L’ONG britannique « Environmental Investigation Agency INC »vient de mettre à jour une filière « criminelle » du commerce international du bois en Afrique centrale dont un groupe chinois, Dejia Group, est le maitre d’oeuvre. Une enquête d’Eric Laffitte
Il en est du bois précieux tel l’Okoumé, comme de l’héroïne. Son commerce – illicite- peut rapporter énormément d’argent. Des millions de $ selon l’ONG britannique « Environmental Investigation Agency INC» (sic !) qui vient de rendre public un rapport de 80 pages qui es tle fruit d’une *enquête de quatre longues années
Cette ONG spécialisée dans la dénonciation des « crimes environnementaux » présente la particularité, afin de remplir sa mission, de recourir aux « undercover investigations » soit d’utiliser des « infiltrés » sur le même modèle donc, que les services spécialisés dans la lutte contre les narcos -trafiquants.
Ses récentes investigations mettent en cause de hautes personnalités gabonaises et congolaises, mais aussi le groupe chinois Dejia Group, un des leaders mondial du secteur forestier.
Le bois américain contaminé
Rien de vraiment nouveau sous le soleil, estimeront certains. Pourtant l’enquête d’EIA ne se limite pas à ce constat. Elle tend a démonter que, du bassin du Congo, en passant par l’empire du Milieu, c’est aujourd’hui une bonne partie de la filière bois des Etats unis qui aujourd’hui est contaminée avec un bois ou ses dérivés, coupés ou exporté illégalement, ceci suite à la mise en place d’une vaste entreprise de corruption des responsables gabonais ou congolais ;
Bref un bois présentant tous les divers labels exigés par la réglementation internationale mais pourtant pourri de la tête aux pieds :
Il semble que même sous le règne du très climato sceptique Donald Trump – et à l’aune des relations sino –américaines- cela ne fasse pas rire les Yankee dont les « Bricorama » locaux proposent désormais aux consommateurs américains, attelés à se construire une petite maison dans la prairie, toute les déclinaisons d’un bois 100 % « made in corruption ».
1,5 million d’hectares
Cible principale de l’ONG le groupe Dejia, contrôlé par le magnat chinois Xu Gong De, qui gère au bas mot 1, 5 millions d’hectares de forêts tropicales au Gabon et au Congo. (La chine est le principal importateur de bois du bassin du Congo, ce pour une valeur estimée à 800 millions de $. Aucune loi n’y régit l’importation de bois illégal). C’est l’un des groupes forestiers les plus influents d’Afrique. M. Xu est présent dans la région et tout spécialement au Gabon depuis le début la fin des années 80 où il a été « attiré à l’époque par son proche parent, » Jean Ping le chef de cabinet alors d’Omar Bongo devenu depuis l’opposant principal d’Ali Bongo (1).
Ainsi les enquêteurs « sous couverts » d’EIA, reprochent t-ils à son groupe, entre autres délits et crimes, d’avoir manipulé en 2016 le processus d’attribution de la concession forestière de Lebama au Congo (140 000 hectares), mais aussi la surexploitation illégale d’espèces réglementées (15 000 arbres pour une seule filiale congolaise), et encore l’exportation d’agrumes pour 80 millions de $ du Congo au-dessus du quota légal. (Entre 2013 et 2016).
Enfin et pour faire bonne mesure, la soustraction au titre de l’impôt au Gabon au Congo pour plusieurs millions de $. (3 à 7 millions de $ par an selon l’estimation plancher d’EIA)
Autant de délits, qui bien que mis à jour localement, sont restés impunis « à cause des pots de vin (versés par Dejia) régulièrement à des fonctionnaires de tous niveaux et aux décideurs, y compris certains ministres » précise l’ONG.
Le ministère des mallettes
Mister XU et son groupe entretiennent aussi les meilleures relations avec les dirigeants du Congo-Brazza : Denis Sassou N’Guesso et son inamovible ministre de l’économie forestière Henri Djombo, (19 ans titulaire du poste). Mr Djombo a ainsi occupé ou occupe d’éminentes fonctions internationales : président de l’Organisation africaine du bois, Président la Commission des Forêts d’Afrique Centrale, président du Bureau du conseil international de coordination du Programme sur l’homme et la biosphère de l’UNESCO.
Mr Djombo s’avère donc être l’une des plus éminente figure de la préservation de la forêt du bassin du Congo, deuxième massif forestier du monde après celui de l’Amazonie.
Une sommité dont l’ EIA rapporte devenue « l’un des proches alliés de la famille» XU et qu’ « en échange de ses services», une « mallette pleine d’argent liquide (lui) était fréquemment remise ».
Selon les détails rapportés par les taupes d’EIA, une « mallette » ne saurait contenir moins de 157 000 $.
Henri Djombo, vieux crocodile du Parti congolais du Travail (PCT), ne serait donc pas « de bois » et la « fréquence » évoquée explique comment en 2016, une filiale du groupe chinois, la Sicofor, a remporté haut la main, l’appel d’offre de « la dernière zone forestière disponible» en République du Congo.
L’erreur d’Henri Djombo (recyclé depuis comme Ministre d’ Etat à l’Agriculture) est d’avoir été insuffisamment partageux. Nombre des informations ayant alimentées les investigations d’EIA « viennent tout droit de son ministère» assure à Mondafrique une source proche du dossier.
« L’infâme association »
Quoi qu’il en soit, le groupe chinois fort des services ainsi rendus pèse 36 % de tout le bois exporté du Gabon et du Congo Brazzaville vers les Etats-Unis et 40 % de l’Okoumé , (une essence particulièrement protégé ) utilisée par les consommateurs américains. Ceci à partir de filiales off shore basées à Hong Kong : « Le groupe Djeia a pu introduire environ 25 millions de $ de produits de source illégale aux Etats Unis au cours des dix dernières années » estime EIA.
Certes nombre des clients Yankee de Djeia ne découvrent ni l’eau humide ni le caractère illégal de ces importations : Ainsi, Jim Green, patron d’Evergreen, premier importateur US d’Okoumé, n’abuse t-il pas lui de la langue de bois : « Tout le monde réclame un pot de vin ; toute la machine doit être graissée pour que les choses marchent bien. Je m’en fiche, je le comprends, c’est comme ca que ca fonctionne. Je le fais ».
« Business is business » certes, mais cette relation commerciale n’en est pas moins qualifiée d’ « infâme association » par EIA qui relève que ,de fait, c’est l’ensemble la chaîne d’approvisionnement en bois des Etats Unis qui est contaminée. Des millions de consommateurs américains participent, malgré eux, par leurs achats d’un bois certifié « vert » à la pérennisation d’un vaste système de corruption, d’exploitation illégale de la forêt et d’évasion fiscale massive.
Ce soutient indirect à la « mafia chinoise du bois » irrite d’autant plus l’administration US que Washington est en pleine guerre commerciale avec Pékin. La publication du rapport intervient alors même que Brazzaville est depuis des mois en pleine renégociation de sa dette avec le FMI, soit près de 10 milliards de $ et dont les chinois détienne au bas mot 30 %. Et les USA sont aussi les premiers contributeurs financiers du FMI…
Dans ce contexte explique à Mondafriqueun opposant congolais qui a suivi de près et participé à l’enquête d’EIA, « cette affaire de bois toxique est explosive. Au delà des considérations environnementales et réglementaires, renflouer Brazzaville, revient pour les américains à financer les fraudes fiscales des entreprises chinoises au détriment de l’Etat congolais ».
Autrement dit Washington devrait ainsi subventionner les exportation frauduleuses chinoises sur son propre territoire.
Et d’en déduire que « ne va pas passer comme une lettre à la poste !
(1) Jean Ping est le neveu de Mister XU, magnat du groupe Dejia, et «principal contributeur de sa dernière campagne présidentielle » selon des confidences recueillies par l’ONG.
A Libreville on promet de « recouper », à Brazzaville on reste de marbre.
Dans un communiqué alambiqué en date du 29 mars 2019, le ministre Gabonais des Forets et de l’Environnement, Guy-Bertrand Mapangou, indique s’interroger « sur les véritables objectifs poursuivis par les auteurs de cette enquête à charge et au caractère inquisitoire, alors que la règle en la matière impose l’impartialité qui suppose le respect des principes tels que la présomption d’innocence, le contradictoire, etc. » (sic).
Mais c’est pour préciser ensuite que : « le Gouvernement gabonais rejette ces accusations et la tentative maladroite des auteurs de l’enquête menée, visant à discréditer le Gabon à partir d’actes isolés qu’aurait commis un opérateur privé ».
Et d’expliquer que les autorités ont ouvert leur propre enquête « afin de mieux recouper ces allégations et se réserve le droit de poursuivre les auteurs de tous ces actes répréhensibles, dès que la lumière sera faite ».
Du pain sur la planche pour le ministre déjà mobilisé par l’opération anti-corruption baptisée « Mamba » et initiée peu avant les révélations d’EIA avec pour objet d’éradiquer « la mafia », selon les propres termes du ministre, qui gangrénerait son administration.
Les tentatives de Mondafrique d’obtenir une réaction de la SICOFOR à Pointe Noire et de M. Henri Djombo (auteur d’un ouvrage joliment titré « les bénévoles ») sont restées infructueuses.