Alors que l’opinion nigérienne attend pour ce vendredi 10 mai la décision de la Cour d’Etat sur la demande de levée de l’immunité de son prédécesseur, Mohamed Bazoum, devenu pour la junte au pouvoir le bouc émissaire de toutes les difficultés du pays, l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou tarde, quant à lui, à s’expliquer dans plusieurs affaires de détournement et de corruption présumés. Il pourrait toutefois devoir avoir à affronter prochainement les justices française et américaine.
Il n’y a pas que les accusations portées publiquement contre lui par Hinda Bazoum, une des filles du président Mohamed Bazoum, renversé par le coup d’Etat militaire du 26 juillet 2023, qui troublent le sommeil de l’ex-président Mahamadou Issoufou (2011-2021). De sa retraite dorée dans le quartier résidentiel de la Corniche à Niamey, l’ex-président est, selon nos confrères de Africa Intelligence (AI), dans le viseur des enquêteurs américains et français dans l’affaire dite « uraniumgate ».
Qualifiée de « thriller politico-financier », l’affaire porte sur la vente dans des conditions totalement obscures de de près de 3000 tonnes d’uranium nigérien par Areva (devenu aujourd’hui Orano) avec l’aide de la Société de patrimoine minier du Niger (Sopamin) dont le président du Conseil d’administration était alors Massaoudou Hassoumi, directeur de cabinet de l’ex-président. Mais bien plus que les conditions troubles de la vente, c’est l’existence des rétro commissions qui a mis les limiers français et américains sur les traces de l’ex-président nigérien. Pour la justice américaine, Areva a orchestré le montage de la vente de l’uranium avec l’aide du gestionnaire de fortune Helin International qui s’est ensuite occupée de la ventilation d’environ 23 millions de dollars au profit d’une nébuleuse d’agents publics étrangers dont des officiels nigériens mêlés à la transaction.
« Dans des documents internes de comptabilité de Helin International est mentionné un certain T3. Un nom de code que les éléments de l’enquête américaine tendent à attribuer à l’ancien président Mahamadou Issoufou. Actuel médiateur de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour le Burkina Faso, il se trouve suspecté d’avoir perçu 2,6 millions de dollars versés par Energy Standard Trading FZE sur un compte de la Standard Chartered Bank de Dubaï, appartenant à OKI International Trading LLC, le 14 mars 2012 », détaille AI, publication réputée pour le sérieux de ses investigations.
Le Parquet français saisi
Selon nos confrères, le Parquet national financier français a également ouvert une information judiciaire sur cette vente d’uranium qui a déjà amené la Brigade financière à saisir des documents internes de Helin International.
Bien que sa proximité avec le Français Sébastien de Montessus, ancien directeur des Mines d’Areva, auquel il avait généreusement attribué le passeport diplomatique nigérien (révoqué par les militaires), accréditent les soupçons contre lui, l’ancien président s’est toujours défendu de toute implication dans la transaction douteuse, à fortiori d’avoir touché la moindre rétro commissions en marge de l’opération douteuse de vente d’uranium. Il avait alors menacé d’une plainte la publication de la lettre confidentielle Africa Intelligence (AI) sans préciser vers quelle juridiction il se tournerait pour obtenir réparation.
Finalement, l’ancien président Issofou n’a jamais déposé sa plainte. Ni au Niger, ni en France. Sa posture s’apparentait plus à un acte de communication envers sa clientèle politique qu’à une vraie défense. Il avait d’ailleurs récidivé lorsque l’ancien ambassadeur de France à Niamey Sylvain Itté l’a nommément et formellement mis en cause dans la conspiration contre son prédécesseur. Issoufou avait menacé Itté d’une plainte que le diplomate français attend toujours.
Dossiers domestiques
Outre cette affaire à ramifications internationales, plusieurs dossiers internes emblématiques de ses deux mandats à la tête du Niger pourraient tôt ou tard rattraper l’ex-président Issoufou. Parmi eux, un emprunt d’un ou deux milliards de dollars contracté en 2013 par le Niger auprès de la Banque chinoise Eximbak. La controversé autour du prêt chinois a été alimentée par l’absence de la transparence du gouvernement nigérien qui n’en a pas, comme le lui impose la loi, informé l’Assemblée nationale et a donné plusieurs versions sur le montant exact de la dette contractée à la Chine : tantôt c’était un milliard de dollar, tantôt c’était 2 milliards de dollars.
Le départ de Mahamadou Issoufou de la présidence, suivi de l’arrivée de Mohamed Bazoum, n’a pas permis de lever toutes les zones d’ombres sur le prêt de Eximbank au Niger en 2013. Par l’ampleur des sommes en jeu et la résonnance médiatique qu’elle a reçue, l’affaire des détournements des fonds au ministère nigérien de la Défense, connue sous le nom de « MDN gate », est sans doute la plus emblématique de la gouvernance erratique de l’ex-président Issoufou.
À en croire une inspection menée par les services de l’Etat, donc dépendants même du gouvernement, près de 78 milliards CFA (environ 117 millions d’euros) ont été détournés au ministère de la Défense, à travers une vraie ingénierie de la fraude, mêlant commandes fictives ; marchés publics attribués mais non exécutés, surfacturations, rétro commissions et autres frasques. Alors qu’ils ont été formellement identifiés, et même entendus pour certains par les enquêteurs, les fournisseurs du ministère de la Défense, tous proches du pouvoir de l’ex-président Issoufou, n’ont jamais eu à répondre de leur forfait de la justice. Au prétexte qu’ils auraient remboursé au trésor public nigérien les sommes indûment perçues.
Fait révélateur de la volonté de protéger les protagonistes de cette affaire, l’Etat nigérien s’était, contre toute attente, désisté de sa qualité de partie civile. Refusant d’assumer le poids d’une telle imposture, le ministre de la justice de l’époque Boubacar Hassan, un juriste nigérien réputé pour son indépendance et son intégrité, avait préféré remettre en décembre 2021 sa démission du gouvernement.
De sérieuses protections
En dépit de plusieurs affaires domestiques qui bifurquent dans sa direction, les vraies raisons de s’inquiéter pour l’ex-président Issoufou devraient venir de l’extérieur du pays. Dans la gouvernance actuelle de la junte militaire au pouvoir, la justice nigérienne ne troublera pas sa retraite active et dorée. En effet, la Commission contre la lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (Coldeff), installée après le coup d’Etat, n’a pas entraîné la mise en cause directe de l’ex-président.
De très nombreux appels émanant de la société civile exhortent le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) à procéder à l’arrestation de l’ex Président, mais sans succès n’ont pas prospéré. Avec sa casquette de « Champion » de la Zone de libre-échange continentale (ZLECAF), l’ancien patron du Niger avait pu se rendre en jet privé en février 2024 au dernier sommet de l’Union africaine. Après l’incrédulité, certains nigériens ont accueilli avec stupeur voire indignation la facilité avec laquelle l’ex-président a pu se déplacer à Addis-Abeba où son agenda officiel n’était pas celui d’un homme troublé par la crainte d’être rattrapé par une quelconque affaire, au Niger comme à l’étranger.
Reste à savoir jusqu’à quand cette mansuétude pourrait durer.