Alors que le pays est en quasi rationnement, les 2/3 des bénéfices tirés de la vente de l’électricité en Côte d’Ivoire vont à l’entreprise française Bouygues qui tire ainsi les marrons du feu d’un secteur qui n’est toujours pas plus viable qu’auparavant et qui traîne le même niveau de déséquilibre financier qu’autrefois.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Depuis le début de cette année, la Côte d’Ivoire connaît une grande vague de chaleur comme elle n’en avait plus connue. Conséquence : les nuits sont très agitées à Abidjan et à l’intérieur du pays. Mais c’est surtout lorsque la Compagnie ivoirienne d’électricité, qui a le monopole de la distribution électrique sur l’ensemble du territoire, interrompt la régularité du courant qui dure parfois de longues heures que les Ivoiriens souffrent le plus. Mais ce spectacle a un air de déjà-vu, puisque lla Côte d’Ivoire connaît bien les coupures intempestives d’électricité.
En 2021, le gouvernement avait en effet été contraint de déclarer le rationnement de la fourniture de l’électricité dans les grandes villes du pays dont Abidjan. C’était en juin 2021 et cela avait duré jusqu’à la fin juillet de la même année. A l’époque, les autorités ivoiriennes s’étaient défaussées sur le faible niveau de pluviométrie pour justifier cette mesure. Cette fois-ci, en revanche, il leur a suffi de se murer dans le silence, agaçant des Ivoiriens dont l’humour caustique n’est pas un vain mot de qualifier ces coupures de « tontine électrique » pour bien montrer qu’aucun quartier n’y échappe.
Pertes d’exploitation, endettement
Pourtant, c’était pour éviter de tels désagréments qui font perdre des millions de chiffres d’affaires à des entreprises sur place et grippent tout à la fois les banques que le gouvernement avait consenti à concéder en 1990, pour rien du tout, l’énergie électrique de Côte d’Ivoire (EECI) à l’entreprise française Bouygues pour résorber une perte sèche d’exploitation qui a occasionné une dette de 120 milliards, ainsi que des arriérés de consommation de 37 milliards comprenant les trois années de consommation gratuite de l’État de Côte d’Ivoire.
Dès que Bouygues prit les commandes, l’une de ses premières mesures fut de mettre fin à cette gratuité autrefois assumée, assurée d’un contrat (léonin) de 15 ans qui met à la charge exclusive de l’Etat le payement de la lourde dette et les investissements lourds qui seront nécessaires. En contrepartie, l’opérateur français est tenu de verser des redevances à l’Etat et de prendre en charge les entretiens courants. Avec ça, Bouygues prit le contrôle de la nouvelle Compagnie ivoirienne de l’électricité (CIE) dont elle l’actionnaire principale.
Sauf que pour satisfaire la demande interne et externe en électricité, Bouygues choisit rapidement d’investir dans la production de gaz et des centrales thermiques. Grâce à cela, elle va produire elle-même le gaz tiré du sol ivoirien, mais qu’elle vendra au prix fort selon les termes d’un contrat BOT, type « TAKE OR PAY » (obligation de payement, ndlr) indexé sur le prix international de gaz. De sorte que quand les prix flambent sur les marchés, c’est Bouygues qui exulte tandis que le peuple ivoirien trinque.
Cherté de la vie
C’est ce qui s’est passé lorsque l’Etat a dû revoir à la hausse le prix de l’essence qui a eu des conséquences sur la cherté de la vie et naturellement sur les augmentations du 1er Juillet 2023, de 10% pour les abonnés à 15A et plus et de +15% pour les abonnés moyenne et haute tension. Ces augmentations ont été une pilule dure à avaler pour les populations. En revanche pour M. Bouygues, ce fut une autre bonne affaire puisqu’en 2010, le total des gains de la CIE était de 300 milliards de chiffres d’affaires dont les 2/3 sont affectés au payement du gaz contrôlée à plus de 50% par l’opérateur privé français.
C’est une belle affaire, selon toute vraisemblance, pour le groupe Bouygues qui a pu compter, le 11 mai 2012, sur la vigilance du Fonds monétaire international (FMI) qui s’était permis de mettre la pression sur le gouvernement ivoirien afin qu’il procède à des réformes dans le secteur de l’énergie en Côte d’Ivoire, à l’occasion du versement des 100 millions de dollars. D’ailleurs, le 12 mai 2012, le FMI avait été plus directif en exigeant de « nouvelles mesures, y compris des hausses des tarifs » » de l’électricité, s’assurant ainsi de l’avenir de la compagnie ivoirienne de l’électricité.
Le FMI, l’avocat des puissants
Si le FMI s’est ainsi dépêché de sauver le soldat CIE qui n’a pas apporté les résultats attendus, ce n’est pas faute de solution alternative viable. Car dès novembre 2012, des experts nationaux réunis sous l’égide du gouvernement sur le thème « Défis et enjeux du secteur de l’énergie en Côte d’Ivoire : mesures d’urgence et plans à moyen et long terme », avaient estimé que le gaz vendu par l’actionnaire principal revenait trop cher à la CIE au vu de son coût représentant à lui seul 70% des bénéfices engrangés par le secteur en 2010.
D’autant plus que le secteur énergétique enregistrait déjà, dès 2005, un endettement d’un peu plus de 112 millions, c’est-à-dire pas loin des 120 milliards qui avaient poussé le gouvernement à concéder l’entreprise. Les experts nationaux préconisaient également une réforme qui déconnecte le prix du gaz du marché international, puisqu’il est produit localement, grâce à un contrat de type « Cost plus » (coup réel augmenté d’une marge, ndlr) qui prendrait uniquement en compte le coût de production du gaz. Ce contrat permet, lui aussi, d’obtenir une marge bénéficiaire mais relativement plus acceptable que le contrat précédent. Mais le FMI s’était érigé contre cette réforme dans le seul but de protéger les intérêts de l’homme d’affaires français qui prospérait ainsi sur un secteur qui aligne d’année en année de mauvaises performances.
La réforme des experts nationaux plafonnait le prix du gaz à 127 milliards dont 100 milliards pour la société Bouygues, ce qui limitait le déficit du secteur à 63 milliards au lieu de 112 milliards actuels. On peut donc se demander si « l’Etat ivoirien est suffisamment souverain pour être à l’écoute de ses experts plutôt qu’à l’écoute des intérêts de BOUYGUES et des experts du FMI ? », se demande Ahoua Don Mello, vice-président de l’association de soutien aux Brics, dans un dossier (sous embargo) fort délicat à gérer pour le régime Ouattara.