L’euphorie qu’avait provoquée l’arrivée des troupes françaises, en 2013, s’est estompée laissant place à un sentiment anti-français de plus en plus fort au sein d’une partie de la population, lassée par une guerre qui s’éternise. Les manifestations récentes et la déclaration fracassante de l’artiste Salif Keita en sont l’illustration parfaite.
En 2013, les soldats français étaient accueillis en héros par une foule en liesse tout au long de leur passage sur les routes. Six ans plus tard, l’ambiance n’est plus la même et les populations n’hésitent plus à accuser les militaires de la force Barkhane d’être complices des djihadistes. Les raisons de la montée en puissance du sentiment anti-français s’expliquent surtout par la gestion du cas de Kidal et de la détérioration de la situation sécuritaire au Centre et au Nord.
Le problème Kidal
En effet, en 2013, la majorité des Maliens n’avait pas compris pourquoi les soldats français avaient laissé les forces du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (Mnla) libérer la ville de Kidal, contrôlée depuis des mois par le groupe salafiste Ansar Dine d’Iyad Ag Ghaly. Une incompréhension majeure était née de là, entre la population malienne et les troupes de Paris. Aussi, Kidal demeure toujours sous l’emprise des groupes armés notamment ceux de la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), échappant ainsi au contrôle de l’Etat. Cette situation provoque la colère des populations qui ont aussi eu le sentiment que la France « collaborait » avec des « ennemis » du Mali, comme la CMA [analyse Aurélien Tobie, chercheur et chargé de mission en faveur de la paix au Mali pour le Stockholm international peace research Institute.
Beaucoup de Maliens reprochent notamment aux forces françaises de privilégier les intérêts de la CMA et sont, de ce point de vue, au centre des alliances entre groupes armés qui se font et se défont au rythme des saisons.
Au sein de l’opinion malienne, l’on est convaincu que la rébellion touarègue a fait un compromis avec l’Otan et la France en abandonnant Kadhafi en pleine crise libyenne. Le marché était que si elle quittait le sud de la Libye, la France l’aiderait au mieux dans ses revendications au Mali. Vrai ou Faux ? Au vu de certains évènements troublants, l’on est tenté de croire à la thèse du complot contre la République du Mali. Et pour cause, la rébellion du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qui a commencé ses attaques le 17 janvier 2012, a été aussitôt condamnée par la CEDEAO, l’Union africaine (UA) et les États-Unis. Mais pas explicitement par la France.
La mémoire coloniale
Aussi, combattu par leurs alliés djihadistes, Serval dans son intervention pour libérer le Mali a permis la régénération du MNLA. Et certains médias français se sont investis pour séparer théoriquement ce mouvement des djihadistes. Alors que lors de l’occupation du Nord, les populations se sentaient plus en sécurité avec AQMI et MUJAO qu’avec le MNLA qui violait, pillait, volait et tuait sans état d’âme.
Autant d’actes qui ont longtemps cristallisé la colère des maliens contre la puissance colonisatrice. Et le fossé s’élargisse, au rythme des actions de Barkhane en faveur de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), chaque fois que celle-ci est menacée. Pas aussi lointain que la semaine dernière, de violents affrontements avaient opposé les combattants du GATIA (Groupe d’auto-défense touareg Imghad et alliés) aux éléments de la CMA. La suite est connué Le Gatia a fini par abandonner la ville de Ménaka et de Kidal. En réalité, le Gatia avait subi la pression (l’intervention ?) des forces françaises et de la Minusma. Ce n’était pas une première.
En effet, en juillet 2016, des responsables du Gatia et de la Plateforme avaient dénoncé l’ingérence française en ces termes : « les français ont sauvé leurs protégés ». C’était à la suite de violents combats à Kidal. On se souvient aussi que la plateforme avait pris la localité de Ménaka, le 27 avril 2015. Elle sera contrainte, à la faveur d’un « arrangement sécuritaire » de quitter cette localité. Il s’est avéré que la pression de la médiation visait surtout à satisfaire les désidératas de la CMA, qui avait fait de ce retrait un préalable à la signature de l’accord de paix déjà entériné le 15 mai 2015 par le gouvernement malien et ses alliés. Également, toujours sur fond de chantages et de fourberies, la CMA avait aussi réussi à retrouver ses positions à Anéfis, d’où elle avait été chassée par la Plateforme, en septembre 2015. Pour y revenir, la CMA a dû faire appel à ses soutiens occultes. Après les évènements d’Anéfis, survint ceux de Kidal. Là également, les casques bleus de la Minusma ont unilatéralement établi (18 août 2015) une zone de sécurité autour de la ville de Kidal, afin d’empêcher le Gatia d’entrer dans la ville de Kidal. En réalité, le jeu était orchestré par la France qui fait tout pour maintenir Kidal sous le contrôle des rebelles de la CMA. Conséquence : l’autorité de l’État n’a pas été retrouvée (à Kidal) et ne peut pas l’être, puisque la France l’interdit.
Au-delà, la question majeure qui se pose aujourd’hui est la suivante : Que font les militaires français déployés au Nord du Mali ?
La dégradation de la situation sécuritaire
L’autre grief des populations à l’encontre des forces françaises est la dégradation de la situation sécuritaire au fil des années de l’opération Barkhane. Aux combats qui se poursuivent dans le Nord, se sont ajoutées des conflits intercommunautaires qui ont fait basculer la région du Centre dans le chaos. «Dans le Nord du pays, le désarmement des groupes armés n’a guère avancé et le gouvernement a réalisé des progrès insuffisants en matière de rétablissement de l’autorité de l’État, ce qui a aggravé l’absence d’État de droit et le vide sécuritaire, facilitant un banditisme généralisé et le déplacement de nombreuses personnes. Dans le Centre du Mali, la présence de groupes armés islamistes et les mesures d’intimidation à l’encontre de la population se sont accentuées tout au long de l’année, entraînant plusieurs exactions graves, dont des exécutions sommaires de fonctionnaires locaux et de personnes suspectées d’être des informateurs du gouvernement», s’alarmait l’ONG Human Rights Watch dans son rapport 2017 sur la situation au Mali.
Paris, qui mène toujours une chasse aux djihadistes dans le désert, n’est en revanche pas intervenu dans le Centre du pays pour maintenir la paix. Une dichotomie dans l’investissement militaire français qui laisse un goût amer dans la bouche d’une partie de la population malienne, confrontée chaque jour à une montée de l’insécurité.
« On les voit, ils sont là et on continue de nous attaquer. C’est devenu même pire qu’avant. On tue les gens au Centre, au Nord. Où sont les soldats français ? S’ils veulent nous aider, ils n’ont qu’à nous aider en donnant du matériel seulement à nos soldats qui vont eux-mêmes faire le travail», s’indigne Adama Keita, commerçant au grand marché de Bamako.
Un discours majoritaire chez les habitants qui ne voient pas l’utilité de la présence de Barkane. En effet, malgré Barkhane, qui a remplacé, le 1er août 2014, l’opération Serval déclenchée début 2013 au Mali, le septentrion malien n’a pas vu diminuer les activités des djihadistes et d’autres groupes armés qui s’y sont confortablement installés. Les attaques récentes contre l’armée avec son lot de lourdes pertes le certifient de la belle manière, tout comme les embuscades quotidiennes et les explosions des mines dans les régions de Mopti, Tombouctou et Gao. Aujourd’hui au Nord, rien ou presque n’a encore été réglé.
Paris est plus généralement accusé de nombreux maux par les habitants qui côtoient ses militaires. Pour les populations locales, l’ex-puissance coloniale dissimule ses véritables motivations sur les raisons de sa présence renforcée sur le continent. Dans une note d’analyse datant de juillet 2016, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip), un centre de recherche indépendant fondé à Bruxelles en 1979, livre les résultats d’une enquête réalisée pour connaître l’opinion des populations (Maliennes) sur la présence de soldats étrangers sur son sol. Le résultat est accablant pour la France. Plus de 76% des sondés souhaitent le départ des forces françaises.
Aujourd’hui, le pouvoir à Bamako n’a ni le courage ni la force pour accuser Paris de soutenir la rébellion touarègue. Laquelle a bien compris la complexité des enjeux, en insistant dans sa communication sur son opposition aux djihadistes. Et en prétendant réussir à lutter contre ces derniers, là où précisément le Mali a jusqu’à présent échoué.
Cependant, le peuple malien ne cache pas sa colère et ne mâche pas non plus ses mots.
Dans les colonnes des journaux et/ou à travers des manifestations, des maliens dénoncent le jeu trouble des autorités françaises. La dernière manifestation en date, le 8 août 2019. Ce jour-là, ils étaient des milliers à dénoncer ce qu’ils appellent « la partialité de la France » dans le conflit qui opposent l’Etat malien aux groupes armés. Sur les pancartes des manifestants, on pouvait lire « France = CMA ». Des messages accusateurs qui remettent en cause la mission de lutte contre le terrorisme de la France au Mali. « Lorsque les français sont venus, ils ont libéré Gao, Tombouctou sauf Kidal. Pourquoi pas Kidal ? », s’interrogeaient les manifestants. « Kidal la cité interdite. Kidal avec un autre drapeau différent de celui du Mali sous les yeux de la Minusma et de la force Serval devenu entre-temps force Barkhane », s’indignait un autre manifestant? Et dans les jours à venir, ces manifestations sur fond de dénonciation pourraient s’étendre dans tout le pays.
Malijet.fr
*Source : Sen360.sn