En juillet 2017 peu après son élection à la tète de l’Etat, Emmanuel Macron avait annoncé la création de hotspots en Libye « dès cet été » pour bloquer l’arrivée des migrants africains lorsqu’ils traversent les pays du Sahel. Autant dire que ce projet ultra répressif n’a jamais vu le jour !
Une chronique de Thomas Dietrich
Les mesures prises en France pour lutter contre l’immigration illégale constituent un inventaire à la Prévert qui transpire le souffre et la peur. Depuis une décennie, il y eût pêle-mêle – et pour ne citer que les plus polémiques- la création du Ministère de l’immigration et l’identité nationale sous Sarkozy, les aides au retour vers les pays de l’Est qui aidaient surtout à revenir vers l’hexagone, la réforme contestée du droit d’asile en 2015.
Cet été, Emmanuel Macron a annoncé la création de hotspots (ou centres avancés) de traitement des demandes d’asile au sud de la Libye, au nord du Tchad et au nord du Niger. Bien loin des frontières françaises, où sont d’ordinaire examinées les requêtes de ce type.
Le Sahara sous contrôle
L’idée est ici de réguler les principales voies de migration clandestine à travers le Sahara. En effet, des dizaines de milliers d’africains – principalement originaires d’Afrique de l’Ouest ou de la corne du continent- empruntent les routes désertiques de l’exil, passant par Agadez au Niger ou à l’est de Faya au Tchad. Des centaines meurent de faim et de soif, abandonnés par les passeurs dans ces zones arides, où le thermomètre monte à plus de cinquante degrés le jour et descend en dessous de zéro une fois le soleil couché. D’autres, une fois arrivés en Libye, sont réduits en esclavage quand ils ne finissent pas noyés en Méditerranée.
Face à ce drame qui se répercute jusqu’en France où les plus « chanceux » échouent à Calais, Emmanuel Macron entend agir à la source. Il veut délocaliser des centres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au coeur du Sahara, dans ce triangle Tchad-Niger-Libye, eldorado de tous les trafics et de toutes les misères. Ainsi, les demandes d’asile seraient directement étudiées sur place, en à peine quelques jours. Les personnes éligibles à l’asile pourraient continuer leur chemin. Les déboutés seraient retournés vers leur pays d’origine sans avoir à prendre plus de risques.
Des droits bafoués
Sauf que ce projet, lorsque l’on y regarde d’un peu plus près, est condamnable à plus d’un titre. Déjà car il bafoue allègrement les droits fondamentaux des candidats à l’exil. Sur le territoire français, la procédure actuelle de demande d’asile offre quelques garanties d’impartialité et de sérieux au migrant : examen approfondie de sa demande, possibilité d’un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA)… Comment les agents de ces hotspots (ou centres de tri comme les ont rebaptisés de nombreux titres de la presse africaine) pourront-ils juger de la crédibilité d’une demande de protection en quelques jours grand maximum, et sans avoir le temps de faire recoupements nécessaires ? De plus, comment les déboutés pourront-ils former un recours devant les juges de la CNDA ? L’on voit mal ces derniers se déplacer de leur immeuble de Montreuil jusqu’à ces régions inhospitalières.
Des trafics juteux
A cela s’ajoute plusieurs problèmes d’ordre pratique. Outre l’inévitable question de la sécurité des personnels administratifs français détachés sur place, les ONG se demandent comment les migrants seront arrêtés et orientés vers ces hotspots. Malgré les annonces rassurantes de ces derniers mois, les flux de migrants allant vers la Libye continuent d’être importants – j’ai pu le constater de mes propres yeux lors d’un séjour quelque peu mouvementé à Agadez, au mois de décembre 2016.
Est-ce en raison de la détermination des migrants, de l’astuce des passeurs ou de la passivité parfois complice des autorités locales ? Sans doute un peu des trois. Il n’en reste pas moins que le Sahara demeure un véritable tonneau des Danaïdes, où les migrants circulent aussi facilement que les armes, la drogue ou l’or. Il faudra donc que les autorités françaises rallient à leur projet des parties qui souvent, ont intérêt à ce que la migration clandestine continue d’exister. Par exemple, au sud libyen, les groupes touareg, toubou ou encore la tribu arabe des Ouled Souleiman tirent une importante partie de leurs revenus du trafic d’êtres humains.
Les Soudanais en ligne de mire
En 2016, en France, les nationalités ayant le plus sollicité l’asile sont dans l’ordre le Soudan, l’Afghanistan, Haïti, l’Albanie et la Syrie. Seuls les soudanais seraient donc géographiquement concernés par l’installation des centres de l’OFRPA dans le Sahara. Et encore… une grande partie d’entre eux transitent actuellement par l’Egypte, évitant le bourbier libyen.
Il serait par conséquent utopique de croire que cette mesure assécherait totalement le flux de réfugiés. Il faudrait pour ce faire un plan bien plus ambitieux et plus coûteux ; mais cela nécessiterait l’implication de l’Union Européenne, dont les pays membres sont dans leur grande majorité hostiles à l’idée des centres avancés.
Nos amis africains, Déby et Issoufou
Y aurait-il donc un agenda caché? Les hotspots sahariens seraient-ils la partie visible de la dune? Le triangle frontalier Tchad-Niger-Libye est un oued qui menace à chaque moment de déborder et de tout inonder. Plusieurs groupes rebelles tchadiens y sont implantés, dont ceux de Mahamat Nouri, Hassan Boulmaye et Mahamat Mahdi Ali.
Le régime nigérien est également menacé à intervalles réguliers ; le dernier épisode en date étant la rébellion du toubou Adam Tcheke Koudigan. Au sud libyen, si les troupes d’Haftar gagnent du terrain, la zone reste encore aux mains d’une multitude de milices aux objectifs aussi divers que versatiles.
L’armée française y intervient souvent dans le cadre d’opérations semi-clandestines, officiellement pour lutter contre le djihadisme. Sauf que Daesh a été décimé à Syrte en 2016 et ses débris ne s’aventurent pas jusqu’au sud libyen (ou Fezzan), préférant rejoindre les milices de Benghazi ou même les rang de Khalifa Haftar… En réalité, ces interventions visent à soutenir l’allié Haftar et à éloigner tout danger pesant sur deux régimes amis de la France : celui du satrape tchadien Idriss Deby et celui du démocrate nigérien ayant tourné casaque, Mahamadou Issoufou.
Mise sous tutelle
En somme, l’annonce de Macron sur les centres de l’OFPRA devrait être considérée comme totalement farfelue si elle ne laissait entrevoir un projet bien plus inquiétant : la mise sous tutelle par la France de cette partie du Sahara. Selon plusieurs sources, les hotspots ne seraient qu’un prétexte à une implantation plus large, notamment dans le domaine militaire. Et il ne faudra pas compter sur Deby ou Issoufou pour s’en émouvoir. Ceux-ci seront bien trop heureux de brader leur souveraineté contre quelques financements internationaux et un blanc-seing de l’Elysée leur permettant de continuer à opprimer à loisir leurs populations. De leur côté, l’ancienne puissance coloniale en retirera plusieurs avantages : la réduction substantielle du nombre de migrants arrivant en Europe, l’extension de son pré carré sahélien et la sécurisation des frontières de ses alliés régionaux. A cela pourrait s’ajouter des bénéfices économiques certains, lorsque l’on sait que cette région est riche en ressources aurifères et pétrolifères encore exploitées de manière artisanale. Et l’on ne s’empêchera pas ici de songer au projet du Général de Gaulle, qui entendait au tournant des années 60, conserver le Sahara et ses immenses richesses sous protectorat français.
Le développement comme priorité
Quoi qu’il en soit, le projet aventureux d’Emmanuel Macron ne pourra longtemps occulter le véritable coeur du problème : le développement des pays d’Afrique subsaharienne. Et tant que l’Etat français continuera à soutenir des régimes aussi peu soucieux du bien-être de leurs populations que du respect des Droits de l’Homme, aucune police, aucune armée française ou africaine, aucun hot spot ne pourra empêcher des désespérés de se lancer à l’assaut du plus grand désert du monde.
Thomas Dietrich est l’auteur de « Les enfants de Toumaï », Paris, Albin Michel, 2016.