Ces jours-ci, à Alger, le cabinet d’Abdeslam Bouchouareb, le ministre de l’Industrie et des Mines, ne désemplit pas. Lobbyistes, consultants et intermédiaires se bousculent au portillon pour tenter de convaincre les conseillers du ministre algérien de revoir la nouvelle législation des importations des voitures au profit des concessionnaires multimarques des voitures. En Algérie, ils sont près de 164 répartis à travers le pays. Beaucoup d’entre eux importent des faibles quantités de voitures comparativement aux mastodontes du marché comme les Peugeot, Renault, les Toyota ou Sovac, représentant algérien du groupe allemand Volkswagen.
Mais parmi ces concessionnaires «multimarques», on retrouve une poignée de richissimes importateurs et barons qui tiennent entre leurs mains le florissant commerce des voitures de luxe. Un marché qui pèse dans les environs de 2 milliards de dollars. 30 % des ventes de voitures en Algérie sont des véhicules de haut de gamme très prisés par une clientèle fortunée. Un business qui vaut de l’or et qui regroupe les barons les plus influents de l’Algérie. Des barons qui n’hésitent jamais à flirter avec l’illégalité pour écouler au pays de Bouteflika les voitures les plus luxueuses.
Les forbans aux abris !
Porsche Cayenne, Panamera, la Jaguar XE, Audi Q5, Mercedes-Maybach Classe S, Land Rover Evoque, la BMW X1, toutes ces voitures, et d’autres encore, font rêver chaque année les millionnaires et milliardaires algériens. Symboles de leur ascension sociale, ces riches claquent leur argent et ne se retiennent jamais pour commander ces véhicules. Les commander directement en Europe auprès de leurs usines allemandes, excusez de peu. Sodivem, Radia Auto, WHK, Farid Auto, Cima Motors, derrière ces entreprises qui importent chaque année des voitures rutilantes, on retrouve des milliardaires très proches des cercles les plus influents du régime algérienne comme un certain Mahieddine Tahkout ou Yazid Yarichène qui a réussi à mobiliser toute l’Algérie lorsque son neveu a été kidnappé au mois d’octobre dernier à Alger. Ses barons ont un pouvoir impressionnant. Mais, ce pouvoir est aujourd’hui menacé par la nouvelle réglementation algérienne qui interdit les importations des véhicules neuves pour imposer un nouveau cahier de charges très strict.
Un nouveau dispositif qui menace tout simplement l’existence de ces businessmen pour la simple raison qu’il va leur imposer d’acheter leurs véhicules auprès de leurs constructeurs et non plus auprès des centrales d’achats basées dans les paradis fiscaux comme ils ont l’habitude de faire dans la mesure où ces revendeurs leurs facilitent la surfacturation et le transfert illicite de leurs devises.
Transferts illicites
Ces dernières années, les barons du marché des voitures de luxe ont fait évader des sommes faramineuses d’argent à l’étranger. Le DRS, l’administration fiscale et les inspecteurs des douanes algériennes le savent tous. Mais, personne n’a pu faire quoi que ce soit puisque tout le monde a mangé de ce pain. Il aura fallu attendre la chute drastique des cours de pétrole pour que ces barons soient emportés par la crue de l’austérité de l’Etat algérien.
Sur chaque véhicule acheté à Dubai, Luxembourg, Le Liechtenstein, Andorre ou Hong Kong, ces forbans rajoutent aux factures plusieurs milliers d’euros pour justifier les transferts des devises dans ces paradis fiscaux. Pour un Kit supplémentaire, des sièges en cuir, des options fantaisistes, des cylindrées fantasmagoriques, des milliers d’euros sont versés à leurs fournisseurs. Ces derniers prennent leurs commissions sur ces montants excessifs et les versent dans des comptes secrets au profit de ces hommes d’affaires algériens qui vont savourer ensuite leur vie dorée à Monaco ou Marbella.
Villas luxuriantes, comptes bancaires bourrés d’euros et de dollars, le rythme de vie des vendeurs de voitures de luxe frisait l’insolence à l’étranger. Le plus gros d’entre eux s’appelle Cima Motors. Propriété de la famille milliardaire controversé Mahieddine Tahkout, considéré comme la «machine à laver» de plusieurs dignitaires militaires algériens, ce concessionnaire vend à lui seul de 5000 à 6000 voitures de très haut standing par an en Algérie. De Brabus à Carlsson, Cima Motors a toujours vendu le nec plus ultra du luxe automobile.
Or, les transactions de Cima Motors n’ont jamais été un exemple de transparence. En 2014, une brigade du renseignement financier a enquêté sur les opérations d’importations de cette «boite très secrète». Mais l’enquête n’a jamais abouti et aucune mesure n’a été décidée à l’encontre de l’entreprise de monsieur Tahkout. Et pourtant, les soupçons de transferts illicites de devises sont très lourds. Hadj Berkane, l’un des fournisseurs de Cima Motors, un richissime algérien qui vit entre Dubaï et Paris, défraie régulièrement la chronique dans ce milieu en vendant des centaines de voitures de luxes à des prix très douteux. Des factures onéreuses où la traçabilité des pièces détachées n’est guère assurée.
Le cas « Craft Auto »
Au fur des années, le milieu est devenu si malsain que des affaires de détournements éclatent au grand jour à l’image de ce récent scandale qui révulse tous les hommes d’affaires algériens. Le principal accusé s’appelle Mohamed Atchi, le patron Craft Auto, un célèbre concessionnaire automobile situé à Médéa, à 80 Km d’Alger. Ce denier a, effectivement, soulevé l’indignation générale des richissimes opérateurs privés après avoir « arnaqué » deux clients pour s’enfuir, par la suite, à Paris. Cet agent agréé de Sovac, l’entreprise appartement au très controversé Mourad Eulmi, l’un des financiers du 4e mandat d’Abdelaziz Bouteflika, a pris la poudre d’escampette après avoir pris à un de ses clients l’équivalent de 2 millions d’euros. Quelques jours plus tard, il promet de livrer à un deuxième client une grosse quantité de voitures de haut de gamme, des Tiguan Wolkswagen, pour la somme de 6 millions d’euros. Mais, le concessionnaire disparaît juste après avoir touché le jackpot. Les voitures n’ont jamais été livrées et les deux clients, deux revendeurs de voitures très connus à Alger, n’ont plus jamais revu leur argent ! Mourad Eulmi, le patron de Sovac refuse de fournir la moindre explication face à ce scandale et laisse les deux revendeurs abandonnés à leur triste sort. Et pourtant, ils disposent de tous les bons de commandes prouvant qu’ils ont acheté des voitures allemandes commercialisées par… SOVAC à travers son représentant Mohamed Atchi à Médéa. Ce dernier écoule des jours heureux à Paris en bénéficiant d’une totale impunité.
« Dolce vita »
Une impunité à laquelle les autorités algériennes veulent mettre définitivement fin. Pour ce faire, l’arme fatale s’appelle le nouveau cahier de charges. Depuis le 6 janvier dernier, les barons des voitures de luxe ne peuvent plus importer des voitures depuis l’étranger. A partir de février, ils devront déposer un dossier pour demander une «licence d’importation». Mais, comme ils ne disposent pas d’un contrat le liant aux constructeurs de leurs voitures rutilantes, ils ne pourront pas les obtenir comme le dicte la nouvelle loi algérienne. Que leur reste-t-il à faire ? Faire du lobbying via leurs amis très hauts placés, ces gens à qu’ils ont l’habitude d’offrir des voitures luxueuses gratuitement pour protéger leur business, afin de bénéficier d’un délai qui leur permettra d’importer et d’écouler leurs stocks de voitures commandées à l’étranger jusqu’au mois de juin prochain. Une fois passé ce délai, ils se reconvertiront ou trouveront une autre astuce pour sauvegarder leur filon. En attendant, ils espèrent que ce dernier assaut pourra assurer la survie de leur royaume doré.