« Modèle de réussite », « dynamisme vibrant », « success story ». Dans la presse comme sur le site internet de l’ambassade de France à Abidjan, les qualificatifs louangeurs ne manquent pas pour désigner l’économie ivoirienne dont les performances font l’unanimité.
Plombée par la dramatique crise électorale de 2011 qui avait fait plus de 3000 morts et porté un coup dur aux activités du pays, la Côte d’Ivoire a rapidement rattrapé son retard sous la présidence d’Alassane Ouattara. Champion des « grands travaux » qui ont essaimé partout sur le territoire, le chef de l’Etat ivoirien a fait des infrastructures et de l’ouverture aux capitaux étrangers les principaux moteurs économiques de son pays. Ponts, routes, hôpitaux, aménagements portuaires font de la Côte d’Ivoire une vitrine soignée dont Abidjan est devenu la tête de pont. Les grandes enseignes étrangères, notamment françaises, y fleurissent : Carrefour, Go Sport, Casino, Super U, Hippopotamus… Tous ces groupes lorgnent les communautés expatriées et surtout la fameuse « classe moyenne ivoirienne » ; un vivier de consommateurs nationaux dont le poids réel est aujourd’hui toujours difficile à mesurer.
La vitrine ivoirienne
Ce dynamisme a propulsé le pays au rang de « bon élève » d’une sous-région fragile, en proie à la menace terroriste et à de graves problèmes de gouvernance. Pour Abidjan, les principaux indicateurs sont au vert. Régulièrement applaudie par les grands organismes internationaux dont la Banque mondiale ou le FMI, le taux de croissance économique moyen du pays est estimé à 9,2% pour la période 2012-2016. Cette santé de fer a notamment permis à la capitale ivoirienne de récupérer le siège de la Banque africaine de développement (BAD) après une dizaine d’années d’exil en Tunisie. Garder le cap, entretenir cette image, tels sont les mots d’ordre du Président Ouattara qui doit en partie à ces réalisations sa réélection pour un deuxième mandat en décembre 2015. Au point que lors du dernier CEO forum d’Abidjan, il n’a pas hésité à contredire les experts du FMI qui avaient annoncé une croissance à 8% en avançant le chiffre de 10% devant une foule d’homme d’affaires surpris.
Reluisante, soigneusement entretenue par le pouvoir, la vitrine ivoirienne laisse toutefois apparaitre quelques craquelures.
Dans son dernier communiqué sur la Côte d’Ivoire publié le 12 décembre, l’agence de notation financière Fitch a confirmé le maintien de la note la Côte d’Ivoire à B+ mais a tout de même pointé les risques liés à la baisse des cours du cacao auxquels l’économie du pays est largement adossée. Les exportations de cacao représentent actuellement un tiers des revenus du pays et 15% de son PIB. La chute des prix à récemment obligé l’Etat ivoirien à geler les enchères de cette denrée entrainant une accumulation des stocks dans les coopératives agricoles. Un problème réel passé sous silence lors de la dernière journée nationale du cacao et du chocolat organisée en octobre dernier par les autorités ivoiriennes.
La dette publique du pays constitue par ailleurs une autre source d’inquiétude. Actuellement estimée à 42,5% du PIB, elle devrait atteindre un pic à 43,5% en 2018 selon l’agence Fitch. De plus, le PIB par tête et l’indice de développement humain sur lequel le pays est classé 172ème sur 188 restent inférieurs à ceux des autres Etats notés B. Des témoignages recueillis auprès des entreprises étrangères installées à Abidjan invitent à nuancer largement la qualité tant vantée du climat des affaires sur place. Trois d’entre eux dénoncent de nombreux impayés et une opacité généralisée dans l’attribution des marchés.
La pauvreté reste largement supérieure à celle mesurée il y a vingt ans : 46 % des habitants ne sont jamais allés à l’école, 20 % souffrent de malnutrition chronique et seulement de 5 % à 6 % bénéficient d’une protection sociale.
Opacité et inégalités
Enfin, la corruption répandue dans le monde des affaires et impliquant des personnalités publiques constitue un véritable tabou. « La Côte d’Ivoire de Ouattara, on n’y touche pas » résume un ancien du Quai d’Orsay qui explique en partie ce silence par la présence de nombreux intérêts français dans le pays. Même chose du côté de la Banque mondiale où l’on ne se confie qu’à demi mots sur cette question. « Les règles d’attribution des marchés publics sont souvent outrepassées » concède timidement un ancien de l’institution. « A chaque étape il faut s’attendre à arroser les ministères, et tous les officiels » tempête, plus audacieux, un salarié d’un grand groupe français.
De larges pans de l’économie ivoirienne sont par ailleurs trustés par les membres de la famille du Président ou ses proches dans des secteurs clés comme le cacao, l’import-export ou les BTP. Un accaparement des richesses par un seul clan qui entretient les frustrations au sein de la population et donne le sentiment d’une croissance non inclusive.
A Abidjan, des observateurs dénoncent enfin les mesures cosmétiques adoptées par le gouvernement pour maintenir le pays à de bons niveaux sur les classements internationaux de développement économique. Souvent critiqué pour son inefficacité, le Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire (Cepici) créé en 2012 afin d’encourager les investissements et la création d’entreprises a permis à la Côte d’Ivoire d’améliorer son score sur le classement « doing business » de la Banque mondiale. En réduisant les délais de création d’une entreprise de 48h à 24h ainsi que le nombre de procédures d’octroi du permis de construire, le CEPICI a contribué à faire grimper le pays à la 18ème place du classement sur 48 Etats subsahariens. « L’ennui, c’est que derrière l’attribution des permis de construire et l’accélération des procédures, on trouve souvent le versement de pots-de-vin et la mise en place de fausses sociétés qui servent à justifier les chiffres » confie un entrepreneur familier du guichet unique instauré par le Cepici pour aider les sociétés dans leurs démarches.
Salué par la communauté internationale, l’économie ivoirienne ravivée sous la présidence d’Alassane Ouattara a en partie permis de maintenir une stabilité politique pourtant toujours fragile sur un territoire travaillé par de nombreuses tensions sociales et tribales. Les élections législatives du 18 décembre constitueront un test pour ce modèle porté aux nues.