Le 26 juillet 2023, c’est un coup d’Etat sans coup de feu qui fait tomber le Président Mohamed Bazoum, un événement inédit dans le monde et même au Niger, où l’armée est particulièrement économe de la vie des siens. Celui qui s’empare du Président, est l’homme chargé de la sécurité du pays au plus haut niveau, le général Abdourahamane Tiani, qui commande la Garde Présidentielle. En ce matin de saison des pluies et à mi-mandat du troisième quinquennat du président Issoufou, nul ne peut encore imaginer les conséquences considérables à venir pour le Niger et pour l’ensemble du Sahel.
En cinq épisodes, Mondafrique vous raconte comment une révolution de Palais a dessiné les nouveaux rapports de force qui existent au Sahel.
Ce 26 juillet 2023 qui fut un coup de tonnerre dans tout e Sahel
Quand le Président se voit interdire de sortir de chez lui, juste après la prière de l’aube, il ne s’alarme pas, croyant avoir affaire à un mouvement d’humeur de la Garde Présidentielle (GP). Il se trouve avec sa femme Hadiza et son fils Salim, venu de Dubaï pour les vacances scolaires. Il a entendu un peu de bruit dans la cour et constaté que le personnel du Palais, qui arrive tôt le matin, ne pouvait pas entrer. Quant à la vingtaine d’hommes qui composent sa sécurité rapprochée sous les ordres de son neveu, ils ne sont pas là : ils ne dorment pas au camp présidentiel. Le général Abdourahamane Tiani, le tout puissant commandant de la GP, voit une menace dans cette unité entièrement dévouée à Mohamed Bazoum, recrutée et formée à l’extérieur de la GP à l’installation du nouveau Président, en 2021.
En ce mercredi matin, Bazoum est donc entièrement livré au chef de corps et à ses 700 hommes, surarmés par son prédécesseur, Mahamadou Issoufou. En douze ans à la tête de la GP, Tiani, qui est un officier de terrain venu du rang, a déjoué de nombreux complots, réels ou imaginaires. Le dernier, à la veille de l’investiture de Mohamed Bazoum, le 31 mars 2021, a conduit en prison plusieurs poids lourds de l’armée, y compris le chef d’Etat-major Terre et le chef des opérations de l’Etat-major.
Aucune effusion de sang
Mais en dépit de la loyauté apparente – mâtinée de sautes d’humeur – du commandant de la GP, le Président Bazoum, sans doute méfiant à l’égard d’un système qu’il n’a pas conçu, laisse de plus en plus le champ libre aux initiatives du Touareg Rhissa Ag Boula. Le ministre d’Etat chargé de la Sécurité, un ancien chef de front rebelle, tente de s’imposer comme le vrai patron, ce que Tiani n’apprécie guère. Ce dernier sent bien que son pouvoir est concurrencé par d’autres acteurs dont l’influence grandit autour du Président. A commencer par le ministre de l’Intérieur, Hamadou Adamou Souley, un très proche de Mohamed Bazoum, qui évince de plus en plus son homologue de la Défense, Alkassoum Indatou, dans les relations avec les partenaires extérieurs. Le ministre de l’Intérieur, philosophe de formation, comme le Président, est d’ailleurs le premier officiel interpellé le 26 juillet.
Le premier coup de téléphone de Bazoum est, tout naturellement, pour son ami et frère Mahamadou Issoufou, à qui il voue une confiance absolue. Aveugle, disent certains. La relation entre les deux hommes est étroite et ancienne. Issoufou est l’aîné de Bazoum au sein du parti rose ; il l’a imposé à sa succession, y compris en mobilisant son fief électoral de Tahoua pour l’élection présidentielle de 2021. Tous les samedis, les deux hommes déjeunent à deux pas du Palais, où Issoufou occupe plusieurs villas de l’Etat et où il continue d’exercer une influence occulte sur les affaires de l’Etat. Bazoum se braque lorsque lui parviennent des avertissements sur les agissements de son vieil ami ou les propos parfois peu amènes à son endroit de sa seconde femme. Le sujet est si sensible que personne, parmi ses proches, n’ose plus l’aborder. Ce 26 juillet, au téléphone, Issoufou se fait fort de convaincre Tiani de relâcher Bazoum.
Dans la journée, le Président fluctue entre l’adhésion à une intervention armée et la réserve, conscient des risques qu’une telle opération fait courir à sa propre vie et à celle de sa famille. Bien qu’il croit encore à la possibilité d’une sortie de crise en douceur, par les bons offices d’Issoufou, une riposte armée se prépare. Les avis divergent sur les ordres qu’aurait donnés Mohamed Bazoum. Le plus probable semble, toutefois, qu’il approuve l’option d’une action chirurgicale appuyée par la France.
Récit d’une intervention avortée
Les choses s’organisent à partir du camp de la Garde Nationale (GNN). Cette unité placée sous l’autorité du ministre de l’Intérieur est dirigée par le colonel-major Guirey Midou, loyal au Président. La Garde nationale est devenue, au fil des années, une sorte de contre-pouvoir des Forces Armées Nationales, à cause de sa tutelle institutionnelle qui la fait échapper à la Défense et grâce à un recrutement très souple. Flanqué de son coordonnateur des opérations, le colonel Aliou Matani, le Haut-Commandant Guirey s’apprête. Dans la cour, se trouvent aussi des officiers français, ainsi que le ministre des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou, qui s’auto-proclame Premier ministre par interim en l’absence du titulaire du portefeuille en voyage à l’extérieur du pays. Massaoudou et le colonel Guirey signent alors un document qui légalise l’intervention française en préparation. Ils «autorisent le partenaire français à effectuer des frappes au sein du Palais présidentiel afin de libérer le Président de la République du Niger, Mohamed Bazoum, pris en otage». Il est peu vraisemblable que les deux hommes aient agi sans le feu vert du Président. On aperçoit aussi, en tenue de garde national, le bras droit de Rhissa Ag Boula, Mohamed Wajada dit Tombola, conseiller à la Présidence, dont le patron se trouve alors à l’étranger.
Le plan est simple : une centaine de repentis de l’Etat islamique en cours d’intégration dans la GNN se préparent pour une diversion à moto qui précédera l’attaque du Palais proprement dite, conduite par la GNN et appuyée par les forces spéciales françaises.
Mais l’ordre de Paris ne viendra jamais.
Côté nigérien, la force destinée à libérer Bazoum se délite. Le commandant en second de la GN, Ahmed Sidian, absent du camp, fait part de son désaccord. Le commandant des forces spéciales, le général Salaou Barmou, ne se joint pas non plus à l’aventure. Mais une partie de ses éléments prennent position en ville, aux carrefours stratégiques : l’aéroport et les médias publics. Il s’agit d’hommes et de véhicules appartenant à l’opération Almahaou, qui sécurise la frontière malienne. Ce mouvement sera diversement interprété par les observateurs. Les diplomates occidentaux y voient les signes d’un contre-coup loyaliste en préparation. Mais d’après les informations parvenues à Mondafrique, ce sont plutôt les prémices d’un coup dans le coup, finalement avorté.
Emmanuel Macron injoignable
Dans son audition devant la commission Défense de l’Assemblée nationale, l’ambassadeur de France Sylvain Itté, bien que vantant une rapide «coordination entre les services de l’Etat, rappelle que «le Président de la République était en voyage dans le Pacifique, ce qui a compliqué les choses. Avec le décalage horaire, nous avons eu des difficultés à recevoir ses instructions au cours des premières heures qui ont suivi le coup d’Etat.» Plusieurs sources affirment que l’ordre formel du Président français a manqué aux toutes premières heures, quand la situation était encore fragile et le dispositif armé aux portes du Palais, léger. Lorsque le Président français redevient joignable, la situation a évolué et les chances de succès d’une opération coup de poing se sont réduites.
Dans un article non signé du 5 octobre qui semble inspiré par l’Elysée, Jeune Afrique présente une autre version, avantageuse pour le chef de l’Etat français. Racontant les coulisses de l’intervention avortée, le magazine affirme, contrairement à l’ambassadeur Itté, que le Président français a donné «dès le 26 juillet depuis Nouméa son feu vert à une intervention commando des forces spéciales basées au Niger, ordre retransmis à la base 101 de Niamey par le général Bruno Baratz, commandant de l’opération Barkhane à N’Djamena.» L’hebdomadaire précise même qu’un «détachement français a aussitôt quitté la base pour se prépositionner au niveau de l’hôtel Radisson (…) à quelques centaines de mètres du palais présidentiel.»
Pour Jeune Afrique, ce n’est pas l’indécision française mais Mahamadou Issoufou qui fait échouer l’opération. «Il appelle son successeur pour, aux dires de ce dernier, le supplier de s’opposer à toute intervention militaire au moment précis où il est en train de négocier la reddition des putschistes.»
Une bruyante opération secrète
Une source sécuritaire française à Niamey émet des doutes sur le récit de Jeune Afrique. «J’étais présent au Radisson le 26 une partie de l’après-midi. Je peux vous garantir qu’il n’y avait aucun dispositif de forces françaises, spéciales ou pas. Juste un trio de sympathiques mythomanes vendeurs de sécurité en pantalons de treillis.» Et l’ancien militaire d’ironiser : «En revanche, l’ambassade de France à annoncé aux autres ambassadeurs l’imminence d’une opération secrète qui n’est pas restée secrète très longtemps.»
Revenons aux premières heures du coup d’Etat. L’arrestation du Président devient publique dès 7h30. La nouvelle, révélée par deux sources crédibles sur les réseaux sociaux, fait le tour du Niger incrédule. Aux abords du Palais, pourtant, rien d’apparent. La tension ne monte qu’à partir de 15h00, avec l’apparition de véhicules militaires qui prennent position auprès de la radio et de la télévision nationales, signe d’un coup d’Etat en cours et d’une déclaration à venir. Des jeunes du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) se rassemblent place de la Concertation puis s’avancent vers le Palais, demandant la libération du Président. Un manifestant est blessé par un tir de sommation. Mais le reste de la population nigérienne ne bronche pas. Car chacun s’interroge encore sur l’auteur du coup d’Etat et surtout, son potentiel commanditaire. Le système PNDS est-il abattu ? Issoufou a-t-il joué un rôle ? Qui a pris le pouvoir et à quelles fins ?
Négociations à la tête de l’armée
En réalité, pendant qu’Issoufou palabre vainement avec le général Tiani et échange avec les diplomates occidentaux, pendant que le téléphone de Bazoum ne cesse de sonner des appels de ses homologues étrangers, les négociations décisives sont invisibles.
Elles mettent en présence les hommes forts de l’armée, y compris le chef d’état-major, Abdou Sidikou Issa, nommé quatre mois plus tôt, et son prédécesseur, le général Salifou Modi, qui cherche un consensus pour préserver la cohésion de l’institution militaire. A l’issue de ces très longues tractations, tard dans la soirée, les postes clé sont distribués : au général Tiani, la présidence de l’exécutif (le Conseil national pour la Sauvegarde de la Patrie, CNSP), au général Salaou Barmou l’état-major, au général Mohamed Toumba le ministère de l’Intérieur, au général Modi la Défense, tandis que tous les officiers supérieurs sont nommés d’office au CNSP. Le centre de gravité est aussi le point d’équilibre du système : le général Modi est très respecté de ses cadets.
Dès lors, c’est l’armée nigérienne qui dirige le pays.
Il est minuit. La télévision nigérienne diffuse l’appel des nouveaux maîtres. Tous les corps figurent sur la photo de famille, représentés par leurs patrons ou leurs numéros deux. Le message est limpide.