Florence Parly, la ministre des Armées en déplacement au Mai, s’en est à nouveau prise au rapport de la Minusma qui a estimé que la frappe des militaires français, début janvier, constituait une bavure contre une trentaine de civils
Rarement un rapport des Nations Unies n’a été aussi cinglant vis-à-vis de la France. Non seulement, il remet en cause la ligne de défense de la ministre des Armées, Florence Parly et de son état-major, mais il fait état de vives préoccupations quant à la légalité de la frappe et quant au « respect des principes de la conduite des hostilités ». Cela aura, sans aucun doute, des incidences sur la poursuite des opérations de Barkhane.
Confusion totale
Pour comprendre combien ce rapport de la division des droits de l’homme des Nations Unies plante une épine dans le pied de la France au Sahel, il faut d’abord en revenir à la chronologie des faits.
– Le 3 janvier dès la fin de l’après-midi, sur les messageries privées circulent une information selon laquelle des civils auraient été tués lors d’un mariage par un bombardement aérien dans le village de Bounty situé dans le cercle de Douentza. Le 3 au soir, l’association peule Tabilal Pulaaku reprend ses informations dans un communiqué. Très vite, les chiffres de 19 victimes circulent et il est toujours fait état d’un avion non-identifié. Le lendemain, les réseaux sociaux s’enflamment avec la liste des noms des personnes décédées publiée par Tabital Pulaaku, tous sont des hommes âgés de 25 à 70 ans.
– Le 5 janvier, l’AFP publie le témoignage d’un villageois qui, lui, évoque un hélicoptère, c’est la première fois en 48 heures qu’on entend parler d’un hélicoptère ;
– le même jour, la France déclare qu’une frappe aérienne menée après des recherches approfondies avait tué des dizaines d’insurgés islamistes. Un porte-parole de l’armée française révèle à l’AFP que les rapports relatifs à un mariage ne correspondent pas aux observations ;
– le 6, sur Twitter, Médecins Sans Frontières sème encore plus la confusion en évoquant deux bombardements, l’un à Bounty et l’autre dans le village voisin de Kikara et des blessés par balles ;
– le 7, le ministère des Armées, affirme que Barkhane a procédé à une unique frappe contre un groupe armé terroriste : la Katiba Serma, (affiliée au JNIM dirigé par Iyad Ag Ghali).
C’est dans cette confusion que la mission des Nations Unies au Mali (MINUMA) ouvre une enquête.
C’était bien un mariage…
Que dit le rapport de la Minusma publié le 30 mars ? Il confirme en tous points les premières déclarations de Tabital Pulaaku : c’était bien un mariage, 19 hommes de 23 à 71 ans sont décédés lors du bombardement. Plus tard, trois autres personnes succomberont à leurs blessures. Les Nations Unies précisent également que sur la centaine de personnes présentes à cette cérémonie, seuls « cinq individus armés appartiendraient à la Katiba Serma, » dont trois ont été tués par la frappe.
Circulez, il n’y a plus rien à voir ? Non. La France persiste en maintenant sa version des faits : C’était un rassemblement d’hommes, il n’y avait pas de mariage. Paris fait mine de ne pas connaître la tradition malienne : lors de ces cérémonies, la gente masculine est séparée des femmes. De plus, dans les zones où les djihadistes sont présents, les fêtes sont interdites, plus de chants et de danses, par conséquent les mariages ne sont pas festifs. En outre, le ministère des Armées remet en cause la méthode des Nations et les conclusions du rapport. Son porte-parole considère les 115 témoignages recueillis par la Minusma comme « fragiles » et « non conformes à la version des faits que nous avons donnée dès le début ». « Rappelez-vous » ajoute-t-il « ll y a eu beaucoup de témoignages aussi au mois de janvier où on nous parlait beaucoup d’hélicoptères alors qu’il s’agissait d’avions de combat (…) on voit bien que les témoignages de personnes civiles ont beaucoup fluctué… »
Une autre bavure ?
Mais là où le rapport de la Minusma est le plus cruel pour la France, ce n’est pas tant qu’il remette en cause sa version des faits, mais bien qu’il rappelle les règles d’engagement lors des conflits qualifiés de non-internationaux et qu’il remette en cause la légalité de la frappe. Ainsi il est écrit : « En tout état de cause, si le critère de la fonction de combat continue n’est pas rempli, alors un individu qui est par ailleurs affilié à un groupe armé doit être considéré comme ayant un statut civil protégé et ne peut être visé par une force létale que si et pour le temps qu’il participe directement aux hostilités. »
En clair : même si toutes les personnes décédées avaient été membres d’un groupe armé terroriste, elles ne pouvaient pas être une cible à ce moment précis où elles ne combattaient pas. Ceci vaut pour Bounty, mais aussi pour les événements de Talataye du 25 mars dernier. Six jeunes, dont des mineurs ont été tués par une frappe de drone de Barkhane. Selon, les élus de ce village, ils étaient à moto et partaient à la chasse à la perdrix, selon l’armée française, elle a frappé sur un groupe terroriste. Mais comment prouver que ses jeunes partaient combattre ?
Et c’est bien tout le problème de toutes les guerres contre le terrorisme : qui est terroriste ? Qui ne l’est pas ? Quand l’est-il ? Qu’est-ce qu’un « insurgé islamiste » ? Comment l’armée française peut-elle agir dans un environnement comme celui du Mali où tout est extrêmement confus ? En tout état de cause, les Nations Unies semblent vouloir prendre cette affaire très au sérieux puisqu’interrogé sur ce sujet son Secrétaire général a tenu à rappeler : les « préoccupations très importantes sur le respect de la conduite des hostilités et les principes de précaution et l’obligation des États membres de tout faire pour vérifier que les cibles sont bien des objectifs militaires ».