Côte d’Ivoire, la filière cacao face à la gestion du clan Ouattara

Dans un courrier disponible mais très peu partagé, probablement parce qu’il était destiné au président de l’Assemblée nationale, Pascal Affi N’guessan dézingue les patrons de la filière ivoirienne du cacao, le fameux Conseil café-cacao, en exposant l’incompétence et la mauvaise gouvernance dont ses cadres se sont rendus coupables depuis une dizaine d’années. Le député de Bongouanou évoque également les nombreuses « suspicions de détournement de ressources du ‘’Fonds de Réserves’’ » qui n’ont jamais reçu de clarifications convaincantes et demande la mise en place d’une enquête parlementaire.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Presqu’un mois après son sévère réquisitoire contre les patrons du Conseil café-cacao, la filière qui gère la commercialisation de 40% de la consommation mondiale de l’or brun pour le compte de la Côte d’Ivoire, Affi N’guessan n’a toujours pas provoqué le moindre tsunami sous les pieds des Ivoiriens. Son courrier destiné au président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, pour lui demander d’ouvrir une enquête parlementaire sur le bilan de ce conseil a d’ailleurs été très peu commenté dans la presse et l’opposition de gauche s’est gardée de reprendre son discours, de peur de lui donner plus de crédit.

Pourtant, depuis qu’une partie des planteurs ivoiriens a menacé de faire grève pour réclamer le relèvement du prix bord-champ qui n’était que de 1000 FCFA le kilogramme contre 5200 FCFA au Cameroun, 3000 FCFA à Madagascar et 4000 FCFA en Guinée à la même période, le tabou de la gestion prétendument vertueuse du Conseil, parce qu’il est essentiellement tenu par les Ado boys, est tombé. D’une part, parce que le gouvernement a finalement accepté de payer 1500 FCFA bord-champ, soit 50% d’augmentation et, d’autre part, parce que les planteurs ont maintenu la pression en réclamant un autre prix plancher d’au moins 2500 FCFA le kilogramme.

 

Les producteurs de cacao mis à l’écart

Dans la foulée, les syndicats de planteurs ont aussi réclamé le relèvement du différentiel de revenu décent (DRD) accordé aux coopératives à raison de 250 FCFA au lieu de 80 FCFA actuellement. Pour ces paysans, cette revalorisation s’impose parce que l’augmentation des prix du carburant et la dégradation avancée des pistes villageoises ont rendu plus onéreux le coût du transport, dénoncent-ils. Les fermiers ivoiriens réclament également la révision des textes régissant l’environnement et la gestion du Conseil café-cacao parce que, disent-ils, « nous cotisons et nous ne sommes pas dédommagés en cas de sinistre », d’une part, et parce que les textes instituant l’interprofession qui devait permettre aux paysans de fixer eux -mêmes le prix du cacao n’ont jamais été appliqués, d’autre part.

Ces mesures injustes qui perdurent depuis plus d’une décennie au sein de la filière révulsent le député de Bongouanou qui appelle à auditer le Conseil café-cacao à travers une enquête parlementaire. D’autant que les planteurs ivoiriens continuent de tirer le diable par la queue pendant que les revenus du Conseil ont augmenté de 52%, atteignant 5200 milliards en 2022 et 3420 milliards en 2023 en raison de la chute de la production de la campagne 2022-2023. Or, à ces différentes périodes, le planteur ivoirien aurait dû percevoir 1900 FCFA par kilogramme au lieu de 1000 FCFA et 3600 FCFA le kilogramme l’année suivante « parce que le cours du cacao sur le marché international a poursuivi sa marche haussière », écrit Affi N’guessan.

 

La chute des revenus des planteurs

La répartition des ressources du cacao décrit surtout un système inégalitaire avec un revenu des producteurs en net recul (-19,7%) par rapport aux dernières campagnes 2022-2023, passant de 1620 milliards F CFA à 1300 milliards F CFA, pendant que les ressources cumulées des autres acteurs de la filière progressent de +116%, passant d’environ 1800 milliards FCFA à 3900 milliards F CFA.

Et pendant que les planteurs ivoiriens continuent de perdre leur pouvoir d’achat, l’autre question qui se pose est celle de l’utilité du Fonds de Réserves. Initialement mis en place pour soutenir la compétitivité du prix bord-champ payé aux planteurs, ce fonds n’a jamais vraiment assuré les arrières des producteurs. Et encore moins pendant la hausse exceptionnelle des cours mondiaux du cacao, vu que les planteurs ivoiriens étaient toujours rémunérés à 1000 FCFA le kilogramme du cacao avant l’augmentation intervenue au début de la campagne intermédiaire. Pourtant, le gouvernement n’a, depuis, cessé de s’autocongratuler en manipulant des syndicats de planteurs à sa botte.

Mais pour les syndicats tels que l’Anaproci et le Synapci, qui revendiquent 800.000 planteurs, « en dehors de ceux qu’on instrumentalise, la majorité des planteurs a décidé de ne pas cueillir le cacao » pendant cette campagne intermédiaire parce qu’ils « ne sont pas d’accord avec le prix de cacao bord champ de 1500 FCFA ». Ce dialogue de sourds entre les producteurs et le Conseil café-cacao est tout aussi révélateur de la mise à l’écart des planteurs. Au point même où le ministre de la tutelle, Etienne Adjoumani Kobenan se moque de la période de libéralisation où des planteurs parlant approximativement le français se permettaient d’aller discuter de la fixation des prix à Bruxelles.

 

Le coffre-fort du pouvoir

L’arrivée d’Alassane Ouattara au pouvoir, en avril 2011, dès la chute de Laurent Gbagbo, a en effet sonné le glas de la libéralisation de la filière qui en dépit de ses défauts était au moins aux mains des paysans. En effet dès 2012, le président Ouattara a imposé une nouvelle réforme qui a abouti à la suppression des structures de régulation et à la concession de leurs missions au Conseil café-cacao dont la direction générale fut confiée à Massandjé Touré Litse, proche d’un Guillaume Soro qui était alors le chouchou du président puisque le chef rebelle était à la fois son Premier ministre et son ministre de la défense.

Originaire du nord de la Côte d’Ivoire, Manssandjé fut limogée le 1er août 2017 après des rumeurs de détournement du Fonds de Réserve qui n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes. Elle a été remplacée par Yves Koné Brahima, un autre Ado boy originaire du nord de la Côte d’Ivoire. Car en mettant fin à la libéralisation, « l’Etat a pris la filière café-cacao en otage et la gère dans l’opacité totale, au détriment des producteurs, réduits à subir à chaque campagne des prix arbitraires », écrit Affi en enfonçant le clou.

Mensonge et incompétence

 Or, la structure a montré, aux yeux du député de Bongouanou, son incompétence en matière de veille, de prévision et d’études prospectives puisque le Conseil « n’a pas permis d’anticiper la surproduction mondiale et de réguler la commercialisation du cacao ivoirien », dénonce Affi. Ce qui a eu pour conséquence de faire perdre « des dizaines de milliards de F CFA dans la suspension des ventes moins de deux mois après l’ouverture de la campagne » et de remettre en cause « la sécurité, la viabilité et la pérennité des mécanismes de régulation de la filière et de stabilisation des prix ».