. Progressivement, c’est toute la ville qui se pervertit.

A Yopougon il y a la fameuse « rue princesse », bordée de dizaines de maquis les uns plus bruyants que les autres. Là-bas aussi la chair de jeune fille se monnaye pour pas grand’chose, une bouteille de bière, ou juste de quoi manger, et se consomme sur un parking, ou parfois dans la rue, sans souci de discrétion. Tout juste à côté, dans une rue adjacente, c’est la chair de très jeunes enfants, parfois de douze ans qui se monnaie. Abidjan devient glauque. Et triste.

En 2011, le pouvoir est renversé après des élections aux résultats très contestés et une guerre éclair. En avril, lorsque les combats cessèrent, il y avait des cadavres et des monceaux d’ordures dans toutes les rues. Il fallut nettoyer, curer, nettoyer, curer. Puis réparer, reconstruire, construire. Et Abidjan se mit à changer. Quelques semaines après la fin des hostilités, personne n’aurait pu dire que la ville fut l’objet de violents et meurtriers combats.

Abidjan renait de ses cendres

Quelque quinze ans après, Abidjan est aujourd’hui méconnaissable. Ont surgi de partout de nouvelles routes, de nouveaux échangeurs, trois nouveaux ponts, là où en 50 ans on ne put en construire que deux, de nouveaux quartiers, de nouveaux gratte-ciels…Abidjan vit à nouveau. Abidjan respire mieux. La forêt du Banco, la plus grande forêt primaire d’Afrique située en pleine ville est clôturée pour la protéger contre les prédateurs. L’ancienne décharge d’Akouédo est transformée en jardin.

Abidjan attire à nouveau. On y organise de grands évènements. Les avions qui y vont sont toujours pleins. Les hôtels aussi. Abidjan fait à nouveau la fête. De nouveaux endroits pour se divertir se sont ouverts partout, les artistes ont retrouvé leur créativité et les galeries se multiplient.  Les jeunes filles qui s’exhibaient toutes nues dans des bars en Zone 4 et ailleurs ont été priées d’aller s’habiller.

Une capitale du football

Le stade Félix Houphouët-Boigny dans le quartier du Plateau, à Abidjan (photo d’illustration). © AFP/Sia Kambou

On a aussi construit de nouveaux stades et en 2024, la Côte d’Ivoire s’est offert le luxe d’organiser une Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football, qualifiée de meilleure jamais organisée dans l’histoire de cette coupe, et elle l’a gagnée. C’est le retour de la Côte d’Ivoire qui gagne. Et ça se fête.

Après la fête, il faut penser au cadre de vie et à la sécurité des Abidjanais. Alors on a cassé les bidonvilles qui avaient poussé un peu partout dans l’anarchie, dans des zones à risque. Des dents ont grincé, mais c’était le prix à payer.

Le pays doit avancer. Et il doit avancer avec Abidjan, sa vitrine.

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Le tourisme en Côte d’Ivoire (1/4), un nouvel eldorado https://mondafrique.com/economie/cote-divoire-nouvel-eldorado-des-touristes-1-4/ Sat, 19 Jul 2025 03:30:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=128301 La Côte d’Ivoire profite du temps de sa renaissance pour séduire plus de monde. Après la belle campagne victorieuse à la Coupe d’Afrique des Nations, Abidjan  a plus que jamais fière allure avec ses ponts à haubans, son architecture recherchée, ses routes neuves, ses lumières qui confirment sa réputation de ville lumière, ses restaurants, petits […]

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La Côte d’Ivoire profite du temps de sa renaissance pour séduire plus de monde. Après la belle campagne victorieuse à la Coupe d’Afrique des Nations, Abidjan  a plus que jamais fière allure avec ses ponts à haubans, son architecture recherchée, ses routes neuves, ses lumières qui confirment sa réputation de ville lumière, ses restaurants, petits ou grands, qui proposent une riche gastronomie, sa musique, ses habitants hospitaliers qui savent offrir un sourire ou un bon mot à l’inconnu de passage…

Cette hospitalité traditionnelle, brouillée par les conflits de ces dernières décennies, est ce trésor que le ministère du tourisme ivoirien exploite pour transformer la Côte d’Ivoire en l’une des destinations touristiques les plus prisées d’Afrique grâce aux moyens sur lesquels le gouvernement ivoirien a décidé de mettre à la disposition de ce secteur.

Misant aussi sur ses sites touristiques fabuleux comme le montre ci dessus l’image des chutes du Man, dans l’Ouest du pays, son art culinaire légendaire ainsi que sa musique au rayonnement mondial, la Côte d’Ivoire se rêve parmi les cinq premières destinations touristiques africaines.

Mondafrique vous propose ici le premier article d’une série de quatre papiers consacrés au boom touristique ivoirien

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

 

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Alors que le secteur touristique avait été dynamité par les crises sociopolitiques successives que le pays trop longtemps a connues, cette industrie réalise désormais des performances spectaculaires avec une croissance annuelle de 6,4% depuis 2019. Selon le rapport 2024 du Forum économique mondial sur le développement du tourisme et des voyages, la Côte d’Ivoire est classée 18è pays africain le plus performant dans le secteur touristique et seconde économie mondiale dans ce domaine. Derrière ce succès, apparaissent des investissements massifs qui ont permis d’augmenter en quantité et en qualité les infrastructures touristiques du pays, des hôtels à la location des véhicules, en passant par la restauration

Depuis plusieurs années, la capitale ivoirienne scintille. Son bitume qui se renouvelle au fur et à mesure qu’il se dégrade ajoute au zéphyr porté par la lagune Ebrié un sentiment de fraîcheur et de propreté. Chaque carrefour est un chantier et les gratte-ciels rivalisent de couleurs et de beauté. Ici, un nouveau pont, là un échangeur en chantier qui provoque des embouteillages interminables, là encore des hôtels cinq étoiles dont la vitrine invite à y séjourner, ou encore des espaces et des plages propres qui vous appellent à prendre le large…

Abidjan, ville phare

Le pays qui a renoué avec la croissance économique grâce à des investissements en nette progression, rêve désormais ouvertement depuis 2012 de devenir l’une des cinq premières destinations touristiques d’Afrique. Il y a en effet de quoi : Abidjan est la ville de la joie. Même les quartiers déshérités ne perdent jamais leur sourire parce que dans ce pays d’un peu plus de 30 millions d’habitants, c’est l’espoir qui fait vivre.

Connu pour son cacao dont elle domine les statistiques sur le marché mondial, la Côte d’Ivoire a terminé l’année 2024 en tête, avec 2,2 millions de tonnes des fameuses fèves. Derrière elle, son concurrent le plus proche, le Ghana, n’a fait mieux que 600 mille tonnes. Mais depuis plusieurs années, les ressources cacaoyères connaissent des fluctuations. À cause de la pluviométrie qui fait des siennes, des chocolatiers fortunés mais qui négocient sec et les multiples réglementations de l’Union européenne. Alors, le gouvernement ivoirien a décidé de diversifier ses ressources en misant également sur le secteur touristique qui était à la peine à cause des crises politiques interminables des années passées.

À Abidjan, il y a les minicars appelés « gbaka » pour permettre aux bourses faibles de relier les différents quartiers.

76,5 milliards d’investissements

rand-Bassam fut la première capitale coloniale, portuaire, économique et juridique de la Côte d’Ivoire ; elle témoigne des relations sociales complexes entre les Européens et les Africains, puis du mouvement populaire en faveur de l’indépendance.

Et depuis, le secteur a été relancé. A partir de 2011 et dans la foulée de la politique économique implémentée par le nouveau pouvoir, de nombreuses réformes ont été initiées, dont la plus récente reste la stratégie « Sublime Côte d’Ivoire » qui vise à hisser la Côte d’Ivoire parmi le top 5 des destinations touristiques d’Afrique à travers l’organisation combinée d’événements sportifs et artistiques majeurs, ainsi que la mise en place d’infrastructures capables d’émerveiller le visiteur.

Pour ce faire, entre 2011 et 2013, le gouvernement ivoirien a supervisé et encouragé la construction de 114 établissements hôteliers de moyen standing et de 3 étoiles pour un total de 1980 chambres représentant des investissements globaux de 76,5 milliards de FCFA. Grâce à cela, depuis 2019, le pays a doublé ses capacités hôtelières, le nombre d’hôtel étant passé à 3 320 contre 1 435 en 2011. Ce qui a permis créer 129 000 emplois selon les statistiques du ministère de l’économie et des finances. La Côte d’Ivoire a aussi organisé la dernière Coupe d’Afrique des nations qui a fait déferler sur la ville d’Abidjan et celles de l’intérieur du pays plus d’un million de visiteurs.

La Côte d’Ivoire veut également rentabiliser cet élan en faisant du pays un hub sportif de la sous-région africaine. Pendant ce temps, la gastronomie ivoirienne a acquis dans la foulée une notoriété inégalée. L’attiéké, l’aliment de base des Ivoiriens est désormais inscrit au patrimoine de l’Unesco et s’est exporté des maquis, ces restaurants ivoiriens nichés en plein air dans les rues d’Abidjan et de l’intérieur du pays aux places parisiennes. Même le foutou, l’Alloco, le poisson braisé et le poisson thon grillé à l’huile bouillante se mangent aussi bien à Bamako, Dakar, Ouaga qu’à Paris.

Le tourisme, 7,3% du PIB

Une partie du grand marché d’Adjamé dans la commune commerciale du même nom.

D’un seul coup, le secteur touristique a renoué avec la croissance qui représente désormais 7,3% du Produit Intérieur Brut (PIB) alors qu’il représentait 1,5% du PIB en 2011. Encouragé par ces chiffres prometteurs, la Côte d’Ivoire a renforcé le cadre institutionnel en adoptant un Code du Tourisme qui permet, grâce à Côte d’Ivoire Tourisme, d’assurer la promotion de la destination Côte d’Ivoire.

Parallèlement, le pays continue de multiplier et de moderniser ses infrastructures. Grâce au programme présidentiel, plusieurs sites hôteliers phares ont en effet été réhabilités. Le Sofitel Hôtel Ivoire d’Abidjan, symbole de la modernité ivoirienne avec ses 426 chambres est ouvertement en mode séduction, tout comme l’Hôtel des Parlementaires de Yamoussoukro. Celui-ci surplombe le pays Baoulé avec ses 300 chambres et soutient la concurrence avec l’Hôtel Président qui fut longtemps le porte flambeau de l’hôtellerie grand luxe dans la capitale politique de la Côte d’Ivoire. Il y a aussi le Palm Club avec ses 88 chambres spacieuses et neuves, etc.

De nouvelles constructions hôtelières ont également vu le jour. Parmi elles, l’hôtel Azalaï (190 chambres), le Radisson Blue Airport (252 chambres), Hôtel Onomo (118 chambres), le Noom Hôtel (179 chambres) et bien d’autres qui complètent l’immense palette d’hébergement que la Côte d’Ivoire s’est offerte en l’espace de quelques années seulement.

Le pays a aussi misé sur des infrastructures ultra-modernes, d’abord des infrastructures de transport aérien qui ont débuté par la rénovation de l’aéroport international d’Abidjan, un édifice « en pleine mutation », selon les mots du ministre du Tourisme Fofana Siandou, qui doit permettre l’accueil de cinq millions de passagers en phase 1. Puis en phase 2, doubler sa capacité à 10 millions de voyageurs.

Des infrastructures en plein boom

Ensuite par le biais d’une compagnie aérienne solide. En 2024, Air Côte d’Ivoire a pu étoffer sa flotte en acquérant des avions de génération récente. Enfin, il y a eu « tout un maillage des infrastructures routières modernes ou réhabilitées avec la construction de routes neuves », a rappelé, il y a quelques mois, Siandou Fofana, le ministre du tourisme. Et le même d’ajouter: il n’est pas possible d’«oublier la Côte d’Ivoire, il faut faire avec ».

D’autant que la destination Côte d’Ivoire a de nombreux avantages. D’abord sa géographie, sa stabilité politique, son hospitalité légendaire, ses quartiers toujours aussi animés, ses belles plages, sa musiqué colorée, sa gastronomie et son climat apaisé qui en font une destination à découvrir. A tel point la Côte d’Ivoire ambitionne de devenir rapidement un hub du tourisme régional.

Car en plus des offres touristiques balnéaires classiques, le pays met également en avant de nouveaux circuits culturels qui représentent une part importante du tourisme d’affaires. Le pays dispose au surplus d’un autre atout, celui d’abriter un nombre incalculable de sièges et bureaux régionaux de grandes entités et d’institutions internationales telles que la Banque africaine de développement (BAD), le FMI, la Banque mondiale, le Conseil de l’Entente ou encore la bourse régionale des valeurs.

Le rêve africain de la Côte d’Ivoire vaut son pesant d’or. Alors que le cacao dont le pays est le premier producteur mondial subit les contrecoups de la rareté de la pluviométrie et des multiples réglementations de l’Union européenne, le gouvernement ivoirien diversifie ses ressources en misant sur le secteur touristique

Dans le deuxième volet de notre enquète sur le tourisme ivoirien, une chronique signée par Vanance Konan: « Abidjan, la métamorphose d’une ville » 

 

 

 

 

 

 

 

 

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