Niger, dix ans après les émeutes de « je suis Charlie »

L’ex-président nigérien Mahamadou Issoufou avait provoqué des émeutes en janvier 2015 dans son pays après avoir déclaré à Paris « je suis Charlie », à l’issue d’une manifestation des dirigeants de la planète organisée à Paris par François Hollande.  Mauro Armanino, un témoin clé nous dresse ici le souvenir des violences qui avaient secoué les villes de Niamey et Zinder.

« Au commencement, il y a la poussière dans laquelle nous avons été pétris un matin. Puis est venu le souffle du vent et la créature humaine est devenue vivante, Adama, la boue qui cherche la vie. Au Sahel, la poussière naît avec nous, nous enveloppe, nous accompagne et devient un compagnon inséparable de notre vie quotidienne. La poussière observe d’abord puis, avec une sagesse millénaire, recouvre les affaires humaines. Une couche de poussière s’abat sur les faits et les mots, ensevelissant les empires, les dictatures, les royaumes, les républiques, les monarchies et les événements.

Stupeur et désolation

La poussière a depuis longtemps recouvert ce qui s’est passé à Zinder, la première capitale du Pays, et à Niamey, l’actuelle. Les 16 et 17 janvier 2015, en lien avec les publications du magazine français Charlie Hebdo et un contexte politique national tendu, la plupart des lieux de culte, des institutions et des maisons de chrétiens ont été incendiés. Ce vendredi et ce samedi ont marqué une sorte de frontière entre un avant et un après. Stupeur, désolation, incrédulité, sentiment de trahison et douleur étaient au rendez-vous.

Ce qui s’était passé avait des responsables et des exécutants. On a l’impression que tout a été orchestré selon un plan dont les objectifs restent à la fois imaginables et obscurs à ce jour. Il y avait des véhicules contenant des bidons d’essence et, ce n’est pas une coïncidence, des points d’eau ont été rendus inutilisables. Une dizaine de vies ont été perdues à jamais. Le feu a été le protagoniste de ces deux matinées. Non pas le feu qui purifie ou le feu qui se transmet dans le temps, mais le feu de la mort.

Dans les heures qui ont suivi les attaques contre les églises et les institutions chrétiennes (et françaises, dans certains cas), de la cendre est restée sur les lieux incendiés. Une cendre dense, triste et consciente d’être le fruit d’une grande déception. En effet, nous savons par expérience qu’il y a cendre et cendre. Celle qui reste après avoir brûlé du bois pour cuisiner ou pour chauffer la maison et la famille. Une cendre propre, qui conserve longtemps des braises qui peuvent être utilisées par d’autres pour faire du feu. Et puis la cendre des églises, vide.

Tous victimes de la folie meurtrière

Heureusement, quelqu’un a inventé le vent. Il nettoie et balaie la poussière qui recouvre les événements. Il fait de son mieux, quoique plus difficilement, pour enlever aussi les cendres. La poussière et les cendres constituent notre mémoire sélective. Il y a des choses qui sont couvertes de poussière et d’autres qui sont couvertes de cendres. C’est ce qui s’est passé avec les chrétiens dans les villes mentionnées et c’est ce qui se passe dans les villages autour de la capitale, dans la région des « trois frontières ». Musulmans et chrétiens sont victimes de la même folie de mort.

La tâche et l’action du vent sont la nudité radicale de ce qui a été laissé. Une fois la poussière et les cendres enlevées, la vérité de ce qui s’est passé réapparaît. Quelque chose de grave qui, en quelques heures, peut brûler et détruire ce qui a été patiemment tissé au cours des dizaines de décennies de respect mutuel. Une mémoire effacée par le temps et l’oubli, c’est ce que le vent a pu faire renaitre dans sa migration à travers les affaires humaines. La poussière, le feu, les cendres et le vent sont les facteurs de cette vérité qui a été mise en lumière. Ce n’est pas la lutte mais la vérité qui libère.

 

                                                                                    Mauro Armanino, Niamey, 17 février 2025 »