Les entreprises françaises n’ont plus la côte à Alger. De nombreux hauts responsables algériens commencent à remettre en cause la crédibilité de ces entreprises françaises qui « privilégient » le Maroc au détriment des «immenses potentialités de l’Algérie», confie un haut cadre proche du gouvernement algérien.
Officieusement, une étude menée par les autorités algériennes détaille les choix jugés «malsains» des plus importants groupes français. Cette étude aboutit à un constat : la majorité des entreprises françaises qui opèrent en Algérie placent leur filiale algérienne sous tutelle de leurs directions régionales au Maroc. Un positionnement qui déplait fortement aux autorités algériennes qui ne comprennent pas pourquoi le cadre algérien est sous-valorisé et diminué par les entreprises françaises. A contrario, «les boites américaines ou allemandes ont une approche entièrement différente et font confiance à l’Algérie», témoigne un conseiller d’un ministère important du gouvernement algérien.
« Tutelle marocaine »
En effet, à l’exception du groupe Natixis qui a délocalisé des centres de traitement de France vers l’Algérie en créant des emplois, aucune entreprise française n’a placé son siège régional chapeautant tout le Maghreb à Alger. Danone, Bel, Société Générale, Axa Assurances, BNP, Renault, Peugeot, Bull, etc., toutes ces entreprises françaises ont choisi le Maroc pour y implanter leur direction régionale ou la supervision de certaines activités stratégiques comme les finances, le marketing, l’informatique ou ce qu’on appelle fréquemment les «fonctions supports».
«Pour les décideurs algériens, les entreprises françaises sont hypocrites. Elles sont conscientes que leurs projets les plus rentables sont en Algérie, mais elles prennent toujours des décisions de management en faveur du Maroc», confie un consultant franco-algérien qui collabore avec de nombreuses institutions algériennes.
Au sommet de l’Etat, on dénonce « une volonté française de mettre les activités algériennes, ou les cadres algériens, sous tutelle marocaine», nous explique la même source. Les hauts responsables algériens voient derrière ce positionnement un plan français consistant à aider le Maroc à disposer d’une posture internationale au détriment de l’Algérie avec pour seul objectif d’empêcher les filiales algériennes de gagner en expérience pour internationaliser leurs expertises.
Aux yeux d’Alger, il s’agit d’une «marocophilie» exagérée que cultivent les entreprises françaises. En revanche, les entreprises américaines développent une approche plus concrète et pragmatique et n’hésitent pas à miser sur l’Algérie lorsque les critères de rentabilité sont réunis. En clair, pour Alger, si le choix des directions régionales pour les entreprises françaises se base sur des critères politiques, les entreprises anglo-saxonnes choisissent l’implantation de leurs sites régionaux en fonction de leur rentabilité.
Données confidentielles
A titre d’exemple, General Electric, le géant américain, a choisi Alger pour baser sa direction de l’Afrique du Nord au regard des affaires florissantes développées en Algérie. Idem pour les banques américaines comme Citibank dont la direction régionale est également à Alger ou le géant britannique HSBC qui ne dispose d’une seule banque au Maghreb, à savoir sa filiale algérienne. Le même constat est à dresser pour le secteur pharmaceutique comme Pfizer ou GSK qui ont tablé sur l’Algérie pour développer leurs structures régionales au Maghreb.
Pour Alger, cette situation est intenable. Et pour cause, de nombreux officiels craignent que les données stratégiques et confidentielles communiquées par les filiales algériennes des entreprises françaises se retrouvent entre les mains des concurrents marocains qui peuvent les utiliser dans leur lobbying hostile à l’Algérie.
«Lorsque nous mettons les données informatiques, études de marketing, études de financements et données confidentielles sur les projets économiques en Algérie entre les mains des marocains, c’est conférer au Maroc un avantage important et un atout de domination sur l’Algérie », s’écrie effectivement l’ancien PDG d’une grosse entreprise publique algérienne. Et aux yeux de nombreux officiels algériens, le problème devient politique dans la mesure où les responsables des entités régionales des entreprises françaises au Maroc – des responsables qui supervisent les filiales algériennes – sont issus de nomenklatura proche du Makhzen si hostile à l’Algérie. Parmi ces noms, on retrouve les Benani, Fassi Fahri, Al-Hima, Benzakour, Kettani, Alami, Cheraïbi, Al-Magidi, etc.
Concurrence étrangère
La plupart de ces proches des dirigeants marocains viennent faire des séjours réguliers dans les entreprises algériennes. Et Alger ne voit pas d’un bon œil l’influence de ces dirigeants marocains sur les filiales algériennes des entreprises françaises. Dans ce contexte, selon plusieurs sources concordantes, les autorités algériennes ont décidé en catimini de ne plus accorder un agrément à un investisseur français en Algérie qui dispose déjà d’un projet d’investissement similaire au Maroc comme le projet de l’usine de montage de Peugeot qui est en ce moment bloqué et retardé pour la simple raison que le constructeur français lance parallèlement une importante usine au Maroc.
C’est pour cette raison que le gouvernement algérien a privilégié le projet industriel de Volkswagen qui ne dispose pas d’usine au Maroc. Le constructeur allemand a trouvé toutes les facilités et bénéficiera même d’un financement à hauteur de 160 millions d’euros des autorités algériennes. Tout le contraire de Peugeot, le français indésirable.
En parallèle, les autorités algériennes réfléchissent à un recadrage réglementaire qui devra limiter l’intervention des tutelles des entreprises étrangères au seul actionnaire direct afin d’empêcher l’ingérence des filiales marocaines en Algérie. Sur un autre plan, l’Algérie a décidé définitivement de favoriser le maximum de partenaires étrangers pour mettre en adéquation ses intérêts économiques avec ses enjeux politiques. Reste à savoir enfin si les lobbies français en Algérie sauront renverser ses nouveaux rapports de force.