Mondafrique présente un entretien avec Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des Forces du Progrès (UFP) et président en exercice du FNDU. Pour lui, « le régime en place est usé, à bout de souffle, handicapé par le passif de longues années de mauvaise gestion et par une impopularité sans précédent ».
Vous prenez la présidence du FNDU à quelques mois d’échéances électorales capitales pour le pays. Outre les régionales, municipales et législatives, cette année, les mauritaniens éliront leur président de la République en 2019. Comment appréhendez-vous les échéances en vue?
Mohamed Ould Maouloud : Echéances de tous les espoirs et de tous les risques. C’est ce qui fait la spécificité des prochaines élections et qui les distinguent de celles qui les ont précédées et de celles qui les suivront.
Echéances de tous les risques. Notre pays traversera durant les prochains mois une nouvelle et courte période de transition dont l’enjeu est capital pour son avenir, pour sa stabilité, pour l’unité de son peuple, pour sa démocratie et l’Etat de droit.
Prenons conscience de ces risques :
D’abord un certain vide potentiel de pouvoir : le maitre des lieux, Mohamed Ould Abdel Aziz au terme de son long règne sans partage doit à présent s’occuper de faire ses valises alors que son successeur est encore attendu, au terme d’un scrutin dont l’issue est en principe incertaine.
C’est donc un temps de flottement, de grande fragilité de l’Etat qui sera pourtant soumis à de très vives tensions liées à la compétition entre acteurs pour remplir le vide et s’emparer des pouvoirs mis en jeu.
Durant les prochains mois notre pays sera, pour emprunter le jargon des sportifs, le théâtre d’un gigantesque tournoi politique où interviennent des acteurs de toutes sortes visibles et moins visibles, pour des compétitions locales et nationales, mais aussi peut-être dans certains cas, pour exprimer des rivalités ou interventions étrangères.
C’est aussi l’occasion de l’expression de toutes les attentes sociales ou identitaires longtemps marginalisées ou étouffées mais aussi de mobilisations ethniques, régionalistes ou tribalistes engendrant des risques pour l’unité de notre peuple.
La persistance de la crise politique (gestion unilatérale du processus électoral, poursuites contre les opposants, étouffement des libertés) fait peser un autre risque. Notre peuple, toutes couches de la population et toutes forces démocratiques confondues, a soif de changement, ne peut plus supporter le régime des généraux.
Mais la tentation est grande chez les tenants du pouvoir à chercher à se maintenir en place sous une forme ou une autre par la manipulation des élections et la répression. Des signes avant-coureurs dans ce sens sont déjà perceptibles. D’où le risque réel de confrontations au cours de ces élections et, qu’à Dieu ne plaise, de dérapages et d’instabilité.
Echéances aussi de tous les espoirs. Pour la première fois depuis une décennie, les forces démocratiques sont capables de gagner l’alternance démocratique. Une certaine opinion (« Ould Abdel Aziz imposera un 3e mandat », « les élections seront truquées ») conduit au pessimisme, voire au défaitisme.
Dans la réalité, le régime en place est usé, à bout de souffle, handicapé par le passif de longues années de mauvaise gestion et par une impopularité sans précédent, et son chef, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz, contraint de se retirer du pouvoir et de passer la main.
Alors que l’opposition est unie comme jamais auparavant et le peuple désireux du changement. Quelles circonstances seraient plus favorables pour une alternance démocratique ?
Si le peuple se mobilise, refuse toutes les sirènes de la division et se bat pour imposer des élections concertées libres et transparentes, il sera capable d’en finir pacifiquement avec le régime despotique. Mais aussi de satisfaire les attentes d’égalité, de justice et de bien-être grâce à la restauration de sa souveraineté et à la gestion judicieuse des importantes ressources naturelles, notamment minières récemment mises au jour.
Il n’est pas non plus impossible que le Président Mohamed Ould Abdel Aziz et autres tenants du pouvoir se rendent compte, qu’il est dangereux de chercher à bloquer la roue de l’Histoire. Qu’ils ont plus à gagner dans une transition apaisée, à travers une entente nationale, des règles du jeu consensuelles et au final des résultats acceptés par tous.
La question du 3e mandat était une fixation pour le forum, ses militants et sympathisants. Peut-on dire que la récente sortie du président Aziz dans le Magazine Jeune Afrique dans laquelle il réaffirme qu’il ne touche pas à la Constitution pour briguer un 3e mandat vous a enfin rassurés ? Ou bien continuez-vous, au niveau du forum, à avoir des craintes sur le déroulement du processus électoral à venir et sur la succession d’Ould Abdel Aziz?
Ce sont plutôt les tenants du pouvoir qui ne semblent pas se résigner à l’évidence. On peut comprendre qu’ils vivent difficilement cette fin de règne, mais pas au point d’être sujet à une véritable psychose et de se livrer à un jeu ridicule de cache-cache où le partisan met en cause la sincérité et la crédibilité des intentions proclamées par son « président irremplaçable ».
La récente déclaration du Président Ould Abdel Aziz à « Jeune Afrique » est la troisième du genre mais tout de même la plus explicite. Bien sûr, la question du nombre de mandats ne dépend pas de ce qu’il veut ou ne veut pas. Il n’y aura pas de « troisième mandat » parce que tout simplement la constitution, le rapport de forces global ne le permettent pas.
Mais à notre avis la question n’est plus d’actualité pour tout le monde. Par contre, la persistance de la gestion unilatérale du processus des élections municipales et parlementaires de 2018 qui préparent la présidentielle de 2019, laisse deviner l’intention du Président d’imposer un dauphin.
Les élections locales se dérouleront probablement en octobre prochain. L’UPR se prépare déjà, elle s’apprête à démarrer une campagne d’adhésion. Où en êtes –vous au niveau du forum ?
Qui de la haute administration ou de l’UPR instrumentalise l’autre ? La confusion des genres est totale ; l’administration territoriale et même les hauts fonctionnaires, membres des cabinets ministériels sont mis à contribution dans la campagne de sensibilisation de ce parti.
Certes cela est en soi un aveu de faiblesse mais aussi d’intention coupable de fausser le jeu électoral en vue. Quant à nous au Forum, nous ne pouvons pas bien sûr rester indifférents à la transition qui s’annonce. Toutes les composantes du FNDU étudient actuellement la question et la position qui sera adoptée sera notre contribution à la concertation nécessaire avec nos alliés du G8 en vue d’une décision et d’une stratégie communes.
En attendant, des missions prévues depuis quelque temps partiront pour les régions de l’intérieur dès cette semaine pour exprimer notre solidarité avec les populations confrontées à la catastrophe de la sécheresse et dénoncer l’indifférence coupable du pouvoir.
Le forum dénonce depuis bien longtemps la gestion unilatérale du processus électoral par le seul pouvoir. Est-ce qu’on peut tout de même s’attendre à votre participation, comme le suspectent certains? Attendez-vous un geste de la part du pouvoir pour vous engager? Sinon, qu’entendez-vous faire pour peser sur l’agenda du gouvernement ?
Les expériences passées ont, semble-t-il, créé chez certains un « complexe de la participation ou du boycott ». Or la question ne pose pas en ces termes. Il y a des élections capitales en vue. La seule question qui vaille est de savoir s’il est possible de les gagner et comment.
Il y a deux obstacles majeurs à surmonter. Le premier est la gestion unilatérale et la manipulation du processus par le pouvoir et l’usage de la corruption électorale. Le référendum d’août dernier en a été l’illustration la plus grossière (retour aux pratiques de fraude d’il y a plus de vingt ans, violation des accords antérieurs, utilisation au grand jour de l’administration publique, manipulation de la CENI).
Le deuxième obstacle est l’impréparation pratique de l’opposition, en termes de moyens matériels, de stratégie électorale et de gestion d’un temps imparti relativement court. Mais il est possible de surmonter ces deux difficultés.
D’abord il faut donner à nos populations l’espoir qu’il est possible de réaliser le changement souhaité. Susciter et encadrer un puissant mouvement national pour le changement, capable de livrer et de gagner la bataille de la transparence avant, pendant et au lendemain du scrutin.
Pour imposer une gestion concertée du processus et le respect des dispositions légales ou des accords, et de dissuader la fraude et la manipulation des résultats. C’est ce type de mouvement qui a permis l’alternance au Sénégal en 2000.
L’alternance démocratique est impensable sans la préservation et la consolidation de l’unité de notre peuple. Ce mouvement pour le changement devra donc veiller particulièrement, à cette fin, à prendre en charge les préoccupations légitimes de toutes ses composantes. Et dans le même temps, rejeter tous les appels à la division.
Certains observateurs croient savoir que le Forum pourrait présenter des listes communes pour les élections locales et qu’il se prépare en conséquence. Qu’en est-il ?
J’ai répondu plus haut à la question. Effectivement, nous étudions toutes les options et évidemment sommes favorables, le cas échéant, à établir des alliances électorales entre les forces de l’opposition démocratique.
Au cours de votre première conférence de presse, en tant que président du FNDU, vous avez exprimé vos craintes de voir la crise multiforme que connait le pays affecter l’alternance en 2019. Pourquoi ce pessimisme ? Est-ce à dire que les conditions ne sont pas réunies pour des élections inclusives et transparentes ?
Comme je l’ai mentionné plus haut, il y a lieu d’être vigilant et de prévenir les risques sur la stabilité et la paix civile. Surtout lorsque les élections ouvriront la vanne au déchaînement des passions de toutes natures dans un contexte d’aggravation de la paupérisation et des difficultés de survie, de sentiment d’exclusion et de marginalisation de composantes importantes de la population avec de surcroît la persistance de l’impasse politique (gestion unilatérale du processus électoral qui empêche tout changement pacifique).
Ce à quoi s’ajoute la persistance d’une mauvaise gestion au grand jour suscitant davantage de colère et l’exaspération dans l’opinion publique. Deux exemples pour illustrer ce dernier propos : la gestion de la catastrophe de la sécheresse et la coûteuse opération de prestige mal placé de l’accueil du sommet de l’Union Africaine.
A la veille du référendum, l’opposition s’est élargie et créé un G8. On en parle presque plus. Que s’est-il passé depuis ?
C’est vrai il a connu, après la bataille du référendum et pendant quelques mois, une certaine léthargie. Mais il a conservé son unité, son énergie et sa capacité de mobilisation. La preuve en a été donnée par la grande marche du 16 décembre dernier. Et ses différentes composantes ne sont pas inactives comme en témoignent les nombreuses manifestations de ces deux derniers mois.
Le G8 est un vaste rassemblement, il devra peut-être à l’avenir se consacrer aux actions majeures et laisser à ses membres la possibilité de déployer leurs initiatives et exprimer leurs personnalités propres. Dans les prochaines semaines, il aura à prendre des initiatives pour unir l’ensemble des forces démocratiques autour d’une stratégie et un plan d’action communs pour la période électorale en perspective.
On reproche souvent à l’opposition mauritanienne de ne bouger que pour des élections ; elle ne pèse pas sur le pouvoir, n’a pas réussi à imposer une alternative crédible censée susciter l’espoir des populations.
Chacun est libre d’avoir son opinion sur l’opposition. Mais ce jugement me semble trop sévère pour ne pas dire outrancier. L’opposition se bat depuis dix ans contre un régime autoritaire. Elle a réussi à lui tenir tête sans jamais faiblir, a œuvré à sa mise à nu et à son isolement politique, a préservé ou rétabli et constamment élargi et renforcé son unité (la COD a fait place au FNDU qui est devenu une Composante d’un front plus large, communément appelé G8).
Elle a aussi réussi à imposer par son boycott des élections de 2013 la révision des règles du jeu électoral (celles convenues dans le dialogue non inclusif de 2016 sont à parfaire), a pu réussir un boycott massif du référendum anticonstitutionnel d’août dernier, a soutenu toutes les causes justes et défendu les libertés publiques et privées et se trouve aujourd’hui, politiquement, dans les meilleures conditions pour constituer le bon choix pour notre peuple. Reprocherait-on à l’opposition démocratique de ne pas avoir réussi à neutraliser ou à renverser le pouvoir ?
On espère toujours y parvenir. Mais seulement par les urnes. C’est la voie que nous nous sommes choisie et qui nous convient. Il en existe bien sûr d’autres ; le soulèvement populaire, mais il est l’affaire du peuple ; le coup de force militaire, celle de l’armée.
Ces précisions faites, nous devons reconnaître qu’au cours des mois qui ont suivi le référendum, l’opposition démocratique a commis l’erreur de baisser les bras.
Laissant le terrain libre à la campagne de répression du pouvoir contre les sénateurs pour les punir de leur rejet du référendum (détention de Mohamed Ould Ghadda et poursuite contre d’autres), au maintien en détention de défenseurs des droits de l’homme (prisonniers de l’IRA), aux poursuites contre les leaders syndicalistes et les journalistes insoumis, aux mesures pour faire taire ou étouffer les médias indépendants, à la mise au pas du syndicat patronal etc. Mais depuis, nous avons redressé la barre autant que possible et sommes soucieux d’assumer nos responsabilités sur ce plan.
Dans la perspective des élections de 2019, le FORUM travaillerait pour une « alliance électorale » ; d’aucuns ont même évoqué une candidature unique, même si certains leaders le qualifient en off d’utopie. Où en est ce projet ?
Vous avez raison en partie. Une commission centrale du FNDU est chargée, depuis l’an dernier, du dossier de l’alternance 2018-2019. Sa direction, depuis la dernière réorganisation, est confiée à Mohamed Mahmoud O Seyyidi, président de Tewassoul, en remplacement de Yahya Ould Waghf, désormais en charge des Relations extérieures. Par contre, pour le moment, toutes les options sont sur la table et nous attendons le rapport de cette commission pour adopter la stratégie qui nous semblera la meilleure.
Que répondez-vous à ceux qui accusent l’opposition de n’avoir pas réussi, jusqu’ici, en tout cas, à imposer au pouvoir, un rapport de forces en sa faveur, voire une « alternative crédible »? Me Bouhoubeyni n’aurait-il raison quand il affirme que l’opposition a échoué sur toute la ligne ?
Je crois avoir répondu à cette question et à ce jugement. Quant au reste, je reconnais à chacun le droit de penser ce qu’il veut de l’action de l’opposition.
Face un déficit pluviométrique, le gouvernement mauritanien a décidé de décaisser sur fonds propres, une enveloppe de 41 milliards d’Ouguiya. Ne trouvez-vous que c’est là un engagement fort en cette période de rareté de ressources ? Est-ce suffisant?
Les populations rurales ne voient rien venir de significatif depuis des mois. Elles sont menacées de famine et notre richesse animale d’anéantissement. Combien de ces 41 milliards d’anciens ouguiyas dégagés dans le budget sera réellement consacré à leur fournir des vivres et de l’aliment de bétail ? Il n’y a pas de plan d’intervention concerté au niveau local et national avec les autorités compétentes et les représentants des populations rurales.
Et il est à craindre que dans l’opacité qui l’entoure, cette opération ne soit l’objet de détournement et que le peu d’aide distribué ne parvienne aux populations trop tard ; en quelque sorte «le médecin après la mort » comme lors de la sécheresse de 2012.
La question de l’unité nationale continue à diviser les mauritaniens, et en dépit des proclamations et du pouvoir et de l’opposition, des solutions consensuelles autour du « passif humanitaire » et des pratiques de l’esclavage tardent à se concrétiser. Pourquoi, à votre avis?
Comme vous l’avez dit, les conditions favorables à la solution du problème sont réunies (feuille de route depuis 2007, consensus national). Mais, il a toujours manqué au pouvoir une réelle volonté politique de la mettre en œuvre.
L’espoir est que le successeur de Ould Abdel Aziz soit un responsable politique patriote et démocrate soucieux de l’unité nationale et convaincu de l’urgence de prendre en charge le dossier à mettre un terme aux calvaires des victimes et ayants droit.
La justice vient de prolonger la détention du sénateur Ould Ghadda et le placement sous contrôle judiciaire d’autres sénateurs, syndicalistes et journalistes impliqués dans le dossier dit Bouamatou et consorts. Qu’en pensez-vous ?
J’ai déjà évoqué la question plus haut. Ce que je peux ajouter c’est de dire que cette détention et ces poursuites arbitraires ne sont qu’un règlement de compte intolérable ; et toutes les forces démocratiques doivent agir pour y mettre un terme.
Nos rapports avec notre voisin le Sénégal connaissent, depuis quelques années des hauts et des bas. Pensez-vous que la gestion et le partage des gisements de gaz à ladite frontière pourraient apaiser ces tensions récurrentes ou plutôt les accentuer ?
Les intérêts communs aux deux peuples sont nombreux (liens de sang, religieux, culturels et économiques etc.) et pas moins importants que l’exploitation du gisement de gaz. De sorte que nuire à l’un des deux peuples, c’est nuire à l’autre.
Aucun prétexte ne peut être invoqué pour justifier de mettre en péril les rapports de bon voisinage et de coopération. J’espère que l’esprit de responsabilité empêchera à l’avenir les gouvernements des deux pays de répercuter sur les peuples les différends qui pourraient surgir entre eux.
Entretien réalisé par DL et AOC pour Calame