Un lecteur distrait des Dépêches de Brazzaville(30 septembre) ou des tweets de Thierry Moungalla, porte-parole du gouvernement congolais, serait bien tenté de croire que ce dernier vient de remporter une grande victoire face aux limiers du FMI, de retour d’une mission d’évaluation des finances du pays Des finances mais également de ses petits « à cotés » : transparence, bonne gouvernance, corruption, etc.« En route pour la reprise des négociations pour une facilité élargie de crédit », claironne ainsi Thierry Moungalla.
Un article d’Eric Laffitte
Pour comprendre de quoi il retourne, un petit retour en arrière s’impose.
A l’été 2019, la Française Christine Lagarde s’apprête à quitter la direction du FMI pour la Banque Centrale Européenne et sous l’injonction de Paris, décide d’accorder un prêt – sur 3 ans – de 450 millions de $, tant la situation des finances publiques du Congo-Brazzaville est catastrophique.
Ces 450 millions ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan de dettes accumulées par le pays, soit environ 10 milliards de $ en 2020, voire plus de 12 milliards, selon Global Witness, une ONG anglo-saxonne qui ne lâche pas le régime Sassou.
Cette « facilité de crédit » alors accordée par le Fonds est d’ailleurs tantôt qualifiée « d’aumône » ou avec ironie de « cadeau de départ de Mme Lagarde ».
Si l’influence de la France est traditionnellement forte au sein de l’institution monétaire, celle-ci est en perte de vitesse, et ce sont les USA, principal bailleur de fonds, qui détiennent les cordons de la bourse.
Une Bulgare, sans poids politique, Kristalina Gueorguieva, succède à Christine Lagarde.
« Un léger report… »
Dans la foulée de cet accord, un premier versement de 45 millions de $ est bien effectué.
Mais il ne faut pas deux mois pour que, sous la pression de Trump et de l’administration US, ce « deal diplomatique » soit remis en cause. Très vite est en effet mis en évidence que les autorités congolaises, pourtant conseillées par un expert incontesté des arcanes du FMI, Dominique Strauss Kahn, ont grossièrement menti sur l’ampleur de leur dette.
Ce qui au demeurant ne surprend personne.
En décembre 2019, les versements du FMI sont donc brutalement interrompus. « Ce n’est pas un coup d’arrêt, juste un léger report », assure alors l’inébranlable porte-parole du gouvernement, Thierry Moungalla.
Un léger report qui perdure donc depuis deux ans et auquel le FMI n’a pas décidé de mettre un terme, telle est la seule véritable décision concrète prise par le Fonds le 24 septembre dernier.
Il faut certes être expert en langue de bois pour décrypter un communiqué du FMI. Ainsi, au chapitre des progrès et avancées dont on se félicite à Brazzaville, on relève que la dette du Congo est passée du stade « d’insoutenable » à celui d’« en détresse » (sic).
Ce qui donne (traduit en Moungalla) : « la viabilité de la dette a été rétablie ».
Autre « bon point » décerné par le Conseil d’administration du FMI au gouvernement congolais dirigé par un tout nouveau Premier ministre, Anatole Collinet Makosso, ses « intentions » (re-sic) de lutter contre la corruption, pour la transparence, etc.
Mais, pour le FMI, les intentionsne suffisent manifestement pas pour lâcher le moindre petit dollar.
Une colonie chinoise
A signaler encore cette perle ubuesque figurant dans les recommandations / injonctions du Fonds monétaire. A savoir celle pressant Brazzaville « de réduire les revenus pétroliers en réponse à la transition mondiale vers des économies bas carbone ».
On croit rêver ! Sachant que 80 à 90 % des recettes de l’Etat émanent de la production pétrolière, le gouvernement congolais est donc invité à soigner une dette « en détresse » en réduisant la source quasi unique de ses revenus…
En réalité et au regard de la – relative – modicité des sommes en jeu, pas plus que Trump, le présumé « multi-latéraliste » Joe Biden n’a l’intention de verser un même Kopeck à un Congo-Brazza en passe de devenir à ses yeux une colonie chinoise.
En pleine guerre froide avec Pékin, il n’a pas échappé à Washington que le principal créancier de Brazzaville c’est Pékin (environ 30 % de la dette congolaise) soit deux à trois milliards de $, et que tout financement du gouvernement congolais revient à alimenter les entreprises de BTP chinoises.
Au fil des années, la Chine est ainsi devenue propriétaire de pans entiers de l’économie congolaise et notamment d’équipements stratégiques : ainsi, routes, ponts, barrages, centrales électriques, télécommunications, exploitations forestière, etc. sont désormais sous le contrôle de Pékin.
Exemple hautement symbolique, la route numéro 1, principale artère stratégique du pays qui relie la capitale au port de Pointe-Noire et qui est désormais sous concession chinoise pour 30 ans.
Chaque Congolais qui l’emprunte doit ainsi aujourd’hui payer sa dîme à Pékin en passant au péage. « Les Congolais sont devenus locataires des Chinois dans leur propre pays » s’indigne ainsi Andréa N’Gombet, ex-candidat à la dernière présidentielle, et l’un des plus virulents détracteurs de l’emprise chinoise en République du Congo.
L’Assemblée Nationale, lieu au moins théorique de souveraineté, a été construite et équipée du sol au plafond par des ouvriers chinois comme de très nombreux bâtiments publics, (palais présidentiel de Sibiti) ce qui fait dire aux plus suspicieux, que pas un bruit de couloir, une délibération, n’échappent aux services de renseignements chinois. Il est encore notoire que la fortune personnelle des oligarques congolais a trouvé refuge dans des banques chinoises. A l’abri certes des procédures judiciaires de l’Occident mais avec en retour une dépendance totale de ces même dirigeants congolais aux desideratas de Pékin.
Les USA à l’offensive
Un lieu commun tend à affirmer que les Etats-Unis ne « s’intéressent pas ou peu à l’Afrique ».
Ce qui se passe actuellement en République Démocratique du Congo démontre le contraire. Une vaste offensive des Américains s’y déroule depuis l’élection de Félix Tshisekedi et la mise hors jeu de son prédécesseur Kabila pour saper les positions acquises (notamment dans le domaine minier) par les Chinois dans cet immense pays (le deuxième d’Afrique par sa superficie) et gorgé de matières premières.
Le FMI a, cet été, consenti une facilité de crédit de 1,5 milliard de $ à la RDC. Quelques jours après cet accord, les USA, accordaient directement 1,6 milliard de $ d’aides supplémentaires.
Le message est clair.
Qui peut soutenir que les conditions de gouvernance, de corruption, de gestion des finances publiques de la RDC puissent être données en exemple à son petit voisin le Congo-Brazzaville ?
Et justifier ainsi sur cette base un tel engagement financier de l’Amérique ?
Aussi les spéculations sur le « dernier mandat » de Sassou N’Guesso et la transmission annoncée du pouvoir d’un claquement de doigt à son fils « Kiki 1er » apparaissent elles bien aventureuses.
Dans le contexte de guerre froide qui s’affirme chaque jour plus intense entre la Chine et les Etats-Unis, il est illusoire de penser que les Etats-Unis ne vont pas s’impliquer très fortement dans cette succession et laisser sans réagir, le soin à un clan affidé à Pékin par ailleurs ultra minoritaire dans le pays, le soin de gérer un Etat en passe de devenir une concession chinoise.
Si le Congo-Brazzaville (342 000 Km2et 5 millions d’habitants) est un nain géographique et humain à côté de la RDC (2 340 000 km2et 100 millions d’habitants) il occupe néanmoins une position hautement stratégique avec une façade maritime et un port en eau profonde (Pointe-Noire) dont est dépourvue la RDC, laquelle, avec plus de 9 000 Km de frontières, ne dispose que de 37 km de façade océanique et aucun port digne de ce nom.
Pays de transit, le Congo-Brazzaville se rêve depuis des décennies en « hub » de l’Afrique centrale, et sa position géographique en fait, certes, la voie naturelle et incontournable des exportations de tout l’hinterland vers l’Occident.
Mais le pays rongé par les divisions et dont 80 % de la population est tenue à l’écart depuis 30ans de toute vie sociale, politique et économique, est aussi entouré de très puissants voisins, la RDC et l’Angola non dénués d’appétits.
Ici se situe certainement le véritable enjeu de la succession d’un Sassou N’Guesso toujours vissé sur son trône, mais assis sur une poudrière.